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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
Les mots de la science
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Page(s) | 671 - 671 | |
Section | Repères | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024092 | |
Published online | 20 September 2024 |
Anthropocène
Anthropocene
Centre de recherche sur l’inflammation Inserm U 1149, université Paris Cité faculté de mé decine, site Bichat, Paris France
Le concept d’« anthropocène » fait débat [1]. Au commencement, était une question : l’impact de l’activité humaine sur les ressources de notre biosphère – le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la pollution de l’air et de l’eau, l’acidification des océans, la déforestation… – nous a-t-il fait basculer dans une nouvelle période géologique ? En d’autres termes, l’homme (anthropos en grec) est-il devenu une force géologique telle qu’il définirait à lui seul un nouveau temps (kainos en grec) géologique ?
Peut-être ignorez-vous que nous vivions, au moins jusqu’il y a peu, à l’holocène de l’ère quaternaire, dont le début correspond à la fin de la dernière période glaciaire, et qui a permis l’implantation de nos sociétés humaines. Littéralement, holocène signifie le « tout nouveau », le « tout récent »… qui date néanmoins de quelque 11 700 ans ! Avant lui, le pléistocène, caractérisé par des périodes de glaciations cycliques, avait duré plusieurs millions d’années. Évidemment, à cette échelle de temps, l’humanité semble bien jeune et surtout fort précaire. Il y a urgence : nous vivons à crédit, et la terre est en péril ! Mais la terre a plus de quatre milliards d’années, et le cosmos, à l’heure du big bang, environ 13,7 milliards ! À ce titre, les géologues, aptes à décider si nous avons, ou non, changé de période géologique, ont raison de ne pas se presser. Adopter le passage à l’holocène leur avait d’ailleurs pris plus de 50 ans !
Mais revenons à l’anthropocène. Si le terme a initialement été évoqué dans les années 1920 par un géologue russe, il a surtout été popularisé en 2000 par l’américain Eugene Stoermer, biologiste écologue, et par le néerlandais Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995 pour ses travaux sur l’atmosphère et l’ozone. À tel point que l’humanité s’est emparée du terme avant même que les géologues aient pu l’entériner. Il faut en effet des preuves scientifiques tangibles pour déterminer si et quand l’activité humaine est devenue la contrainte géologique dominante. Un groupe de travail (anthropocene working group, AWG) est donc créé en 2009 par la commission internationale sur la stratigraphie du Quaternaire (ICS). Place à la science ! La méthode classique consiste à identifier un point stratotypique mondial, appelé « clou d’or », c’est-à-dire un lieu où les couches de sédiments reflètent les changements géochimiques dans le temps, grâce à la présence datable de signaux, tels que des isotopes radioactifs, des microplastiques, des résidus de fossiles… Le clou d’or permet ainsi de définir la date approximative de « l’entrée en cène ». Des douze propositions publiées en 2023 dans la revue scientifique Anthropocene Review, trois localisations ont initialement retenu l’attention : elles sont situées respectivement au Japon dans la baie de Beppu, en Chine dans le lac de Sihailongwan, et au Canada dans le lac Crawford, non loin de Toronto. C’est finalement ce dernier, avec son plutonium issu des essais de bombes à hydrogène et déposé dans les sédiments du lac en 1952, qui semble avoir remporté la palme. Alors, sommes-nous entrés dans l’anthropocène en 1950, comme le proposent les membres de l’AWG ? En mars 2024, l’Union internationale des sciences géologiques a rejeté cette proposition, soulevant de vives objections. Et le débat va bien au delà de la sphère des géologues, car l’idée même que l’espèce humaine soit seule responsable du changement de période géologique ne fait pas l’unanimité [2]. Certains débatteurs opposent au concept d’anthropocène celui de « capitalocène », qui pointe du doigt non pas l’humanité tout entière, mais notre système économique dominant ! Une suggestion fondée sur le constat que 1 % de la population la plus riche émet deux fois plus de carbone que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Et c’est pourtant cette dernière qui aura le plus à pâtir des conséquences de ce changement de période géologique. Affaire à suivre…
Références
- Editorials. Are we in the Anthropocene yet? Nature 2024 ; 627 : 466. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Dictionnaire critique de l’anthropocène. Paris : CNRS Éditions, 2020. [Google Scholar]
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