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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 10, Octobre 2024
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Page(s) | 719 - 722 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024122 | |
Published online | 25 October 2024 |
Les cellules microgliales, gardiennes de l’intégrité tissulaire lors du développement prénatal du cerveau
Microglial cells: Guardians of tissue integrity during fetal brain development
1
Institut de biologie de l’École normale supérieure (IBENS), École normale supérieure, CNRS, Inserm, Université PSL Paris France
2
Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CIRB), Collège de France, CNRS, Inserm, Université PSL Paris France
3
Collège de France, Université PSL Paris France
Les cellules microgliales, qui sont les macrophages résidents du cerveau, contribuent au développement et au maintien des circuits cérébraux. Leurs rôles dans des processus clés, tels que la régulation de la myéline ou le remodelage synaptique, ainsi que leur dysfonctionnement dans de nombreuses maladies, ont été largement étudiés [1]. Élucider la diversité des états de ces cellules, surtout au cours du développement, du vieillissement et de la neurodégénérescence [2], est essentiel pour comprendre leur fonctionnement, tant en condition physiologique que pathologique. En particulier, les cellules microgliales « associées aux faisceaux d’axones » (axontract-associated microglia, ATM) ont été impliquées dans le développement postnatal de la substance blanche du cortex cérébral [2]. Ces cellules expriment alors des gènes spécifiques, et présentent des caractéristiques communes avec les cellules microgliales « associées à la maladie » (disease-associated microglia, DAM), qui sont impliquées dans les maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer [2].
Les cellules microgliales proviennent de cellules progénitrices produites dans le sac vitellin, et colonisent le cerveau de manière progressive et stéréotypée dès le début de l’embryogenèse : 9e jour embryonnaire (E9) chez la souris, et 4e semaine de gestation chez l’homme [3]. Pendant la vie prénatale, les cellules microgliales présentent une forte hétérogénéité morphologique et de localisation, avec des accumulations transitoires dans certaines régions cérébrales. Bien que les cellules microgliales représentent une part significative des cellules gliales pouvant influer sur le développement prénatal du cerveau et être impliquées dans ses anomalies, leurs fonctions développementales restent peu explorées [1]. Nous avons étudié le rôle de certaines accumulations de cellules microgliales dans le cerveau embryonnaire et analysé l’état cellulaire qui leur est associé [4].
Des cellules microgliales particulières s’accumulent à certaines frontières du cortex cérébral embryonnaire
Pour étudier l’hétérogénéité précoce des cellules microgliales, nous avons utilisé des données transcriptomiques de cellules uniques (single-cell RNAseq) [5], qui permettent d’identifier trois groupes de cellules microgliales embryonnaires (de E9 à E18) : des cellules en cycle prolifératif, des cellules hors cycle prolifératif, et des cellules dont le transcriptome ressemble à celui des cellules ATM post-natales, appelées cellules « ATM embryonnaires ».
Nous avons découvert que les cellules de cette dernière catégorie s’accumulent à deux frontières distinctes du cortex cérébral : la frontière corticostriato-amygdalienne (CSA) et la frontière cortico-septale (CSB). En utilisant diverses approches histologiques dans des modèles murins transgéniques, nous avons observé de manière systématique ces accumulations transitoires de cellules ATM embryonnaires, à partir de E14,5 à la frontière CSA, et à partir de E16,5 à la frontière CSB. Ces accumulations sont associées à une forte expression de marqueurs spécifiques des cellules ATM, tels que Spp1 (ostéopontine), mais aussi à des caractéristiques morphologiques et phagocytaires de cet état ATM (Figure 1). Nous avons également observé des accumulations de cellules microgliales exprimant des marqueurs des cellules ATM à la frontière CSA de cerveaux de fœtus humains âgés de 9 à 14 semaines.
Figure 1. Distribution des cellules microgliales embryonnaires « associées aux faisceaux d’axones ». Immunomarquages de coupes coronales de cerveaux d’embryons de souris montrant la distribution des cellules microgliales et leur accumulation à la frontière cortico-striato-amygdalienne (CSA) au stade E15, et à la frontière cortico-septale (CSB), sous le corps calleux (CC), au stade E18,5. Ces cellules sont détectées à l’aide du marqueur IBA1 (une petite protéine de liaison au calcium exprimée spécifiquement par les macrophages et les cellules de la microglie) à E15, et à l’aide du marqueur GFP (green fluorescent protein) chez des souris transgéniques Cx3cr1Gfp/+ (exprimant un récepteur de chimiokine CX3CR1 couplé à la GFP) à E18,5. Les images à plus fort grossissement montrent l’expression de la protéine SPP1 (ostéopontine), un marqueur des cellules microgliales « associées aux faisceaux d’axones » (axon-tract-associated microglia, ATM), par les cellules microgliales accumulées aux frontières CSA et CSB. Les noyaux cellulaires sont colorés en bleu par un marqueur fluorescent d’ADN (Hoechst). Barres d’échelle : 200 µm, sauf dans l’image à E18,5 à faible grossissement (800 µm). Ncx : néocortex ; Se : septum ; Str : striatum. |
Les cellules microgliales maintiennent l’intégrité tissulaire aux frontières
En combinant différents modèles de déplétion transitoire ou permanente des cellules microgliales chez la souris, nous avons montré que l’absence de ces cellules dans l’embryon entraîne la formation de grandes lésions cavitaires aux frontières CSA et CSB (Figure 2), ce qui témoigne d’un rôle essentiel des cellules microgliales dans le maintien de l’intégrité tissulaire à ces emplacements particuliers du cerveau prénatal. Nous avons constaté que lorsque les cellules microgliales sont absentes de manière permanente, ces lésions cavitaires finissent par être réparées, mais seulement après la première semaine post-natale. En revanche, en cas de déplétion transitoire, la repopulation des territoires lésés, par ces cellules, après la naissance suffit à entraîner une réparation rapide des lésions. Malgré la résorption des lésions, nous avons constaté ultérieurement l’existence de séquelles dans les circuits neuronaux locaux à la frontière CSA, ce qui indique qu’un défaut de cellules microgliales, même transitoire, pourrait avoir des conséquences fonctionnelles durables.
Figure 2. Conséquences de la déplétion microgliale embryonnaire. À gauche, schéma montrant la distribution des cellules microgliales dans le cerveau embryonnaire, incluant celles « associées aux faisceaux d’axones », qui s’accumulent aux frontières cortico-striato-amygdalienne (CSA) et cortico-septale (CSB). En condition physiologique, les cellules microgliales entourent des microlésions résultant de tensions morphogénétiques. À droite, en l’absence de cellules microgliales chez l’embryon, celles-ci ne peuvent pas protéger les frontières des tensions morphogénétiques, ce qui entraîne une exacerbation des microlésions, qui évoluent alors en lésions cavitaires étendues. L’invalidation du gène Spp1, qui code l’ostéopontine, provoque également des lésions plus sévères que les microlésions physiologiques, reproduisant ainsi partiellement le phénotype produit par l’absence totale de cellules microgliales. |
En outre, nous avons analysé des modèles murins dans lesquels des voies de signalisation précédemment impliquées dans les fonctions développementales déjà connues des cellules microgliales étaient inactivées, et n’y avons détecté aucune lésion cavitaire. Ainsi, aux frontières corticales où elles s’accumulent et expriment des marqueurs de « l’état ATM », les cellules microgliales embryonnaires jouent un rôle neuroprotecteur inédit en préservant l’intégrité tissulaire.
Les cellules microgliales « limitent la casse » face aux contraintes mécaniques
Plusieurs constats indiquent que les frontières corticales lésées en l’absence de cellules microgliales, qui sont connues pour subir une forte tension tissulaire liée à la croissance cérébrale, sont fragilisées par ces contraintes morphogénétiques. En effet, nous avons observé la présence physiologique de microlésions à la frontière CSA chez les embryons témoins. De plus, l’analyse de modèles murins mutants présentant de grandes modifications de la morphogénèse cérébrale a montré que l’augmentation des tensions morphogénétiques chez ces mutants entraîne la formation systématique et irréversible de lésions cavitaires à la frontière CSA. En revanche, la réduction des contraintes morphogénétiques chez d’autres mutants réduit aussi la sévérité des lésions provoquées par l’absence de cellules microgliales à la frontière CSA.
En nous fondant sur ces constats, nous suggérons que les cellules microgliales présentes à la frontière CSA limitent la progression des microlésions vers des lésions cavitaires en réponse aux contraintes morphogénétiques physiologiques.
Nous avons également constaté le caractère dynamique de l’expression des marqueurs de cellules ATM par les cellules microgliales qui s’accumulent à la frontière CSA. Notamment, les modifications des contraintes morphogénétiques dans les modèles murins mutants induisent des changements dans l’expression de ces marqueurs. En outre, l’induction de lésions mécaniques dans le néocortex embryonnaire entraîne également une accumulation de cellules microgliales exprimant ces marqueurs. Ces résultats indiquent que « l’état ATM » des cellules microgliales embryonnaires peut être lié aux contraintes morphogénétiques et aux perturbations tissulaires mécaniques.
Les cellules microgliales et l’ostéopontine contribuent à la réparation rapide des lésions aux frontières corticales
Pour tenter de comprendre l’effet protecteur des cellules microgliales embryonnaires, nous avons exploré le rôle du gène Spp1, qui code l’ostéopontine, une protéine de la matrice extracellulaire produite par les cellules ATM. En effet, l’ostéopontine a précédemment été impliquée dans l’adhérence cellulaire, le remodelage et la cicatrisation tissulaire, ainsi que dans les maladies neurodégénératives [6, 7]. Il a notamment été montré, dans des phases précoces de la maladie d’Alzheimer, que cette protéine promeut la phagocytose microgliale [8]. Nous avons constaté que les embryons de souris invalidés pour Spp1 (Spp1-/-) présentent une prévalence élevée de lésions cavitaires transitoires aux frontières CSA et CSB, ce qui indique un rôle protecteur partiel de l’ostéopontine dans le maintien de l’intégrité tissulaire (Figure 2). En cohérence avec ce constat, des analyses transcriptomiques et histologiques chez les souris Spp1-/- indiquent que les fonctions phagocytaires des cellules microgliales et leur interaction avec la matrice extracellulaire sont perturbées. Enfin, la déplétion transitoire des cellules microgliales chez les embryons Spp1-/- entrave la résorption rapide des lésions cavitaires pendant les premiers jours post-natals. Bien que l’invalidation seule de Spp1 ne reproduise pas entièrement les conséquences de la déplétion des cellules microgliales, nos résultats indiquent que l’ostéopontine contribue à l’effet neuroprotecteur des cellules microgliales, en participant au maintien de l’intégrité du tissu, mais aussi à sa réparation.
Perspectives
Cette étude a révélé le rôle des cellules microgliales embryonnaires dans le maintien de l’intégrité du tissu cérébral à certaines frontières corticales face aux contraintes morphogénétiques physiologiques et aux microlésions tissulaires qui en résultent (Figure 2). Nous avons également montré que l’ostéopontine contribue à cet effet protecteur des cellules microgliales, ce qui renforce son potentiel de cible thérapeutique dans certaines maladies cérébrales [7]. Il convient de noter que ce rôle des cellules microgliales dans le développement cérébral a lieu avant l’émergence d’autres cellules gliales potentiellement redondantes ou complémentaires, comme les astrocytes, qui commencent à être produits en fin d’embryogenèse [1, 4, 7]. Les effets à long-terme de l’absence précoce de cellules microgliales dans le cerveau embryonnaire, malgré la résorption des lésions cavitaires pendant la vie postnatale, soulignent l’importance de ces cellules immunitaires dans le développement cérébral, et soulèvent la question du rôle de leur dysfonctionnement dans la pathogenèse des troubles neuro-développementaux. En effet, dans un contexte neuro-développemental pathologique chez l’homme, des lésions sont souvent associées à une activation anormale des cellules microgliales en réponse à divers facteurs, comme l’hypoxie, l’inflammation, la naissance prématurée, ou encore les infections virales congénitales [1, 4, 9]. Par exemple, la présence de kystes bilatéraux dans les lobes temporaux, où se situe la frontière CSA, ou encore de cavités médianes comme le cavum septum pellucidum à la frontière CSB, a été observée dans plusieurs contextes pathologiques chez l’homme [9, 10]. Nous suggérons que ces lésions pourraient résulter d’une perte de l’effet neuroprotecteur des cellules microgliales à des stades clés de la morphogenèse cérébrale. De plus, les cellules ATM présentent un profil transcriptomique similaire à celui des cellules DAM, qui sont associées à la neurodégénérescence. Ainsi, une meilleure compréhension fonctionnelle de « l’état cellulaire développemental ATM » pourrait également éclairer la physiopathologie des maladies neurodégénératives.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
Figure 1. Distribution des cellules microgliales embryonnaires « associées aux faisceaux d’axones ». Immunomarquages de coupes coronales de cerveaux d’embryons de souris montrant la distribution des cellules microgliales et leur accumulation à la frontière cortico-striato-amygdalienne (CSA) au stade E15, et à la frontière cortico-septale (CSB), sous le corps calleux (CC), au stade E18,5. Ces cellules sont détectées à l’aide du marqueur IBA1 (une petite protéine de liaison au calcium exprimée spécifiquement par les macrophages et les cellules de la microglie) à E15, et à l’aide du marqueur GFP (green fluorescent protein) chez des souris transgéniques Cx3cr1Gfp/+ (exprimant un récepteur de chimiokine CX3CR1 couplé à la GFP) à E18,5. Les images à plus fort grossissement montrent l’expression de la protéine SPP1 (ostéopontine), un marqueur des cellules microgliales « associées aux faisceaux d’axones » (axon-tract-associated microglia, ATM), par les cellules microgliales accumulées aux frontières CSA et CSB. Les noyaux cellulaires sont colorés en bleu par un marqueur fluorescent d’ADN (Hoechst). Barres d’échelle : 200 µm, sauf dans l’image à E18,5 à faible grossissement (800 µm). Ncx : néocortex ; Se : septum ; Str : striatum. |
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Figure 2. Conséquences de la déplétion microgliale embryonnaire. À gauche, schéma montrant la distribution des cellules microgliales dans le cerveau embryonnaire, incluant celles « associées aux faisceaux d’axones », qui s’accumulent aux frontières cortico-striato-amygdalienne (CSA) et cortico-septale (CSB). En condition physiologique, les cellules microgliales entourent des microlésions résultant de tensions morphogénétiques. À droite, en l’absence de cellules microgliales chez l’embryon, celles-ci ne peuvent pas protéger les frontières des tensions morphogénétiques, ce qui entraîne une exacerbation des microlésions, qui évoluent alors en lésions cavitaires étendues. L’invalidation du gène Spp1, qui code l’ostéopontine, provoque également des lésions plus sévères que les microlésions physiologiques, reproduisant ainsi partiellement le phénotype produit par l’absence totale de cellules microgliales. |
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