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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 2, Février 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 215 - 217 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023215 | |
Published online | 27 February 2024 |
La ferroptose, une voie de signalisation prometteuse pour de futurs traitements anticancéreux
A ferroptosis pathway promising for future immunotherapy treatment
1
M1 Biologie Santé, Université Paris-Saclay, 91405 Orsay, France
2
Université Paris-Saclay, UVSQ, LGBC, Versailles, France
a fromenteaur@gmail.com
b may.elnmrawy@hotmail.com
c lea.sellier27@gmail.com
d bernard.mignotte@uvsq.fr
La ferroptose fait partie des nombreux types de mort cellulaire identifiés à ce jour [1] (→).
(→) Voir la Synthèse de L. Cabon et al., m/s n° 12, décembre 2013, page 1117
Elle correspond à une mort cellulaire régulée, non apoptotique, qui se manifeste par une accumulation de lipides peroxydés à la membrane des cellules [2,3]. Le fer joue un rôle important dans la ferroptose puisqu’il permet la conversion des espèces réactives de l’oxygène (ERO) faiblement oxydantes telles que H2O2 en espèces très oxydantes (OH•) via la réaction de Fenton1 [4]. Ces espèces vont alors pouvoir oxyder les phospholipides membranaires. Cependant, les voies de signalisation permettant l’activation de cette mort cellulaire ne sont encore que très partiellement connus.
La ferroptose a été reliée à des maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson [5]. Par ailleurs, certains oncosuppresseurs, comme p53 ou BAP1, sensibilisent les cellules à la ferroptose, ce qui contribuerait à leur fonction de suppresseurs de tumeurs [6] (→).
(→) Voir la Synthèse de R. Birsen et al., m/s n° 8-9, aoû-septembre 2021, page 726
L’induction de la ferroptose apparaît donc comme une stratégie thérapeutique innovante pour le traitement des cancers. Dans cette perspective, Zhang et al. [7] ont voulu comprendre les voies de signalisation impliquées dans ce processus.
Criblage CRISPR-Cas9 : un outil performant
Afin d’identifier ces voies de signalisation, Zhang et al. ont effectué un criblage visant à identifier des gènes codant des protéines impliquées dans la ferroptose [7]. Ils ont utilisé pour cela la technique de « CRISPR-Cas9 screening », un outil performant pour la mise en évidence d’une nouvelle voie de signalisation [8]. L’utilisation de cette technique permet, via une banque d’ARN guide (sgRNA) et l’expression de la nucléase Cas9 [8], d’introduire aléatoirement des mutations dans les cellules utilisées et donc de cibler une grande quantité de gènes et d’identifier ainsi une ou plusieurs protéines importantes. La sélection de cellules résistantes à une induction de la ferroptose par l’érastine2, suivie d’un séquençage NGS (next-generation sequencing) de ces cellules, a permis aux auteurs de sélectionner des gènes potentiellement pro-ferroptotiques. L’implication des gènes identifiés a ensuite été confirmée en inhibant spécifiquement leur expression.
PKCβII et ses partenaires sont impliqués dans la ferroptose
Ce criblage a notamment mis en évidence la contribution du gène codant la protéine kinase C β (PKCβ) à la ferroptose induite par l’érastine. Les PKC forment une famille de protéines kinases qui, via des phosphorylations, activent de nombreuses protéines dans différentes voies de signalisation comme celles impliquant les récepteurs couplés aux protéines G, notamment les immunorécepteurs, mais aussi des voies aboutissant à la prolifération et la différenciation des cellules [9]. La PKCb présente deux isoformes, produites par épissage alternatif, PKCbI et PKCbII. Les chercheurs ont donc utilisé la technique CRISPR-Cas9 pour inhiber spécifiquement l’expression de l’une ou l’autre de ces isoformes et ont pu ainsi identifier PKCβII comme étant un acteur majeur de cette voie de signalisation. En effet, les quantités de lipides peroxydés (analysées grâce à une sonde BODIPY 581/591, reconnaissant la peroxydation lipidique [10]) et le taux de mort cellulaire, sont réduits dans les cellules n’exprimant plus l’isoforme PKCβII, confirmant son rôle crucial dans la ferroptose. Par ailleurs, les auteurs montrent que des piégeurs de peroxydation lipidique (Fer-1 et liproxstatine-1) inhibent l’activation de la PKCβII montrant ainsi que PKCβII pourrait être un senseur de la peroxydation lipidique liée à la ferroptose.
Les auteurs de l’étude se sont également intéressés à l’identification des partenaires de PKCβII impliqués dans la signalisation de la ferroptose. Après induction de la ferroptose dans des cellules cancéreuses avec l’érastine ou RSL3 (un inhibiteur de la glutathione peroxidase 4, GPX43), la protéine ACSL4 (Acyl-CoA synthetase long chain family member 4) est co-précipitée avec la PKCβII. ACSL4, dont le rôle dans la ferroptose était déjà connu, est une enzyme qui catalyse l’incorporation des acides gras polyinsaturés (AGPI) dans les phospholipides. Sa phosphorylation, suite à son activation, est nettement moins importante en présence des inhibiteurs de la PKCβII. La phosphorylation par PKCβII de la thréonine en position 328 de ACSL4 semble tout particulièrement importante puisque lorsqu’ASCL4 est mutée sur ce résidu, son activation puis sa dimérisation ne sont plus observées. En effet, alors que dans des conditions normales le traitement à base d’érastine induit une formation d’AGPI, des cellules produisant une ACSL4 mutée sur la thréonine 328 perdent cette propriété. Ces AGPI vont alors s’insérer dans la membrane plasmique et sont susceptibles d’être oxydés par les ERO produites via la réaction de Fenton. Cette étude met donc en évidence une boucle d’activation puisque ces nouveaux lipides peroxydés à la membrane vont de nouveau pouvoir être reconnus par la PKCβII et in fine produire de nouveaux lipides peroxydés conduisant à leur accumulation et donc à la ferroptose (Figure 1). L’inhibition de la PKCβII par des agents pharmacologiques tels que l’enzastaurine montre une diminution de la boucle d’activation et une baisse de la ferroptose. Il reste cependant une question à élucider : l’amplification est clairement démontrée mais le mécanisme moléculaire par lequel PKCβII est activé demeure inconnu et donc reste à éclaircir !
Figure 1. Boucle d’amplification de la ferroptose via l’axe PKCβII-ACSL4. Une phosphorylation de PKCβII via un mécanisme encore inconnu (flèche en pointillé) va induire la phosphorylation et la dimérisation d’ACSL4 dont l’action est de synthétiser des AGPI qui seront transportés à la membrane plasmique via une catalyse de la liaison médiée par la protéine LPCAT3. Ces AGPI vont être oxydés par des espèce réactives de l’oxygène ERO et la production de lipides peroxydés va jouer deux rôles : l’amplification du signal (flèche noire) grâce aux nouveaux lipides peroxydés qui serviront de signal pour la phosphorylation de PKCβII, et l’accumulation de lipides peroxydés aboutissant à la mort cellulaire par ferroptose. L’axe Cystéine-GSH-GPX4 est une voie permettant l’inhibition de la production d’ERO. L’érastine agit notamment en inhibant SLC7A11 (un transporteur de cystéine) tandis que RSL3 est un inhibiteur de GPX4, ce qui permet à ces composés d’induire la ferroptose via une accumulation d’ERO aboutissant à la production de lipides peroxydés. PKCβII : protéine kinase C βII ; ACSL4 : acyl-CoA synthetase long chain family member 4 ; AGPI : acides gras polyinsaturés ; LPCAT3 : lysophosphatidylcholine acyltransferase 3 ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; GSH : gluthatione ; GPX4 : glutathione peroxidase 4 ; SLC7A11 : solute carrier family 7 member 11. |
Une découverte importante pour les traitements anticancéreux
Cette étude a aussi porté sur l’effet de l’axe PKCβII-ACSL4 dans un contexte physiopathologique. En effet, ACSL4 pourrait jouer un rôle comme suppresseur de tumeur ou comme oncogène en fonction du type de cancer et de l’environnement tissulaire [11]. Par ailleurs, le niveau de ferroptose joue un rôle dans la résistance aux immunothérapies [12]. Les tumeurs exprimant une forme sauvage d’ACSL4 phosphorylable en position 328, et dans lesquelles la peroxydation lipidique est plus élevée, sont plus sensibles à un traitement à base d’anticorps anti-point de contrôle du système immunitaire (anticorps anti-PD1) à la différence des tumeurs exprimant une forme mutée non phosphorylable de la protéine. De plus, des analyses de cytométrie en flux montrent l’existence, dans les tumeurs traitées et possédant la forme sauvage d’ACSL4, d’un important infiltrat immunitaire composé de lymphocytes T CD4+ et CD8+. En revanche, les tumeurs présentant une forme mutante d’ACSL4 ne présentent aucune variation du nombre de lymphocytes T CD4+ et CD8+ infiltrés qu’elles soient traitées ou non, cette observation confirmant l’importance de la phosphorylation de la thréonine 328 d’ACSL4. L’axe PKCβII-ACSL4 joue donc un rôle important dans les traitements contre les cancers en induisant très probablement la ferroptose dans des cellules cancéreuses traitées avec des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire, tels que PD1. Cette découverte est encore à approfondir mais elle permettrait par un simple diagnostique du niveau d’ACSL4 dans la tumeur d’optimiser les stratégies d’immunothérapie impliquant ou non les anti-PD1, afin d’induire la mort cellulaire des cellules cancéreuses par ferroptose.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
Figure 1. Boucle d’amplification de la ferroptose via l’axe PKCβII-ACSL4. Une phosphorylation de PKCβII via un mécanisme encore inconnu (flèche en pointillé) va induire la phosphorylation et la dimérisation d’ACSL4 dont l’action est de synthétiser des AGPI qui seront transportés à la membrane plasmique via une catalyse de la liaison médiée par la protéine LPCAT3. Ces AGPI vont être oxydés par des espèce réactives de l’oxygène ERO et la production de lipides peroxydés va jouer deux rôles : l’amplification du signal (flèche noire) grâce aux nouveaux lipides peroxydés qui serviront de signal pour la phosphorylation de PKCβII, et l’accumulation de lipides peroxydés aboutissant à la mort cellulaire par ferroptose. L’axe Cystéine-GSH-GPX4 est une voie permettant l’inhibition de la production d’ERO. L’érastine agit notamment en inhibant SLC7A11 (un transporteur de cystéine) tandis que RSL3 est un inhibiteur de GPX4, ce qui permet à ces composés d’induire la ferroptose via une accumulation d’ERO aboutissant à la production de lipides peroxydés. PKCβII : protéine kinase C βII ; ACSL4 : acyl-CoA synthetase long chain family member 4 ; AGPI : acides gras polyinsaturés ; LPCAT3 : lysophosphatidylcholine acyltransferase 3 ; ERO : espèces réactives de l’oxygène ; GSH : gluthatione ; GPX4 : glutathione peroxidase 4 ; SLC7A11 : solute carrier family 7 member 11. |
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