Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 587 - 589
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024078
Published online 08 July 2024

La psychoneuroimmunologie est la science qui explore les liens entre l’immunité, le comportement et la neurologie. Ces interactions restent en grande partie non élucidées et couvrent différentes situations, dont l’allergie alimentaire. L’allergie est une réaction d’hypersensibilité fréquente, dite immédiate ou de type I, selon la classification de Gell et Coombs, qui présente un risque élevé de mortalité en cas d’anaphylaxie. Cette réaction débute avec une première phase, dite de sensibilisation, qui fait suite au premier contact avec un allergène. Il en découle la mise en place de réponses immunitaires spécifiques, dites de type 2, avec la différenciation des lymphocytes T auxiliaires (LT CD4+) en lymphocytes T (LT) effecteurs de type 2 (Th2). Les LT Th2 sécrètent des molécules de signalisation, telles que les interleukines (IL) IL-4, IL-5, IL-9 et IL-13. Ces cytokines favorisent la sécrétion d’immunoglobulines E (IgE) par les lymphocytes B activés et spécifiques de l’allergène. Les IgE seront alors fixées, par le biais des récepteurs de haute affinité pour la portion Fc des IgE (FcεRI), à la surface des mastocytes, acteurs de la réaction inflammatoire. La deuxième phase, dite phase effectrice, intervient lors d’un second contact avec l’allergène. La reconnaissance de l’allergène par les IgE fixées à la membrane du mastocyte induit sa dégranulation et la libération de médiateurs pro-inflammatoires, tels que l’histamine, les leucotriènes et les prostaglandines, responsables des symptômes locaux caractéristiques de l’allergie [1].

Les réponses immunitaires locales, et notamment intestinales, sont détectées par le système nerveux qui agit alors de façon complexe à l’échelle du corps entier. En effet, les neurones sensoriels des tissus intestinaux recueillent des informations, traduites ensuite par le système nerveux sous la forme de douleur, de neuromédiateurs ou de cytokines. Cela permet d’orienter et de moduler la fonction immunitaire et d’entraîner un comportement d’évitement [2].

Face à l’exposition quotidienne aux allergènes, des réflexes émergent pour éviter les réponses allergiques et ses effets indésirables. Une communication neuro-immunologique est mise en place et influence la façon dont un individu interagit avec son environnement [3] (Figure 1). Des études se sont intéressées aux origines biologiques du comportement d’évitement. En plus des influences environnementales, sociales, d’apprentissage lié à la douleur ainsi que les sens, tels que l’odorat et le goût [4], des molécules inflammatoires pourraient ainsi établir une connexion complexe avec le système nerveux central par le biais de nocicepteurs ou de chimiorécepteurs.

thumbnail Figure 1.

Psychoneuroimmunologie : lien entre l’exposition à un allergène et les comportements d’évitement. Lors d’un test d’évitement, les souris ont accès à deux biberons (A) : un premier contenant un allergène, l’ovalbumine (OVA) et du sucre. Le second biberon contient de l’eau simple pour laquelle les souris ont naturellement moins d’appétence. Lors d’une deuxième exposition, les souris développent une immunité de type 2 aboutissant à une dégranulation mastocytaire, et des effets indésirables notamment intestinaux (B). La résultante comportementale est un évitement de l’allergène autrefois privilégié. Il existe un probable dialogue entre cette réaction inflammatoire de type II et le système nerveux. Les acteurs neurologiques supposés sont le système nerveux autonome, et des structures cérébrales spécialisées NPB (noyau parabrachial), NTS (nucleus tractus solitaire amygdale centrale) et le centre de contrôle du vomissement localisé au sein de l’AP (area postrema) (C). Ces interactions complexes entre immunité et système nerveux semblent être la clé de l’évitement de l’allergène observé chez la souris. TCR : T cell receptor ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ; IgE : immunoglobuline E ; GDF15 : growth Reand differentiation factor 15) ; IL : interleukine (figure créée avec Biorender.com).

Mastocytes et IgE : un duo essentiel au comportement d’évitement

Dans une étude récente, Plum et al. ont réalisé différentes expériences sur des souris afin d’examiner le rôle des mastocytes dans le comportement d’évitement [5]. Pour cela, ils ont immunisé des souris sauvages (WT pour wild type) ou des souris déficientes en mastocytes (Cpa3Cre/+) avec de l’ovalbumine (OVA), un modèle d’allergène. Ces deux groupes de souris ainsi que 2 groupes contrôles de souris déficientes en mastocytes et WT mais non-immunisées ont ensuite été confrontés à un test d’évitement de la boisson précédemment établi par Cara et al. Ce test d’évitement repose sur la préférence ou non des souris à boire de l’eau enrichie en sucre et en ovalbumine en comparaison à de l’eau sans additif [6]. En conditions normales, les souris non allergiques (déficientes en mastocytes ou non) boivent l’eau enrichie. À l’inverse, les souris immunisées WT non déficientes en mastocytes changent de comportement et préfèrent l’eau normale non-supplémentée (Figure 1A). Ce résultat met en évidence un changement de comportement dicté par le système immunitaire, évitant des manifestations indésirables, notamment digestives, et conduisant à l’évitement d’une molécule potentiellement dangereuse. En comparaison, les souris immunisées déficientes en mastocytes n’évitent pas l’eau contenant l’allergène, et ne présentent pas de manifestations cliniques de l’allergie. Ces observations renforcent ainsi l’hypothèse d’une participation majeure des mastocytes au comportement d’évitement des souris.

Les mastocytes étant activés par les IgE via les FcεRI, les auteurs ont étudié l’éventuelle implication des IgE dans le comportement d’évitement. Le même schéma expérimental que précédemment a été suivi, avec des souris déficientes ou non en IgE (respectivement Igh-7+/+ ou Igh-7-/-). Les souris Igh-7-/- déficientes en IgE n’ont pas évité l’eau enrichie contrairement aux souris Igh-7+/+. Ces expériences montrent que les mastocytes ainsi que les IgE sont impliqués dans la mise en place du comportement d’évitement.

L’exposition à l’antigène oral OVA active principalement les mastocytes de l’intestin grêle

Le rôle des acteurs locaux dans la mise en place du comportement d’évitement a été établi. Lors de l’ingestion de l’allergène, seuls les mastocytes des tissus de l’estomac et de l’intestin sont activés. En effet, l’exploration des modulations d’expression des gènes dans les différents segments du tube digestif chez les souris suite à l’exposition à l’allergène a permis de confirmer l’activation locale des mastocytes et d’identifier les gènes spécifiquement modulés lors du comportement d’évitement. Parmi ces gènes, on retrouve des gènes liés à l’activité des mastocytes, dont ceux codant les Mcpt1/2 (mast cell proteases 1 et 2) ou encore d’autres acteurs de l’hypersensibilité. Ces gènes identifiés chez les souris non évitantes et associés à une signature inflammatoire locale ne le sont plus chez les souris qui se préservent de l’ingestion de l’allergène.

Leucotriène : médiateur principal du comportement d’évitement

Lors de leur activation, les mastocytes libèrent des médiateurs lipidiques tels que les prostaglandines et les leucotriènes, capables d’activer les neurones sensoriels (Figure 1B). La contribution des leucotriènes au comportement d’évitement a été spécifiquement évaluée suite à l’inhibition de la protéine FLAP (5-lipoxygenase activating protein), une protéine impliquée dans la production des médiateurs à partir de phospholipides. Ce blocage de formation des leucotriènes chez les souris avant de les soumettre au test d’évitement a montré une réduction de l’évitement de l’eau contenant l’antigène. En effet, les souris traitées avec l’inhibiteur de FLAP continuent à boire l’eau enrichie en ovalbumine malgré leur sensibilisation préalable. Contrairement aux leucotriènes, l’histamine et la tryptase, deux médiateurs majeurs associés à l’activité des mastocytes, ne semblent exercer aucune influence sur le comportement des souris. À noter que le comportement d’évitement observé chez certaines souris était mis en place très rapidement (quelques minutes/premier jour), ce qui pourrait s’expliquer par l’action de facteurs présents dans la circulation sanguine, ou encore par un signalement direct des mastocytes aux neurones.

Comportement d’évitement : un exemple d’interaction neuro-immunologique ?

Ainsi, l’interface intestinale est le siège d’interactions complexes entre neurones et cellules de l’immunité. Cette communication pourrait se faire notamment par le biais du système nerveux autonome. Pour tester l’hypothèse d’une communication entre mastocytes et neurones végétatifs, les auteurs ont réalisé deux expériences d’inhibition : la vagotomie, inhibant le fonctionnement du système parasympathique, et le traitement par résinifératoxine (RTX), un inhibiteur de Trpv1 (récepteur ionotrope) limitant l’action de certains neurones du système sympathique. Ces expériences n’ont pas permis de mettre en évidence l’influence de ces voies neuronales sur le comportement d’évitement des souris. Toutefois, l’action inhibitrice exercée ne s’applique que sur une fraction de neurones de ces voies et on ne peut exclure également qu’une interaction indirecte puisse s’établir par le biais d’une cellule intermédiaire.

Conclusion et perspectives

Finalement, ces observations démontrent que la détection immunitaire des allergènes conduit à la génération de comportements aversifs visant à minimiser l’exposition à des substances nocives, y compris les allergènes. Les mastocytes prennent une place centrale dans l’induction de l’évitement comportemental face aux allergènes et ouvrent les portes vers de nouvelles perspectives de compréhension [7].

Pour que ce processus défensif puisse avoir lieu lors d’une allergie alimentaire, une communication entre le système immunitaire, le système nerveux entérique (SNE) et enfin le système nerveux autonome (SNA) se met en place [7]. Ainsi, les molécules de signalisation telles que les leucotriènes ou des neurotransmetteurs (acétylcholine, substance P) peuvent participer à ce dialogue. Récemment, Florsheim et al. ont décrit un potentiel nouvel acteur du comportement d’évitement, le GDF15 (growth and differentiation factor 15). Il s’agit d’une cytokine produite en réponse à un stimulus inflammatoire et dont la production est potentiellement favorisée par les leucotriènes. GDF15 a une action sur l’area postrema, formation anatomique comportant les centres du vomissement [8]. D’autres modèles d’étude novateurs permettraient de mieux comprendre leurs interconnexions, incluant éventuellement d’autres acteurs cellulaires [9]. Par exemple, des populations cellulaires telles que les cellules souches mésenchymateuses intestinales expriment fortement le récepteur des leucotriènes et pourraient être impliquées dans l’évitement comportemental [10]. Ces nouveaux processus neurologiques, en lien avec les mécanismes de l’allergie, placent la régulation nerveuse comme nouvelle piste thérapeutique potentielle. Toutefois, il serait important d’adopter une approche holistique dans ce type de recherche en intégrant également le goût, la vision et l’olfaction puisque ces sens influencent notre comportement au sein de notre environnement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Abbas AK, Lichtman AH, Pillai S. Les bases de l’immunologie fondamentale et clinique. Paris: Elsevier Masson, 2016 : pp. 188–189. [Google Scholar]
  2. Yang D, Almanzar N, Chiu IM. The role of cellular and molecular neuroimmune crosstalk in gut immunity. Cell Mol Immunol 2023; 20 : 1259–69. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Zhang X, Lei B, Yuan Y, et al. Brain control of humoral immune responses amenable to behavioural modulation. Nature 2020; 581 : 204–8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Kavaliers M, Choleris E, Ågmo A, et al. Olfactory-mediated parasite recognition and avoidance: linking genes to behavior. Hormones and Behavior 2004 ; 46 : 272–283. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Plum T, Binzberger R, Thiele R, et al. Mast cells link immune sensing to antigen-avoidance behaviour. Nature 2023; 620 : 634–42. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Costa-Pinto FA, Basso AS. Neural and Behavioral Correlates of Food Allergy. Chem Immunol Allergy 2012 ; 98 : 222–239. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Konstantinou GN, Koulias C, Petalas K, et al. Further Understanding of Neuro-Immune Interactions in Allergy: Implications in Pathophysiology and Role in Disease Progression. JAA 2022; 15 : 1273–91. [CrossRef] [Google Scholar]
  8. Florsheim EB, Bachtel ND, Cullen JL, et al. Immune sensing of food allergens promotes avoidance behaviour. Nature 2023; 620 : 643–50. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Xu H, Shi X, Li X, et al. Neurotransmitter and neuropeptide regulation of mast cell function: a systematic review. J Neuroinflammation 2020; 17 : 356. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Sumagin R, Parkos CA. Epithelial adhesion molecules and the regulation of intestinal homeostasis during neutrophil transepithelial migration. Tissue Barriers 2015 ; 3 : 1–2. [Google Scholar]

© 2024 médecine/sciences – Inserm

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Psychoneuroimmunologie : lien entre l’exposition à un allergène et les comportements d’évitement. Lors d’un test d’évitement, les souris ont accès à deux biberons (A) : un premier contenant un allergène, l’ovalbumine (OVA) et du sucre. Le second biberon contient de l’eau simple pour laquelle les souris ont naturellement moins d’appétence. Lors d’une deuxième exposition, les souris développent une immunité de type 2 aboutissant à une dégranulation mastocytaire, et des effets indésirables notamment intestinaux (B). La résultante comportementale est un évitement de l’allergène autrefois privilégié. Il existe un probable dialogue entre cette réaction inflammatoire de type II et le système nerveux. Les acteurs neurologiques supposés sont le système nerveux autonome, et des structures cérébrales spécialisées NPB (noyau parabrachial), NTS (nucleus tractus solitaire amygdale centrale) et le centre de contrôle du vomissement localisé au sein de l’AP (area postrema) (C). Ces interactions complexes entre immunité et système nerveux semblent être la clé de l’évitement de l’allergène observé chez la souris. TCR : T cell receptor ; CMH : complexe majeur d’histocompatibilité ; IgE : immunoglobuline E ; GDF15 : growth Reand differentiation factor 15) ; IL : interleukine (figure créée avec Biorender.com).

Dans le texte

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.