Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
Page(s) 560 - 561
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024069
Published online 08 July 2024

Vignette (© Pixabay).

« Whats’s in your genome? », c’est le titre du livre publié en 2023 par Laurence (Larry) A. Moran1 [1] avec pour sous-titre « 90% of your genome is junk ». C’est une idée maintenant ancienne, mais qui est remise régulièrement en question. Le junk DNA (ou ADN poubelle) est l’ADN réputé sans fonction utile pour l’organisme. Il serait la conséquence des limites de la sélection naturelle, qui ne peut éliminer les séquences d’ADN qui réduisent peu, ou pas, la valeur sélective de l’organisme, bien qu’elles ne contribuent pas à la fraction utile du génome pour l’organisme. Comprendre ce que représente le junk DNA est essentiel à l’interprétation du déluge de résultats issus des différentes techniques « omiques », et plus généralement pour quiconque souhaite comprendre les mécanismes fondamentaux de l’évolution du vivant.

Pour expliquer le concept de junk DNA, Laurence A. Moran a choisi une approche chronologique. Sept chapitres sont consacrés à décrire les principales étapes qui ont permis de dégager, puis de consolider le concept de junk DNA. Moran montre que ce concept apparaît dès les années 1940, alors qu’on ne disposait encore que d’informations très limitées sur les génomes, en particulier sur les génomes de grande taille, comme le génome humain. Des fondateurs de la génétique des populations, en particulier John Burdon Sanderson Haldane et Hermann Joseph Muller, proposèrent que l’espèce humaine ne devrait pas avoir plus de 30 000 gènes sur la base du calcul du fardeau de mutations. Connaissant le taux d’apparition de mutations délétères par gène, identifiées par les maladies génétiques, ils estimèrent le nombre maximum de gènes qui peuvent être présents dans notre génome sans que tout nouveau-né soit porteur d’une maladie génétique. Cette estimation est étonnamment précise car on sait aujourd’hui qu’il y a dans notre génome environ 20 000 gènes codant des protéines utiles, quelques milliers de gènes transcrits en ARN non codants utiles, et qu’une petite fraction du génome correspond à des séquences régulatrices non transcrites. Avec la possibilité de séquencer l’ADN à partir des années 1970, il apparut que l’ADN codant une protéine, plus les régions régulatrices associées, occupe, en moyenne, environ 2 000 paires de bases (pb). Comme on connaissait déjà assez précisément la taille du génome humain (un génome haploïde humain mesure environ 3,2 × 109 pb), il était clair que même en considérant la fraction d’ADN utile qui ne code pas des protéines, il y aurait au moins 90 % de l’ADN qui n’est pas utile à l’organisme. Depuis les années 1980, on a cherché à comprendre la composition de ce junk DNA. Le junk DNA est en fait constitué essentiellement des séquences de transposons, qui produisent beaucoup de copies d’eux-mêmes, même si elles ont plutôt des effets délétères au niveau de l’organisme. Il y a aussi beaucoup de gènes inactifs, les pseudogènes.

Laurence A. Moran introduit alors le problème de l’« ego dégonflé » (The Deflated Ego Problem). L’homme s’est en effet lui-même défini comme un organisme exceptionnellement complexe, et il a fait l’hypothèse que ceci impliquerait un génome exceptionnellement riche en gènes codant des protéines, en ARN non codants et en séquences régulatrices. La génomique comparative a montré qu’il n’en est rien, et que notre génome est plutôt banal, avec évidemment des caractéristiques spécifiques, mais c’est vrai aussi pour toutes les autres espèces.

Le huitième chapitre de l’ouvrage porte sur le junk RNA. Bien que sans fonction, le junk DNA est en effet transcrit en ARN, donc en ARN a priori sans fonction utile au niveau de l’organisme. Laurence A. Moran, qui est biochimiste, montre que la nature des mécanismes moléculaires de la transcription, et les limites de la sélection naturelle quand les transcrits inutiles produits réduisent peu, ou pas, la valeur sélective de l’organisme, sont à l’origine du junk RNA.

Laurence A. Moran discute ensuite la façon dont l’hypothèse du junk DNA et du junk RNA est régulièrement attaquée. Souvent, le junk DNA et le junk RNA sont présentés dans la littérature « omique » comme de la « matière noire », c’est-à-dire de l’ADN et de l’ARN aux fonctions inconnues, mais nécessaires. Moran montre, en citant la littérature la plus récente dans le domaine, comment les attaques venant du monde scientifique ont toutes été repoussées. La principale attaque date de 2012, par le consortium ENCODE (Encyclopedia of DNA Elements). Avec une publicité très tapageuse, dans les plus importants journaux scientifiques, mais aussi dans les journaux d’information générale, ENCODE proposa que, sur la base du fait que presque tout le génome est transcrit, presque tout le génome est utile, et que ce constat signe la fin du junk DNA. Peu après, nous avions résumé dans des articles publiés dans médecine/sciences les principales critiques à cette nouvelle théorie [2, 3] (→).

(→) Voir les Forums de D. Casane et P. Laurenti, m/s n° 12,décembre 2014, page 1177, et m/s n° 6-7, juin-juillet 2015, page 680

Depuis, ENCODE a continué à produire des quantités de données, mais, sagement, il ne fait plus référence à une nouvelle théorie révolutionnaire et à la fin du junk DNA dans ses dernières publications. Moran rappelle que, pourtant, cette hypothèse survit dans le monde des idées, en particulier chez les tenants de l’« intelligent design ». En effet, l’idée que notre génome est essentiellement de l’ADN sans fonction pour l’organisme et qu’il est constitué de morceaux de vieux gènes cassés et de parasites génomiques, parmi lesquels surnagent quelques gènes et séquences régulatrices, n’est pas très conforme à l’idée d’un « grand architecte » tout puissant et très « intelligent ». Moran souligne aussi que les projets de « omiques » sont souvent portés par des chercheurs dont la formation est insuffisante en biologie évolutive en général et en évolution moléculaire en particulier. D’où des dérapages relativement fréquents comme ceux d’ENCODE.

Le dixième chapitre montre que le concept de génome « tout utile » ne peut pas être sauvé en considérant les mécanismes de régulation de l’expression des gènes, ceux-ci impliquant parfois des séquences régulatrices très éloignées du gène dont elles contrôlent l’expression. Finalement, les idées développées sont synthétisées dans le onzième chapitre de l’ouvrage.

Cet ouvrage appartient à une catégorie rare. Ce n’est en effet pas un livre très technique, chargé des équations dont se régalent les théoriciens de l’évolution, ni un livre de vulgarisation scientifique, dans lequel les concepts sont tellement déformés qu’il ne reste plus au final qu’une vague relation avec les idées de départ. Encore moins une défense pour une énième théorie révolutionnaire prétendant nous obliger à réécrire nos livres et à jeter nos cours à la poubelle. En introduction à son ouvrage, Moran déclare écrire pour un public qui peut s’intéresser à cette question fondamentale, le contenu des génomes, et qui a, aussi, des bases suffisantes en biologie pour comprendre quelques idées relativement complexes. Les lecteurs de médecine/sciences satisfont à ce critère, et beaucoup pourraient trouver un grand intérêt à ce livre. Il dévoile de manière très progressive le consensus scientifique actuel sur le contenu des génomes sans jamais céder à la facilité. La lecture de la riche et très bien choisie bibliographie, qui couvre huit décennies de recherche, permettra de comprendre les détails techniques, parfois complexes, du consensus actuel sur la composition du génome humain.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Laurence A. Moran est professeur émérite au département de biochimie de l’université de Toronto. Ses principaux intérêts en recherche sont l’expression des gènes, les génomes et l’évolution moléculaire. Il est coauteur de plusieurs manuels de biochimie, et s’intéresse à l’enseignement des sciences (Source : UTP, University of Toronto Press).

Références

  1. Moran LA. What’s in Your Genome? Toronto : University of Toronto Press, 2023, 372 p. [Google Scholar]
  2. Casane D, Laurenti P. Syllogomanie moléculaire : l’ADN non codant enrichit le jeu des possibles. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 1177–1183. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Casane D, Fumey J, Laurenti P. L’apophénie d’ENCODE ou Pangloss examine le génome humain. Med Sci (Paris) 2015 ; 31 : 680–686. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]

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