Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 2, Février 2024
Chroniques génomiques
Page(s) 199 - 201
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023223
Published online 27 February 2024

© 2024 médecine/sciences – Inserm

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L’approche du génome fœtal

Depuis la découverte de la présence d’ADN fœtal dans le plasma du sang maternel [1], des approches successives ont été développées au fil des années afin d’exploiter ce fait pour en tirer des techniques de diagnostic prénatal non invasif permettant d’éviter le risque (faible, mais non nul) d’une amniocentèse ou d’un prélèvement de villosités choriales. On trouvera un historique rapide mais pertinent dans un bref article de Dennis Lo (découvreur de cet ADN) paru à l’occasion de l’obtention du prix Lasker 2022 [2]. La proportion d’ADN fœtal dans le sang maternel est relativement faible, de quelques pour cent à 20 ou 30 % selon les cas et le stade de la grossesse, mais il s’est avéré possible d’analyser globalement l’ADN du plasma (cfDNA, pour cell-free DNA), d’évaluer la fraction d’ADN fœtal et d’obtenir des informations sur celui-ci par des techniques quantitatives précises permettant la détection, par exemple, d’une trisomie 21 chez le fœtus, même en présence d’un très fort excès d’ADN maternel. Au fil des années, ce diagnostic prénatal non invasif a été étendu aux trisomies des chromosomes 13 et 18, ainsi qu’à quelques aberrations chromosomiques. Dans un premier temps l’analyse de l’ADN reposait sur la PCR (polymerase chain reaction) quantitative ciblée sur quelques séquences spécifiques ; à partir de la fin des années 2000 les nouvelles techniques de séquençage rapide (NGS, pour new generation sequencing) ont été mises à profit pour séquencer des millions de molécules d’ADN présentes dans le plasma maternel (cfDNA) afin d’en tirer les informations recherchées par une analyse bioinformatique sophistiquée. Il était dès lors possible, du moins en principe, d’accéder à l’ensemble de la séquence du génome du fœtus [3].

Vers le dépistage de mutations ponctuelles

À ce point, on pouvait sérieusement envisager la détection de mutations ponctuelles présentes chez le fœtus, et cela fut démontré par plusieurs équipes. Signalons notamment un article émanant principalement du Baylor College (Houston, États-Unis) et de l’université de Hong Kong [4]. Ces auteurs ont cherché à détecter des mutations dans trente gènes associés à des affections monogéniques relativement fréquentes (de 4 à 20 cas sur 100 000 naissances). Pour ce faire, ils ont enrichi l’ADN du plasma maternel par hybridation avec un jeu de sondes représentant ces gènes, puis l’ont séquencé à forte redondance avec un certain nombre de mesures pour limiter l’influence des erreurs liées à la construction des librairies ou au séquençage. L’étude a porté sur 422 femmes enceintes dont une partie présentait des résultats anormaux à l’échographie, et a révélé 35 cas de mutation dans l’un des gènes examinés. Pour une partie de ces cas, les résultats d’une analyse ultérieure (amniocentèse, ou analyse post-natale) ont pu être obtenus : ils ont à chaque fois confirmé les conclusions du test non invasif. Au total, pour les cas qui ont pu être vérifiés, l’étude a révélé 20 vrais positifs, 127 vrais négatifs, et aucun faux-positif ni faux-négatif. Ce sont donc d’excellentes performances qui montrent la possibilité d’analyser de manière non invasive l’ADN fœtal dans l’ADN plasmatique maternel (cfDNA) en examinant simultanément plusieurs dizaines de gènes. C’est un réel progrès, mais l’analyse reste limitée à un nombre relativement restreint de gènes définis à l’avance : idéalement, on aimerait pouvoir détecter toute anomalie présente dans l’ADN du fœtus.

Novembre 2023 : on passe à l’exome entier

Deux « lettres à l’éditeur » parues fin novembre 2023 dans le New England Journal of Medicine [5,6] montrent qu’une étape importante a été franchie : de quelques gènes, on est maintenant passé à l’ensemble de l’exome du fœtus (soit l’ensemble des séquences codantes, environ 2 % du génome, soixante millions de bases et plus de 20 000 gènes). C’est un pas considérable puisque cela ouvre l’accès à l’essentiel du patrimoine génétique du fœtus et permet d’envisager un dépistage exhaustif à partir d’un prélèvement non invasif.

Le premier article [5] émane de plusieurs équipes hospitalo-universitaires de Boston alliées au Broad Institute (Cambridge, États-Unis), un des plus importants centres de séquençage mondiaux1. L’étude a porté sur 51 femmes enceintes, en majorité dans le troisième trimestre de grossesse. Les séquences correspondant à l’exome ont été sélectionnées dans l’ADN du plasma maternel par hybridation avec un jeu de sondes couvrant 22 995 gènes, puis séquencées à une couverture élevée d’environ 200 fois en moyenne2 ; l’ADN paternel et l’ADN cellulaire maternel ont également été séquencés. L’analyse informatique des séquences indique que la fraction d’ADN fœtal dans le cfDNA maternel varie de 6 à 51 % (Figure 1)

thumbnail Figure 1.

Fraction d’ADN foetal dans l’ADN maternel plasmatique (cfDNA), en fonction du trimestre de gestation. Cette fraction augmente au fil de la grossesse. Le nombre de personnes (N) est indiqué (extrait partiel et remanié de la figure 1 de [5]).

L’analyse bioinformatique de ces séquences est ici très sophistiquée pour éliminer le maximum d’artefacts, et elle s’appuie naturellement sur la connaissance des exomes paternel et maternel pour identifier les véritables variants de novo. La sensibilité est évaluée à 90 % pour les SNP (single nucleotide polymorphism), un peu moins pour les indels (insertion-deletion), et elle diminue quand la fraction fœtale est très basse. Dans 14 cas, un test classique (invasif) avait été pratiqué en fonction d’informations cliniques déjà disponibles, et six variants significatifs avaient été détectés : ils ont tous été retrouvés dans la présente analyse. Ces résultats indiquent que cette approche est effectivement capable de détecter les variants dans l’exome fœtal de manière non invasive, et ouvrent ainsi la voie à une nouvelle extension du diagnostic prénatal.

La deuxième « lettre à l’éditeur » [6] émane d’un ensemble de laboratoires danois et porte sur 36 femmes porteuses de grossesse à haut risque (anomalies détectées à l’échographie, notamment concernant la clarté nucale3). Les séquences exomiques sont sélectionnées à partir du cfDNA, ainsi que de l’ADN paternel et de l’ADN maternel, puis séquencées à une redondance très élevée (4 548X en moyenne). Ce « séquençage profond » (deep sequencing) fournit des données de très bonne qualité, ce qui facilite l’analyse bioinformatique. La fraction d’ADN fœtal dans le cfDNA maternel varie entre 4 et 19 % - notons qu’ici la plupart des grossesses en sont au début du deuxième trimestre. Onze variants de novo (absents dans l’ADN du père et dans celui de la mère) ont été détectés lors de ces 36 analyses : quatre SNP, quatre délétions ou duplications, et trois anomalies chromosomiques. Tous ces variants ont été retrouvés lors de l’analyse de liquide amniotique ou de villosités choriales, et aucun variant pathogène supplémentaire n’a été détecté par ces analyses invasives. En somme, l’analyse non invasive pratiquée sur l’ADN plasmatique maternel, en séquençant à très haute redondance cet ADN ainsi que les deux ADN parentaux, permet une détection fiable des mutations ponctuelles et des indels, ainsi bien sûr que des aneuploïdies.

Ces deux brefs articles ouvrent donc la possibilité d’un diagnostic prénatal non invasif (donc sans risque) examinant l’ensemble de l’exome fœtal. Selon les auteurs du deuxième article [6], de telles analyses pourraient être pratiquées dès qu’existe un soupçon d’anomalie visible à l’échographie ; l’ensemble de la procédure, du prélèvement sanguin au résultat pouvant être effectué en une semaine. Les résultats positifs devraient alors être confirmés par une analyse invasive. Ce schéma permettrait une bien meilleure détection précoce des anomalies génétiques tout en réduisant le nombre d’interventions invasives. Reste à évaluer le coût de telles procédures en pratique clinique…

Un progrès, mais aussi un pas de plus vers « l’enfant parfait » ?

Les techniques pratiquées jusqu’ici étaient invasives mais permettaient d’accéder directement à l’ADN fœtal : la nouveauté ici est de pouvoir pratiquer une analyse complète à partir d’un simple prélèvement sanguin de la mère et d’un ADN plasmatique qui ne contient que quelques pour cent d’ADN fœtal. Cela n’est possible que grâce à un séquençage très poussé (deep sequencing) et à une analyse bioinformatique très sophistiquée. Ce n’est pas à la portée de tous les hôpitaux, et le coût d’une telle procédure (question non abordée dans les articles cités) risque d’atteindre plusieurs milliers d’euros. Compte tenu du très faible risque des procédures invasives4, on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle…

En tout état de cause, ce remarquable succès scientifique pose une nouvelle fois la question de l’étendue du diagnostic prénatal [7]. Revenons sur le cas du diagnostic préimplantatoire (DPI). Pratiqué après une fécondation in vitro, il consiste en l’analyse de l’ADN d’une cellule de l’embryon avant son implantation afin de s’assurer qu’il s’agit bien d’un embryon « sain ». En France, il n’est autorisé que lorsque l’un des parents est porteur d’une maladie génétique « d’une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Son extension à la recherche d’anomalies chromosomiques (aneuploïdies) reste encore interdite, le souci du législateur étant d’éviter toute dérive vers la prédétermination des caractéristiques de l’enfant à naître. A fortiori, l’examen détaillé du génome du fœtus grâce à ces nouvelles approches non invasives risque de susciter bien des oppositions, même si la question se pose de manière différente s’agissant d’une grossesse en cours plutôt que du choix d’un embryon à implanter. Notons d’ailleurs que l’approche de séquençage profond pourrait en principe être pratiquée dans le cadre du DPI5 : on aurait alors tous les moyens de procéder au choix éclairé du « meilleur » embryon à implanter, un grand pas vers « l’enfant parfait » (Figure 2). Comme souvent, un progrès technique inimaginable il y a quelques années débouche sur une question éthique fondamentale……

thumbnail Figure 2.

Affiche d’un film réalisé en 2018 par Paul Rodriguez (Royaume-Uni).

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Le Broad Institute dispose de plus de 60 séquenceurs haut de gamme et a réalisé près de 600 000 séquences humaines.

2

La redondance habituelle est de 30X.

3

La clarté nucale est une mesure échographique de l’espace sous-cutané situé entre la peau et la colonne cervicale du fœtus. Elle sert de marqueur pour le dépistage d’anomalies congénitales.

4

Les risques d’une amniocentèse sont : une possible fausse couche (moins de 0,5 % des cas), surtout dans les 8 à 10 jours suivant l’amniocentèse ; de très rares infections du liquide amniotique ; exceptionnellement, une blessure du fœtus par l’aiguille. Pour le prélèvement de villosités choriales, le risque est d’environ 1 %.

5

Même si la très petite quantité d’ADN provenant d’une seule cellule rend le procédé plus acrobatique.

Références

  1. Lo YMD, Corbetta N, Chamberlain PF, et al. Presence of fetal DNA in maternal plasma and serum. Lancet 1997 ; 350 : 485–487. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Lo YMD. Discovery of Cell-Free Fetal DNA in Maternal Blood and Development of Noninvasive Prenatal Testing : 2022 Lasker-DeBakey Clinical Medical Research Award. JAMA 2022; 328 : 1 293–4. [Google Scholar]
  3. Lo YMD, Chan KC, Sun H, et al. Maternal plasma DNA sequencing reveals the genome-wide genetic and mutational profile of the fetus. Sci Transl Med 2010; 2 : 61ra91. [PubMed] [Google Scholar]
  4. Zhang J, Li J, Saucier JB, et al. Non-invasive prenatal sequencing for multiple Mendelian monogenic disorders using circulating cell-free fetal DNA. Nat Med 2019 ; 5 : 439–437. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Brand H, Whelan CW, Duyzend M, et al. High-Resolution and Noninvasive Fetal Exome Screening. N Engl J Med 2023; 389 : 2014–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Miceikaite˙ I, Hao Q 2, Brasch-Andersen C, et al. Comprehensive Noninvasive Fetal Screening by Deep Trio-Exome Sequencing. N Engl J Med 2023; 389 : 2017–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Chervenak FA, McCullough LB, Brent RL. The perils of the imperfect expectation of the perfect baby. Am J Obstet Gynecol 2010; 203 : 101.e1–5. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Fraction d’ADN foetal dans l’ADN maternel plasmatique (cfDNA), en fonction du trimestre de gestation. Cette fraction augmente au fil de la grossesse. Le nombre de personnes (N) est indiqué (extrait partiel et remanié de la figure 1 de [5]).

Dans le texte
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Affiche d’un film réalisé en 2018 par Paul Rodriguez (Royaume-Uni).

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