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Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 10, Octobre 2023
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 790 - 792 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023108 | |
Published online | 09 November 2023 |
Hybride bactérien et tumoral
un vaccin personnalisé contre le cancer
Bacterial and tumoral hybrid, a personalized cancer vaccine
1
M2 Immunologie intégrative et systémique (I2S), mention BMC, Sorbonne université, Paris France
2
M2 immunologie translationnelle et biothérapies (ITB), mention BMC, Sorbonne université, Paris, France
3
Faculté de médecine, université Claude Bernard Lyon 1, France
4
CHU Grenoble Alpes, université Grenoble Alpes, TIMC, France
a contact@alexandre-martinez.fr
b guorong.zhao@etu.sorbonne-universite.fr
c adrien.kuhnast@etu.univ-lyon1.fr
d Btoussaint@chu-grenoble.fr
L’immunothérapie des cancers peut être soit passive (lorsqu’il s’agit d’une utilisation d’anticorps inhibiteurs des points de contrôle immunitaire), soit active (vaccins anti-tumoraux fondés sur des antigènes spécifiques ou associés aux tumeurs). Seuls quelques vaccins préventifs agissent contre des facteurs connus pour leur rôle dans l’apparition de certains cancers (infection virale par le papillomavirus humain pour le cancer du col de l’utérus par exemple). Le développement de la médecine translationnelle et de précision a amélioré la connexion entre la recherche et la clinique, offrant la possibilité de vaccins anti-tumoraux personnalisés. Ces vaccins utilisent la tumeur du patient associée à des adjuvants immunogènes afin d’activer une immunité anti-tumorale efficace et durable. La vaccination à hybride bactérien et tumoral s’inscrit dans le groupe des vaccins à effets anti-tumoraux directs, qui préviendraient les rechutes post-opératoires ainsi que la survenue des métastases.
Vaccins anti-tumoraux thérapeutiques : état de l’art et défis
Aujourd’hui, la plupart des vaccins anti-tumoraux visent à développer une réponse immunitaire cellulaire dirigée contre des antigènes tumoraux. Ces antigènes sont soit des néo-antigènes (par mutations de gènes codant les protéines du soi), soit des protéines du soi présentes en quantité anormale dans la tumeur. Le cancer étant un processus long, multifactoriel et évolutif, les tumeurs sont souvent fortement hétérogènes dans leur constitution antigénique, et il est difficile de trouver un antigène cible unique contre un type de cancer pour l’ensemble des patients. Le type de vectorisation du signal antigénique est également un défi important pour ces recherches. Pour délivrer la stimulation antigénique, les vaccins anti-tumoraux utilisent de l’ADN, de l’ARNm ou des protéines recombinantes injectés directement ou par l’intermédiaire de virus (Tableau I). Dans les modèles murins, l’ADN injecté par voie intramusculaire est introduit dans les cellules de l’hôte par électroporation. Cependant, l’ADN intracytoplasmique est reconnu comme étranger et rapidement dégradé. De plus, l’électroporation in vivo chez l’homme se heurte à de nombreuses difficultés pratiques étant donnée la pénibilité de l’opération. Par rapport à une injection d’ADN, l’administration d’ARNm a l’avantage d’impliquer ensuite moins d’étapes pour la synthèse de l’antigène cible. Cependant, pour que l’ARNm soit traduit en antigène, il doit être vectorisé et introduit dans les cellules. Les vecteurs adénoviraux peuvent être adaptés pour cibler des cellules d’intérêt. Par exemple, la présence de récepteurs spécifiques des cellules dendritiques à la surface des vecteurs viraux permet de délivrer le contenu en ARNm directement au sein de ces cellules présentatrices d’antigène. Mais leur utilisation se heurte à des problèmes de toxicité ou de réponse immunitaire dirigée contre le vecteur. D’autres techniques cherchent à stimuler des cellules dendritiques autologues ex vivo afin de contrôler leur présentation antigénique avant de les réinjecter au patient. Les protéines recombinantes peuvent être directement injectées ou associées à des bicouches lipidiques comme des nanoparticules (NP).
Caractéristiques de différents types de stratégies utilisées pour développer des thérapies vaccinales dans le cancer.
Quel que soit le vecteur utilisé, le vaccin doit être suffisamment immunogène pour induire une réponse immunitaire efficace malgré l’immunodéficience induite par les traitements anticancéreux ou par la tumeur elle-même, tout en évitant des effets indésirables graves, tels que des orages cytokiniques ou des syndromes auto-immuns [1].
Vaccins hybrides à membrane bactérienne et tumorale
Une solution à l’ensemble de ces problèmes pourrait être de vacciner le patient avec ses propres cellules tumorales afin d’induire une immunisation pas uniquement contre un antigène mais contre l’ensemble du profil antigénique de la tumeur. C’est ce qu’a expérimenté l’équipe de Chen L et al. dans un modèle murin [2]. Après implantation de lignées tumorales dans les souris, ils ont récupéré chirurgicalement les tumeurs formées pour en extraire la membrane plasmique des cellules tumorales (TM) qui constituera la base de leur procédé vaccinal. De cette manière, ils s’affranchissent de l’étape délicate de sélection d’un antigène tumoral candidat pour le vaccin. De plus, afin d’obtenir une stimulation importante du système immunitaire par un effet adjuvant, ils ont introduit dans leur stratégie vaccinale des membranes bactériennes issues de Escherichia coli (EM), en prenant soin de retirer les parois de peptidoglycane et les lipopolysaccharides, trop inflammatoires. La faible immunogénicité naturelle des TM est ainsi supplémentée par l’adjonction des EM. Les profils protéomiques des TM et EM ont été analysés par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse afin de s’assurer d’une homogénéité quantitative et qualitative des protéines présentes. Puis les chercheurs ont procédé à la fusion des deux membranes dans un rapport TM:EM de 1:3 pour former une membrane hybride (HM). Celle-ci est ensuite stabilisée par l’ajout de NP d’acide poly(lactique-co-glycolique) ou PLGA pour fournir le matériel HM-NP. Ces noyaux de PLGA peuvent également être utiles pour transporter des molécules effectrices, comme des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (Figure 1).
Figure 1. Préparation des complexes HM-NP et action en tant que vaccin. Les tumeurs ont été extraites chirurgicalement de souris porteuses de tumeurs pour obtenir des TM. Les souches de E. Coli sont traitées par le lysozyme pour retirer leur paroi de peptidoglycane, et un tampon d’extraction est utilisé pour préparer les EM. Les vésicules HM sont produites en mélangeant les EM et les TM, puis fusionnées avec les noyaux de PLGA NP pour former des complexes HM-NP. HM: membrane hybride; HM-NP: membrane hybride recouverte de nanoparticules; TM: membrane de cellule tumorale; EM: membrane de E. Coli; PLGA: poly(lactique-co-glycolique). |
Risques biologiques
Avec ce procédé, la stimulation du système immunitaire est obtenue grâce à l’utilisation de membranes bactériennes dans la formulation du vaccin. Durant le traitement d’un patient présentant un cancer, une stimulation trop importante de l’immunité innée pourrait entraîner des effets indésirables dangereux, comme un orage cytokinique. L’injection d’HM-NP chez la souris induit l’augmentation significative de deux cytokines pro-inflammatoires uniquement : les interleukines IL-6 et IL-1β, ce qui est en faveur d’une faible inflammation systémique. De plus, grâce à des tests d’hémolyse, les auteurs ont pu montrer l’absence d’effet pathogène direct lié aux membranes bactériennes. Il est important de souligner que ce procédé n’utilise pas de bactéries entières, mais uniquement des composants cellulaires sans activité réplicative ou cytotoxique.
Le vaccin à membrane hybride déclenche une réponse immunitaire innée et adaptative
En marquant les protéines issues des membranes tumorales par des étiquettes fluorescentes, les auteurs ont pu suivre l’internalisation des antigènes par des cellules dendritiques en culture. En présence de membranes bactériennes, ces cellules apprêtent jusqu’à vingt fois plus d’antigènes qu’en leur absence. De plus, une expression plus élevée de CD80 et CD86 (deux molécules de co-stimulation) à la surface des cellules dendritiques traitées par HM-NP reflète une maturation augmentée de ces cellules. La membrane bactérienne au sein du complexe HM-NP joue donc bien un rôle d’adjuvant en déclenchant la première étape conduisant à l’immunité adaptative, à savoir l’activation de l’immunité innée. En effet, les chercheurs ont mis en évidence une surexpression de certains récepteurs Toll-like (TLR 1/2/6) dans les cellules dendritiques en culture en présence de HM-NP. Ainsi, les PAMP (pathogen-associated molecular patterns) provenant des membranes bactériennes ont la capacité de se lier aux TLR, induisant un signal de danger. L’activation des cellules dendritiques ainsi obtenue à la suite de l’administration de HM-NP conduit alors à une réponse adaptative efficace, puisque l’on observe chez les souris inoculées avec des cellules tumorales 4T1 (lignée de cancer du sein) et traitées par HM-NP, un taux d’interféron IFN-γ sécrété par les lymphocytes T augmenté, et une inhibition de la croissance tumorale.
HM-NP induit une immunité anti-tumorale spécifique et durable
Les résultats précédents ont encouragé les chercheurs à tester l’efficacité de la vaccination par HM-NP avec d’autres lignées de cellules tumorales, telles que CT26 (cancer du côlon), B16F10 (mélanome), et EMT6 (cancer du sein). Les résultats sont très prometteurs pour les souris traitées par HM-NP par rapport à des souris traitées par TM-NP seulement. Dans l’ensemble, on observe une régression tumorale et l’absence de récidive de la tumeur 60 jours après le traitement par HM-NP. Pour compléter le test, l’équipe a de nouveau inoculé des cellules CT26 à des souris qui avaient reçu le traitement par HM-NP 90 jours auparavant et avaient déjà éliminé la tumeur CT26. Ces souris ont été capables d’éliminer totalement les cellules CT26 réinoculées. Ce résultat montre que la vaccination par HM-NP induit une immunité durable conférant une protection contre les rechutes tumorales. De plus, le traitement n’a d’efficacité que lorsque le vaccin par HM-NP est du même type que la tumeur, confirmant la spécificité antigénique de ce type d’approche.
En pratique : biopsie, auto-immunité et tumeur froide
Cette méthode de vaccination thérapeutique pour un cancer donné doit pouvoir prévenir des risques de rechutes. D’autres études similaires ont montré la capacité du vaccin par HM-NP à contrôler l’apparition de métastases [3].
Dans l’arsenal thérapeutique anticancéreux, ce vaccin aurait sa place après une biopsie ou une exérèse chirurgicale. Le problème se pose de la quantité de cellules tumorales disponible pour la confection des HM-NP. Un trop petit volume tumoral réséqué, insuffisant pour obtenir une dose de vaccin, pourrait ainsi constituer une limite à l’utilisation de cette méthode. De plus, les cellules présentes dans une tumeur expriment une grande quantité de protéines du soi, et les vaccins HM-NP peuvent induire une immunisation contre l’ensemble des protéines utilisées pour leur fabrication. Ainsi, l’utilisation de ces vaccins pourrait induire une immunisation contre soi-même et favoriser des processus auto-immuns.
Provoquer une réponse immunitaire au sein de la tumeur peut s’avérer particulièrement difficile dans le cas des tumeurs froides, qui sont faiblement infiltrées par les cellules immunitaires et dont l’immunodépression induite contrecarre toute nouvelle infiltration par le système immunitaire. L’utilisation d’inhibiteurs de point de contrôle immunitaire, directement via les HM-NP, ou plus classiquement grâce aux anticorps monoclonaux antagonistes, pourrait rétablir dans ce contexte une réponse immunitaire intra-tumorale.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Saxena M, van der Burg SH, Melief CJM, Bhardwaj N. Therapeutic cancer vaccines. Nat Rev Cancer 2021; 21, 360–78. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Chen L, Qin H, Zhao R, et al. Bacterial cytoplasmic membranes synergistically enhance the antitumor activity of autologous cancer vaccines. Sci Transl Med 2021; 13 : eabc2816. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Gong C, Yu X, You B, et al. Macrophage-cancer hybrid membrane-coated nanoparticles for targeting lung metastasis in breast cancer therapy. J Nanobiotechnology 2020; 18 : 92. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
© 2023 médecine/sciences – Inserm
Liste des tableaux
Caractéristiques de différents types de stratégies utilisées pour développer des thérapies vaccinales dans le cancer.
Liste des figures
Figure 1. Préparation des complexes HM-NP et action en tant que vaccin. Les tumeurs ont été extraites chirurgicalement de souris porteuses de tumeurs pour obtenir des TM. Les souches de E. Coli sont traitées par le lysozyme pour retirer leur paroi de peptidoglycane, et un tampon d’extraction est utilisé pour préparer les EM. Les vésicules HM sont produites en mélangeant les EM et les TM, puis fusionnées avec les noyaux de PLGA NP pour former des complexes HM-NP. HM: membrane hybride; HM-NP: membrane hybride recouverte de nanoparticules; TM: membrane de cellule tumorale; EM: membrane de E. Coli; PLGA: poly(lactique-co-glycolique). |
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