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Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 6-7, Juin-Juillet 2023
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Page(s) | 575 - 577 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023076 | |
Published online | 30 June 2023 |
Nouveau et (beaucoup) plus cher – Meilleur ?
Chroniques génomiques
New, more expensive - Not necessarily better
Biologiste, généticien et immunologiste, président d’Aprogène (association pour la promotion de la génomique), 13007 Marseille, France
Abstract
The prices of new oncology drugs are frequently above 100,000 US dollars, and this does not generally correlate with significantly improved clinical efficacy. In the absence of effective regulation and of real competition, companies tend to charge « what the market can bear ». Regulatory intervention is required, notably at the EU level.
© 2023 médecine/sciences – Inserm
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Quelle logique pour un prix ?
Aux États-Unis, le coût des nouveaux traitements du cancer approuvés par la FDA (Food and Drug Administration) atteint couramment deux cent mille dollars pour une année, qu’il s’agisse de petites molécules, d’anticorps monoclonaux ou de thérapies cellulaires reposant sur des lymphocytes T modifiés (CAR-T, chimeric antigen receptor T cells). Ces prix posent évidemment problème aux systèmes d’assurance maladie, ou aux patients, si ceux-ci n’en bénéficient pas. On est donc amené à s’interroger sur la manière dont les firmes pharmaceutiques fixent ces prix, et sur leur justification [1] (→).
(→) Voir l’Éditorial de M. Goldman et al., m/s n° 11, novembre 2022, page 859
Le coût de fabrication de ces médicaments est très inférieur à leur prix de vente, ne serait-ce que pour amortir les dépenses de recherche qui ont été entreprises et qui sont très élevées. Le montant exact est un secret bien gardé par les fabricants, mais on peut glaner quelques indications dans la littérature grise1. Celle-ci suggère, par exemple, un coût de fabrication de quelques dollars par dose pour le vaccin Pfizer/BioNtech contre la Covid, vendu jusqu’ici une trentaine de dollars, mais qui devrait bientôt passer à cent dix dollars. Pour le traitement par lymphocytes CAR-T, qui est bien plus complexe puisque l’on prélève et modifie les propres cellules du patient, le prix affiché pour les deux premiers traitements, le tisagenlecleucel et l’axicabtagene ciloleucel, est d’environ quatre cent mille dollars ; d’après des laboratoires hospitaliers publics qui ont mis en place leur propre production de traitements CAR-T, le coût de revient se situe entre cinquante et cent mille dollars. Il est tout à fait normal que les entreprises réalisent un profit sur des produits pour amortir leurs dépenses de recherche, mais du coup, quel est le juste prix ? Nous avons vu dans une chronique récente [2] (→) que le traitement de l’hémophilie B par thérapie génique, approuvé par la FDA, est proposé par la firme CSL Behring au prix de 3,5 millions de dollars. Ce prix est justifié selon l’entreprise par le fait que cette thérapie (si elle s’avère réellement durable; nous n'avons pas encore un recul suffisant) évite un très coûteux traitement à vie par injection de facteur de coagulation, estimé à près d’un million de dollars par année et par patient. On retrouve une approche actuellement proposée pour les traitements très coûteux (et notamment les thérapies géniques) consistant à fixer le prix en fonction du service clinique rendu et du coût des thérapies existantes, une logique déjà à l’œuvre dans les décisions de prise en charge en Europe, que ce soit par NICE (National Institute for Health and Care Excellence) au Royaume-Uni, ou chez nous, par l’Assurance maladie. Dans ce contexte, il semble intéressant d’effectuer une étude sur la relation entre coût et efficacité clinique des traitements nouvellement approuvés. Ce sujet avait été abordé il y a quelque temps dans une Chronique génomique [3] (→) mais des données plus complètes et récemment publiées [4] permettent de revenir sur ce sujet.
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 2, février 2023, page 187
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 11, novembre 2020, page 1095
Le problème des critères d’évaluation
L’étude porte sur l’ensemble des 224 autorisations formulées par la FDA entre 2015 et 2020 pour des anticancéreux. Celles-ci concernent 119 traitements2 qui consistent à parts à peu près égales en petites molécules ou en produits biologiques (anticorps monoclonaux, cellules, etc.). Les cancers ciblés sont très variés, les deux plus représentés étant le cancer du poumon et celui du sein, et les points de contrôle immunitaires PD-1 (programmed cell death 1) et PD-L1 (programmed cell death ligand 1) sont les cibles les plus fréquentes (près de 30 % du total). L’efficacité de chaque traitement est évaluée à partir de l’essai clinique soumis à la FDA et ayant justifié l’autorisation ; ces essais visent à démontrer l’amélioration apportée par la nouvelle thérapie par rapport au traitement de référence et sont la plupart du temps effectués en double aveugle. Il est important à ce point de préciser les critères d’évaluation utilisés. Le plus évident (et le plus fiable) est la survie globale (OS, Overall Survival). Mais ce critère, s’il est adapté pour des cancers à évolution rapide, comme le cancer du poumon (survie moyenne à un an de 50 %) ne l’est plus du tout pour une tumeur d’évolution lente, comme le cancer de la prostate (OS à un an de 99 %3) : il faudrait dans ce cas attendre des décennies pour savoir si le traitement testé améliore la survie ! On utilise alors des critères de substitution (surrogate endpoints), essentiellement l’intervalle sans progression ou durée de rémission (PFS, Progression-Free Survival) ou même le taux de réponse (ORR, Overall Response Rate), le pourcentage de patients chez lesquels on observe une diminution de taille de la tumeur. Ces critères de substitution ont l’avantage de permettre une évaluation plus précoce de l’efficacité du traitement, mais leur valeur prédictive est limitée : l’augmentation de la durée de rémission ne prédit pas nécessairement une augmentation de la survie globale [5]. Les promoteurs des essais cliniques aimeraient utiliser ces critères très largement puisqu’ils réduisent la durée (donc le coût) des essais et peuvent permettre une commercialisation plus rapide du nouveau traitement ; les instances de régulation s’efforcent au contraire d’imposer les critères les plus significatifs. Parmi les essais répertoriés pour la période 2015/2020, seuls 20 % mesurent la survie globale (OS) ; la durée de rémission (PFS) est le critère pour 32 % des essais, et le taux de réponse (ORR) est le plus utilisé (40 %)4.
Une corrélation très faible
Les auteurs de l'article récemment publié ont donc repris, pour chacun des traitements homologués par la FDA de 2015 à 2020, les données de l’essai clinique ayant abouti à l’autorisation, et les ont confrontées au coût annuel du traitement correspondant5. La Figure 1 montre le résultat de ces analyses, regroupés par critère d’évaluation.
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Figure 1. Pourcentage d’amélioration : augmentation de la survie (Overall Survival, OS), de la survie sans progression (Progression-Free Survival, PFS) ou du taux de réponse observé (Overall Response Rate, ORR), rapporté au coût annuel du traitement (extrait modifié de la figure 1 de [4]). |
Première constatation, peu de traitements coûtent moins de cent mille dollars par année – rappelons qu’on examine ici tous les traitements approuvés par la FDA entre 2015 et 2020. Certes, la durée des thérapies en oncologie clinique est souvent inférieure à une année, ce qui réduit le chiffre. De plus, on examine ici les tarifs appliqués aux États-Unis, et ils sont généralement très inférieurs en Europe ou même au Canada [6, 7] – ils n’en restent pas moins très élevés et l’on en arrive à une situation financière difficilement soutenable. Les améliorations observées peuvent être significatives : pour la survie globale, une augmentation de 50 % de la survie à 2 ans (par exemple) n’est pas négligeable. Pour la survie sans progression, les effets paraissent plus importants – mais n’oublions pas que ce critère est peu fiable [5]. Il faut également rappeler que l’effet d’un traitement en pratique clinique (real-life efficacy) est généralement inférieur à celui observé lors de l’essai clinique, effectué sur une population sélectionnée et suivie de très près. Deuxième fait frappant, la relation entre efficacité et coût n’est pas évidente : si elle était nette, on devrait voir un regroupement des points autour de la diagonale. En fait (Figure 1), on observe des nuages de points sans qu’apparaisse une tendance très nette ; une analyse statistique confirme une très faible corrélation entre coût et efficacité, avec un coefficient (R2)6 allant de 0,02 à 0,16. Notons aussi que les traitements pour lesquels les données sont les moins solides (ceux qui ont été approuvés sur la base du gain en durée de rémission ou en taux de réponse) ne sont pas moins chers que ceux dont l’efficacité est mieux prouvée par la mesure de la survie globale.
Des pistes pour l’avenir
La situation des États-Unis est très particulière : les prix des médicaments sont pour l’essentiel fixés par les entreprises pharmaceutiques, qui ont naturellement tendance à placer la barre très haut (What the market can bear). La FDA n’intervient pas à ce niveau, et le Medicare (l’embryon d’assurance maladie pour les plus de 65 ans) n’avait jusqu’à tout récemment pas le droit de discuter les prix [8]. Quant aux assurances privées, elles limitent leurs remboursements plutôt que d’essayer d’agir sur les prix ; de plus, différents acteurs intermédiaires, et même parfois les oncologues prescripteurs, sont rémunérés en fonction du prix du traitement et ont donc tout intérêt à ce que celui-ci soit élevé…
Dans les pays qui bénéficient d’un système de santé national, la situation est bien différente : la prise en charge d’un nouveau traitement implique une évaluation sérieuse du service rendu, effectué par exemple au Royaume-Uni par NICE [9] (→) qui aboutit à la décision de prise en charge, ou non, du nouveau traitement, et s’accompagne d’une négociation (secrète) sur son prix. Le différentiel médian entre États-Unis et Europe a été récemment évalué à un facteur de 2,3 [7] ; il est probablement plus élevé en réalité compte tenu de remises confidentielles qui ne peuvent être prises en compte. Reste que ces négociations ont lieu à l’échelle nationale, donc en ordre dispersé, et qu’un passage au niveau européen équilibrerait le rapport de forces entre Big Pharma et autorités de régulation. La Commission européenne mène une action en ce sens et vient de publier une nouvelle directive sur la législation pharmaceutique7 qui vise à accroître la concurrence en réduisant la durée d’exclusivité liée aux brevets et en renforçant les possibilités de licences obligatoires. On peut souhaiter aussi que l’EMA (European Medicines Agency), qui autorise la mise sur le marché de nouveaux médicaments8, applique des critères plus sévères que la FDA et évite d’approuver des traitements dont l’apport clinique est plus que douteux [8]. L’Europe, avec son marché de 500 millions de consommateurs, peut et doit avoir un poids plus important face aux multinationales du médicament.
(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s décembre 2017, page 1121
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Le R², ou R-carré, appelé coefficient de détermination, est un indicateur utilisé en statistiques pour juger de la qualité d’une régression linéaire. Mathématiquement, il s’agit de la proportion de la variance d’une variable dépendante qui s’explique par une ou plusieurs variables indépendantes dans le modèle de régression. On l’exprime soit entre 0 et 1, soit en pourcentage. Une corrélation maximale correspond à une valeur de 1.
Références
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Liste des figures
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Figure 1. Pourcentage d’amélioration : augmentation de la survie (Overall Survival, OS), de la survie sans progression (Progression-Free Survival, PFS) ou du taux de réponse observé (Overall Response Rate, ORR), rapporté au coût annuel du traitement (extrait modifié de la figure 1 de [4]). |
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