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Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 8-9, Août–Septembre 2023
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Page(s) | 589 - 590 | |
Section | Editorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023110 | |
Published online | 11 September 2023 |
2023 : premiers succès et nouveaux enjeux de l’édition du génome en thérapeutique humaine
Genome editing for the clinics: First successes and new issues
Neuroscience Paris Seine, IBPS, Sorbonne Université, CNRS UMR8246, Inserm 1130, Campus Pierre et Marie Curie, 75005 Paris, France
À peine 10 ans après les articles princeps [1] (→), l’édition du génome est à la base de plusieurs traitements de maladies humaines, proches d’être approuvés par les agences règlementaires et le tsunami ne fait que commencer : une recherche dans Pubmed avec les termes « gene editing human clinical trial » trouve 332 articles fin mai 2023 et sur Clinicaltrial.gov 91 essais alors qu’ils n’étaient que 25 en octobre 20211. L’édition du génome va donc répondre aux besoins de maladies génétiques fréquentes, comme la drépanocytose et la bêta-thalassémie [2] (→), et de maladies plus rares comme l’amyloïdose à transthyrétine. Elle va aussi venir renforcer les immunothérapies des cancers par la production facilitée de cellules CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T cells). Elle a déjà commencé à relancer le domaine des xénogreffes avec la première transplantation chez l’homme du cœur d’un porc génétiquement modifié. Notons d’emblée que les traitements sont et seront fondés sur des méthodologies multiples : édition du génome ex vivo ou in vivo, invalidation génique utilisant Cas9, correction sans coupure avec le base editing ou le prime editing. Une exceptionnelle efflorescence qui mérite une attention plus détaillée.
(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page 106
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 10, octobre 2021, page 933
Commençons notre tour d’horizon par les traitements déjà sur le marché ou presque. Vertex Pharmaceuticals et CRISPR Therapeutics ont soumis en avril 2023 à la Food and Drug Administration (FDA), l’agence règlementaire américaine, la demande d’autorisation de leur thérapie ex vivo de la drépanocytose et de la β-thalassémie, fondée sur l’utilisation de la technique CRISPR-Cas9, sous le nom barbare d’exagamglogene autotemcel (« Exa-cel »). Ces maladies sont causées par des mutations dans la sous-unité β de l’hémoglobine, qui permet aux globules rouges de transporter l’oxygène. Les mutations associées à la β-thalassémie entraînent l’absence d’hémoglobine. Dans la drépanocytose, ou anémie falciforme, la mutation provoque l’agglutination des globules rouges, résultant en des crises vaso-occlusives douloureuses et en une hémolyse conduisant à une anémie chronique accompagnée d’une atteinte multi-organes. Dans les deux cas, le risque est mortel et les patients doivent avoir recours à des transfusions sanguines régulières. Exa-cel coupe l’ADN du gène BCL11A, un répresseur de l’expression du gène de l’hémoglobine fœtale, pour le réduire au silence [3]. Conséquence de cette coupure, effectuée ex vivo dans les cellules souches hématopoïétiques prélevées du patient, les globules rouges issus de ces cellules souches réinjectées, vont produire l’hémoglobine fœtale à des taux suffisants pour compenser l’absence d’hémoglobine adulte normale. Selon les résultats d’un essai de phase III2, 24 des 27 patients présentant une β-thalassémie sévère ont atteint l’objectif du critère principal, l’indépendance transfusionnelle pendant au moins 12 mois consécutifs. La durée moyenne de l’indépendance transfusionnelle a été de 20,5 mois, avec un maximum de 40,7 mois. Les trois autres patients ont montré des réductions substantielles (80 % à 96 %) du volume de transfusion par rapport à la situation initiale. Par ailleurs, 16 des 17 patients présentant une drépanocytose sévère ont atteint l’objectif du critère d’évaluation principal, l’absence de crises vaso-occlusives (CVO) pendant au moins 12 mois consécutifs (durée moyenne de 18,7 mois, avec un maximum de 36,5 mois). Les 17 patients ont rempli le critère d’évaluation secondaire clé, l’absence d’hospitalisations liées aux CVO pendant au moins 12 mois consécutifs.
Ce sont donc des résultats spectaculaires par rapport aux traitements existants3, qui traitent la maladie sans la guérir au contraire des espoirs soulevés par l’édition du génome. La bataille pour le meilleur traitement s’annonce d’ailleurs rude car la société Bluebird Bio développe des thérapies géniques apportant, grâce à un lentivirus, une hémoglobine de substitution. Le premier de ces traitements, Beti-cel [4], est déjà approuvé en Europe depuis 2019 et par la FDA depuis début 2023 ; les résultats obtenus sont comparables à ceux d’Exa-cel (un taux d’hémoglobine supérieur à 11 g/dL). Un autre traitement plus spécifique de la drépanocytose, Lovo-cel, est en cours d’essai.
Ne crions pas victoire trop vite. Ce sont des traitements lourds et périlleux ! Exa-cel exige que les patients reçoivent d’abord un traitement myéloablatif, d’où une période à risque de deux mois suite à la greffe des cellules souches hématopoïétiques modifiées (deux patients de l’essai cité plus haut ont subi des effets secondaires hématologiques très sévères). L’efficacité et la sécurité à long terme restent à démontrer et un suivi sur 15 ans des effets de l’Exa-cel est en cours. De plus, si les données sur les crises vaso-occlusives, le symptôme le plus pénible pour les patients, sont spectaculaires, rien n’est encore publié sur les conséquences de l’hémolyse, le danger le plus important à long terme. Enfin, des inquiétudes subsistent quant aux indels (micro-insertions ou délétions de bases) sur le gène cible et ceux hors-cible en raison de la double cassure de l’ADN produite par le système CRISPR-Cas9.
À ces questions techniques s’ajoute un enjeu éthique majeur : le traitement sera certainement très onéreux, posant le problème d’accès pour la majorité des patients présentant une hémoglobinopathie et vivant dans des pays à faibles ressources, en particulier en Afrique. La double barrière, financière et en termes d’infrastructures, semble infranchissable tant que les thérapies resteront ex vivo et d’efficacité (en termes de production d’hémoglobine) limitée. Beti-cel coûte 2,8 millions de dollars aux États-Unis et n’est pas distribué en Europe faute d’un accord sur son prix. Le prix d’Exa-cel n’est pas encore connu mais devrait être au-dessus de deux millions de dollars.
D’autres traitements utilisant l’édition du génome in vivo sont en cours de développement. Bravant les critiques, la FDA a donné son feu vert à une thérapie génique de la myopathie de Duchenne avec l’homologation accélérée accordé à Sarepta pour le délandistrogène moxéparvovec (Elevidys®) en juin 20234. Le système cible les muscles pour couper un petit fragment du gène mutant de la dystrophine tout en maintenant le cadre de lecture et la production d’une protéine plus courte mais fonctionnelle. Intellia développe des stratégies CRISPR-Cas9 visant le foie pour traiter l’amyloïdose à transthyrétine (TTR) et l’œdème angioneurotique héréditaire ([5], et voir [2]). La transthyrétine (TTR) est une protéine tétramérique synthétisée principalement par le foie, qui peut, en raison de mutations, s’agréger en fibrilles amyloïdes ATTR pathogènes qui se déposent dans les nerfs, provoquant une polyneuropathie progressive, et, au niveau du cœur, une cardiomyopathie engageant le pronostic vital. La firme Verve Therapeutics cible également le foie, en développant un système d’édition de base pour corriger la mutation du gène PCSK9 dans les hypercholestérolémies familiales héréditaires [6]. Pour mémoire, au lieu de couper l’ADN avec Cas9, l’édition de base couple une enzyme de modification agissant sur certaines bases (transformation d’une paire C-G en A-T ou d’une paire A-T en G-C) [7] (→) et une protéine Cas modifiée et dirigée par un ARN guide pour effectuer une telle modification à un endroit précis. Enfin, un essai clinique de phase I a été récemment publié, utilisant l’édition du génome pour produire en une seule fois plusieurs clones de lymphocytes T exprimant différents récepteurs chimériques de l’antigène (CAR-T) dirigés contre de néo-antigènes tumoraux [8]. Ici encore, l’infrastructure nécessaire à un tel traitement interroge sur son accès pour tous les patients à qui il pourrait bénéficier.
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 4, avril 2021, page 413
Terminons ce tour d’horizon vertigineux avec le champ renouvelé des xénogreffes. Le 7 janvier 2022, un homme de 57 ans, David Bennett Sr., entrait dans l’Histoire en devenant le premier homme à bénéficier d’une transplantation inter-espèces, après le remplacement de son cœur par celui d’un porc génétiquement modifié par édition du génome ciblant une dizaine de gènes pour prévenir le rejet de greffe et améliorer l’histocompatibilité de l’organe [9]. Malheureusement restait un cytomégalovirus porcin non détecté initialement, qui tua le patient deux mois plus tard. Mais une nouvelle ère de la xéno-transplantation est ouverte. Plusieurs firmes, dont le Roslin Institute écossais qui avait produit la brebis Dolly, développent des porcs humanisés pour la greffe. Mais, après ce décès, ne doutons pas de l’exigence renforcée de sécurité pour les prochains essais.
L’édition du génome est donc entrée en clinique et les premières indications sur l’utilisation de techniques in vivo ne recourant pas à une coupure de l’ADN nous incitent à penser que nous ne sommes qu’au début du tsumami thérapeutique. Mais à quel prix ? L’article 14 de la Déclaration universelle sur les droits de l’homme et la bioéthique de l’Unesco de 2005 nous rappelle à nos obligations sociales en matière de santé et l’article 15 au devoir de partage des bénéfices de la science5. Sera-t-il demain acceptable, tenable, éthique, de fêter le succès de traitements à plusieurs millions d’euros exigeant des infrastructures impossibles à créer aujourd’hui dans de nombreux pays ? Nous voyons les effets dramatiques de l’échec de l’initiative Covax et du manque d’accès aux vaccins anti-Covid sur le taux global de vaccination en Afrique. Comment sera-t-il possible demain de développer les technologies émergentes pour la Santé en excluant des soins la majorité du globe ? L’enjeu de l’arrivée en thérapeutique de l’édition du génome n’est pas seulement scientifique et médical. Il est aussi éthique !
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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