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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 12, Décembre 2024
Épigénétique : développement et destin cellulaire
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Page(s) | 988 - 990 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024174 | |
Published online | 20 December 2024 |
Un meilleur mode de vie est associé à un moindre risque de démence et un moindre déclin cognitif quelle que soit la susceptibilité génétique pour la maladie d’Alzheimer
Regardless of genetic susceptibility to Alzheimer’s disease, a better lifestyle is associated with a lower risk of dementia and less cognitive decline
Centre de recherche Bordeaux Population Health, Inserm U1219, institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement, université de Bordeaux, Bordeaux, France
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jeanne.neuffer@agroparistech.fr
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cecilia.samieri@u-bordeaux.fr
Le vieillissement cérébral s’accompagne d’un déclin progressif, physiologique, des fonctions cognitives. Ce déclin peut être accéléré par des maladies cérébrales neurodégénératives liées à l’âge. La démence, un syndrome neurologique chronique et évolutif, caractérisé par une atteinte de la mémoire et d’au moins une autre fonction cognitive (comme les fonctions exécutives), dont l’ampleur est suffisamment importante pour retentir sur les activités de la vie quotidienne, peut résulter de plusieurs maladies, dont la plus commune est la maladie d’Alzheimer (60 à 80 % des cas de démence). Le nombre de personnes atteintes de démence a plus que doublé entre 1990 et 2016, et cette augmentation devrait s’intensifier dans les années à venir en raison du vieillissement des populations, même si les études épidémiologiques récentes montrent que l’incidence de la démence (c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas par an) tend à baisser à l’échelle mondiale [1]. Le nombre de personnes atteintes dans le monde pourrait ainsi passer de 57 millions en 2019 à 153 millions en 2050 [2]. L’étiologie de la démence n’est pas encore bien caractérisée. Il s’agit d’un syndrome multifactoriel, dont la survenue résulte de facteurs de risque à la fois génétiques et environnementaux. L’allèle ε4 du gène APOE représente le premier facteur de risque génétique de la démence et de la maladie d’Alzheimer : les individus porteurs d’un allèle ε4 ont un risque de développer une démence multiplié par trois, et ceux porteurs de deux allèles ε4, un risque multiplié par plus de quinze [3]. En sus du risque conféré par la présence de l’allèle ε4 de APOE, plusieurs dizaines de variants génétiques, découverts dans les quinze dernières années, exercent un effet additif sur le risque de développer une démence. Ce risque additif est souvent résumé sous la forme d’un score de risque génétique dans les études épidémiologiques [4]. Concernant le risque environnemental (au sens large, c’est-à-dire englobant tous les facteurs de risque non génétiques), plus d’une dizaine de facteurs, la plupart liés au mode de vie et par définition modifiables, ont été associés au risque de démence. Les facteurs de risque cumulant le plus de preuves épidémiologiques incluent des facteurs psycho-sociaux (bas niveau d’éducation, dépression, faible stimulation cognitive), des facteurs cardio-métaboliques (fortes concentrations de cholestérol total et de LDL (low density lipoproteins) dans le sang, hypertension artérielle, obésité, diabète sucré), le tabagisme, et une forte consommation d’alcool. D’autres facteurs ont été plus récemment inclus dans la liste des facteurs de risque robustes, comme la pollution de l’air, les déficiences auditives et visuelles, l’isolement social, ou encore les commotions cérébrales. On estime que l’ensemble de ces facteurs environnementaux pourrait expliquer 45 % des cas de démence [5]. En l’absence de traitement disponible pour la maladie d’Alzheimer et les autres maladies responsables de démence, et au vu de l’évolution au très long cours de ces maladies, qui se développent silencieusement pendant plusieurs années avant d’être diagnostiquées, il est primordial de favoriser les approches préventives. Pour l’instant, les essais cliniques multidomaines, alliant plusieurs changements de comportement ou la gestion de plusieurs facteurs de risque dans le but de diminuer le déclin cognitif ou l’incidence de la démence, montrent des résultats encourageants, mais le niveau de preuve reste faible. Étant donné la complexité méthodologique inhérente à la réalisation d’études d’intervention multi-domaines pour tenter de prévenir la survenue de maladies d’évolution lente comme celles responsables de la démence, les études épidémiologiques observationnelles restent les plus pertinentes pour étudier les effets des expositions à de multiples facteurs de risque. Plusieurs études épidémiologiques observationnelles ont ainsi cherché à déterminer si le cumul de facteurs de risque liés au mode de vie (étudiés en combinaison sous la forme de scores de risque) était différemment associé à la démence chez les personnes ayant une susceptibilité génétique et chez celles n’en ayant pas. Si la majorité des études s’accordent sur le fait que l’association de ces facteurs de risque à la démence ne diffère pas selon le risque génétique des individus, deux études ont au contraire conclu à une association statistiquement significative seulement chez les personnes sans susceptibilité génétique [6, 7]. Notons qu’un certain nombre de ces études ne prenaient pas en compte l’ensemble des facteurs de risque d’intérêt, ce qui entraînait une évaluation relativement grossière et peu précise du mode de vie.
Pour tenter de résoudre cette controverse, nous avons tiré parti des données d’une grande cohorte prospective issue de la population française, la cohorte « des trois cités » (3C), constituée en 1999-2000, et qui a inclus 9 294 personnes âgées de plus de 65 ans, vivant dans trois villes françaises : Bordeaux, Dijon et Montpellier. L’étude de cohorte 3C, dont l’objectif était de déterminer les facteurs de risque de survenue d’une démence, comportait une évaluation approfondie des facteurs liés au mode de vie, ainsi qu’une analyse génétique pangénomique, à l’inclusion des participants dans l’étude. Les participants ont été suivis jusqu’à une durée de 17 ans, avec une évaluation cognitive complète tous les deux ou trois ans. Les personnes suspectées d’avoir développé une démence à la suite de cette évaluation ont fait l’objet d’une procédure systématique de diagnostic de la démence, avec validation par un comité d’experts. À partir des données recueillies à l’inclusion des participants, nous avons calculé pour chacun d’eux un indicateur combiné de facteurs de risque, le score LIBRA (lifestyle for brain health) [8]. Ce score est fondé sur 12 facteurs de risque de démence modifiables, parmi les plus robustes identifiés dans la littérature épidémiologique : des facteurs liés au mode de vie (alimentation déséquilibrée, faible niveau d’activité physique, faible stimulation cognitive, forte consommation d’alcool, tabagisme), des paramètres de santé cardio-métabolique (maladie cardiovasculaire, diabète sucré, hypercholestérolémie, obésité, hypertension artérielle), ainsi que l’existence d’une dépression ou d’une maladie rénale chronique. Le score LIBRA a été calculé, pour chaque individu, en faisant la somme des valeurs de chacune de ces composantes pondérées par la magnitude de leur association avec la démence (définie par une méta-analyse). Ainsi, un score LIBRA plus grand chez un participant reflétait un plus grand risque de démence associé aux facteurs liés au mode de vie. Par ailleurs, nous avons résumé la susceptibilité génétique pour la maladie d’Alzheimer au moyen de deux paramètres : le fait de posséder ou non au moins un allèle APOEε4, et un score de risque polygénique prenant en compte l’ensemble des autres polymorphismes (en dehors de APOE).
Chez 5 170 participants de l’étude 3C non atteints de démence à l’inclusion dans l’étude, nous avons recherché si leur score LIBRA à l’inclusion était associé à un risque augmenté de démence et à une pente de déclin cognitif plus importante dans les 17 années suivantes (en prenant en compte, dans les analyses, les facteurs de confusion potentiels, notamment le niveau d’étude et de revenu, non présents dans le score LIBRA), tout en évaluant si la relation entre le score LIBRA et le risque de démence était modifiée par la susceptibilité génétique. Nous avons montré que la susceptibilité génétique ne modifiait pas significativement l’association entre le score LIBRA et le risque de démence ou les trajectoires cognitives des individus. L’augmentation du score LIBRA, qui reflétait un nombre croissant de facteurs de risque, était associée à un risque augmenté de démence et à un déclin cognitif accéléré, quelle que soit la susceptibilité génétique des individus. Chaque augmentation d’un point de LIBRA (qui variait entre - 5,9 et 11,2 points dans la population étudiée) était associée à une augmentation de 9 % du risque de démence chez les non-porteurs de l’allèle APOEε4, et à une augmentation de 15 % de ce risque chez les porteurs. Des résultats similaires ont été obtenus en utilisant, au lieu de la présence de l’allèle APOEε4, le score de risque polygénique comme variable représentant la susceptibilité génétique pour la maladie d’Alzheimer. La Figure 1A présente le risque absolu de démence des participants à l’étude 3C à chaque temps du suivi, en fonction de leur génotype APOEε4 et de leur score LIBRA. Les résultats concernant le déclin cognitif étaient similaires. La Figure 1B montre les trajectoires moyennes de déclin cognitif estimées par un modèle linéaire mixte pour des participants types, avec un grand ou un petit score LIBRA et génétiquement à risque ou non (selon la présence de l’allèle APOEε4) de survenue d’une maladie d’Alzheimer. Chez les porteurs de l’allèle APOEε4 comme chez les non-porteurs de cet allèle, l’analyse de ces trajectoires indique que le stade de déclin cognitif atteint par un participant avec un grand score LIBRA après 5 ans de suivi était atteint 2 ans plus tard par un participant ayant un petit score LIBRA (i.e., cumulant moins de facteurs de risque non génétiques).
Figure 1 Risque absolu de démence (A) et trajectoires moyennes de déclin cognitif (B) au cours des 17 années du suivi des participants à l’étude 3C, selon leur score LIBRA et leur statut vis-à-vis de l’allèle APOEε4. Dans ces deux représentations graphiques, un petit score LIBRA correspond à un score égal à la borne supérieure du premier quartile (– 1,0 ), et un grand score LIBRA correspond à un score égal à la borne inférieure du dernier quartile (2,7) de la distribution du score LIBRA (compris entre – 5,9 et 11,2 points). |
Ces résultats, retrouvés dans d’autres grandes cohortes à l’échelle mondiale [9–12], portent un message optimiste : agir sur les facteurs modifiables liés au mode de vie pourrait être efficace pour diminuer le risque de démence quelle que soit la susceptibilité génétique pour la maladie d’Alzheimer, y compris chez les individus les plus à risque du fait de leur génotype, qui sont ainsi les plus concernés par le risque de maladie. Ces résultats issus d’études observationnelles devront être confirmés par des études cliniques interventionnelles « multimodales » (i.e., ciblant la modification de plusieurs facteurs de risque à la fois) pour établir formellement le lien causal entre les facteurs de risque et le déclin cognitif et affiner les stratégies de prévention.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
Figure 1 Risque absolu de démence (A) et trajectoires moyennes de déclin cognitif (B) au cours des 17 années du suivi des participants à l’étude 3C, selon leur score LIBRA et leur statut vis-à-vis de l’allèle APOEε4. Dans ces deux représentations graphiques, un petit score LIBRA correspond à un score égal à la borne supérieure du premier quartile (– 1,0 ), et un grand score LIBRA correspond à un score égal à la borne inférieure du dernier quartile (2,7) de la distribution du score LIBRA (compris entre – 5,9 et 11,2 points). |
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