Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 2, Février 2023
Page(s) 187 - 190
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023003
Published online 17 February 2023

© 2023 médecine/sciences – Inserm

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L’hémophilie est depuis longtemps considérée comme une cible de choix pour la thérapie génique : la correction par transfert de gène de l’absence d’un facteur de coagulation fonctionnel (Facteur VIII pour l’hémophilie A, Facteur IX pour l’hémophilie B) semble relativement accessible. Pour l’hémophilie B, il s’agit en effet de produire, de préférence dans le foie, une protéine circulante d’assez petite taille (415 acides aminés) ; l’expérience clinique du traitement des hémophiles par injection de cette protéine a montré que sa quantité n’est pas critique, et qu’un niveau équivalent à 10 % du taux normal suffit à rétablir le fonctionnement du système de coagulation et évite ainsi les hémorragies qui, chez les malades, ont un effet destructeur sur les articulations. De nombreux travaux ont été engagés dès les années 1990 [1] et ont abouti récemment à des résultats très prometteurs, notamment pour l’hémophilie B [2, 3] ().

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 3, mars 2018, page 267

Ils reposent sur le transfert de la séquence d’ADN codant le facteur IX vers les cellules hépatiques grâce à un vecteur dérivé du virus AAV (adeno-associated virus). Un essai clinique portant sur une cinquantaine de malades a démontré un bon niveau d’expression du facteur de coagulation (30 à 50 % du niveau normal) chez toutes ces personnes, avec une persistance de l’expression sur une vingtaine de mois [4] ; plus récemment, les résultats d’un suivi sur trois ans montrent que ces niveaux sont conservés [5], et l’ensemble a débouché, fin novembre 2022, sur l’approbation du traitement par la FDA (Food and Drug Administration) [6].

Les paramètres d’un traitement efficace

Il s’agit donc ici [5] d’un traitement faisant appel à un vecteur AAV de sérotype 5 (AAV5), le moins immunogène des sérotypes du virus et qui n’est pas inactivé par les anticorps anti-AAV qui pré-existent chez la majorité des individus. Il transporte une séquence codant la protéine FIX (facteur IX), dérivée de l’ADNc correspondant (long de 1,5 kilobase) mais dont la séquence a été ajustée pour optimiser sa traduction dans le foie, et dans laquelle a été introduite la mutation ponctuelle (arginine 338 > leucine dans la protéine), présente dans le variant Padua du gène, qui confère à la protéine une activité spécifique sept fois plus élevée que la normale. L’ensemble est placé sous le contrôle d’un promoteur induisant une expression dans le foie. Le virus ainsi modifié est administré par voie intraveineuse, et va se retrouver dans les cellules hépatiques où il persiste sous forme d’épisome stable et est exprimé pour produire le facteur IX qui sera ensuite libéré dans la circulation. C’est l’aboutissement d’années de travaux qui ont progressivement optimisé tous les composants du système [2] afin d’augmenter l’expression de la protéine : virus AAV5, le bon sérotype ; utilisation du variant Padua à haute activité ; optimisation de la séquence ; et injection du virus recombinant à très haute dose (2 × 1013 virions par kg de poids, soit de 1 à 2 × 1015 par patient1). C’est à ces conditions que l’on obtient, quelques semaines après le traitement, une production de facteur IX à un niveau représentant 30 à 50 % de la valeur mesurée chez les témoins. Les effets cliniques sont spectaculaires : élimination totale ou quasi-totale des épisodes de saignement ; arrêt ou très importante diminution de l’emploi d’injections de facteur IX (entre 0 et 4 % de ce qui était utilisé précédemment) ; amélioration de l’état des articulations ; et bond en avant de la qualité de vie [5]. Reste à voir si le traitement est durable. S’agissant d’une thérapie génique, on espère qu’il s’agit là d’une véritable guérison qui va définitivement éliminer l’affection dont souffrent ces personnes. Cette « guérison » est d’autant plus essentielle que l’on se doute bien que cette thérapie complexe ne va pas être bon marché. L’apport de cet article [5], par rapport au précédent, de la même équipe [4], est de présenter le suivi de malades sur trois ans, et le résultat est très encourageant (Figure 1) : l’activité du facteur IX dans le plasma se maintient à un niveau élevé, sans montrer de tendance à la décroissance. Certes, on ne suit ici que trois patients (les premiers traités), mais c’est très bon signe.

thumbnail Figure 1.

Évolution de l’activité du facteur IX dans le plasma des trois patients traités. L’activité de la protéine FIX est exprimée en % de la normale et suivie durant les trois années suivant le traitement (extrait modifié de la figure 1 de [5]).

La FDA approuve, l’industriel commercialise – à un prix record !

L’ensemble de ces résultats a abouti à l’approbation par la FDA (Figure 2), selon la procédure accélérée (accelerated approval) qui est réservée aux innovations majeures, de ce produit dont le nom scientifique (et barbare !) (ou DCI, pour dénomination commune internationale, ou INN, International Nonproprietary Name) est etranacogene dezaparvovec. Il peut donc maintenant être commercialisé [6]. C’est l’entreprise CSL Behring, dont plusieurs employés sont signataires de l’article [5], qui va s’en charger. Le prix annoncé pour ce traitement, dont le nom de marque est Hemgenix®, bat tous les records : 3,5 millions de dollars (environ 3,25 millions d’euros) ce qui en fait le médicament le plus cher au monde [7].

thumbnail Figure 2.

Annonce par la Food and Drug Administration (FDA) de l’approbation de la thérapie génique Hemgenix® (extrait du site de la FDA [6]).

Situons un peu le paysage industriel. CSL Behring est une multinationale (près de 30 000 employés) spécialisée dans les produits sanguins ; elle a acheté les droits de développement et de commercialisation du produit en 2020 à l’entreprise hollandaise UniQure (une start-up de 450 employés spécialisée dans la thérapie génique et qui a participé à ces travaux avec des laboratoires hollandais), pour la coquette somme de 450 millions de dollars (environ 417 millions d’euros). Notons que le marché global de l’hémophilie (y compris les facteurs de coagulation) est estimé à 20 milliards de dollars (environ 18,52 milliards d’euros). L’hémophilie B est moins fréquente que l’hémophilie A : elle concerne environ 6 000 malades aux États-Unis, dont une partie seulement serait éligible au traitement par Hemgenix®. À 3,5 millions de dollars la cure, cela représente tout de même quelques milliards de dollars2.

Des justifications discutables

Le prix annoncé par CSL Behring paraît exorbitant. Même si la fabrication de lots importants de virus recombinants (plusieurs 1015 virions par malade) dans les conditions GMP (good medical practices) requises est loin d’être anodine, on imagine difficilement qu’elle puisse coûter plus de quelques centaines de milliers de dollars, d’autant plus que le même virus recombinant pourra être utilisé pour tous les malades. On est donc loin du cas de figure des traitements de cancers par l’approche CAR-T (chimeric antigen receptor T cells, des lymphocytes T portant un récepteur antigénique chimérique utilisés en oncologie) pour lesquels la modification est faite sur les propres lymphocytes T du patient et lui est donc spécifique. Ces traitements sont maintenant commercialisés en France pour environ 320 000-350 000 euros et 373 000-475 000 dollars aux États-Unis, montants qui avaient fait scandale à l’époque [8] () mais semble presque raisonnable en regard de celui que réclame CSL Behring. D’ailleurs, l’entreprise ne prétend pas justifier son prix par les coûts de fabrication, ni par celui des recherches en amont (qui ont été largement effectuées sur fonds publics). Elle s’appuie essentiellement sur l’économie qui serait réalisée par rapport au traitement actuel.

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 11, novembre 2017, page 1003 Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 4, avril 2015, page 447

Et, en effet, le traitement de l’hémophilie est très coûteux, surtout aux États-Unis, compte tenu du prix pratiqué pour les facteurs de coagulation. Il s’agit d’un traitement à long terme, avec, pour une bonne qualité de vie, des injections régulières de produits très onéreux sans attendre la survenue d’une hémorragie. Une étude économique récente [9] évalue le coût total de la thérapie (lifetime cost) à environ 20 millions de dollars par patient, soit environ 300 000 dollars par année. Une thérapie définitive à 3,5 millions de dollars semble, du coup, tout à fait intéressante.… Reste qu’on ne sait pas encore si cette thérapie aboutit vraiment à une guérison (on le saura dans cinquante ans !). Surtout, ce mode de calcul considère comme « normal » le montant actuel du traitement qui est très lourd pour le système de santé et/ou inaccessible pour ceux qui ne disposent pas d’une très bonne assurance maladie3. Un organisme indépendant, appelé ICER (Institute for Clinical and Economic Review), a récemment effectué une évaluation économique et a conclu que le prix maximum admissible pour Hemgenix était de l’ordre de 2,9 millions de dollars - en tenant compte des incertitudes sur la durabilité du traitement, mais en gardant comme référence le coût actuel du traitement par facteurs de coagulation [10]. En France, le montant annuel du remboursement par l’Assurance maladie est de 26 500 € par malade et par année [11], mais ce chiffre concerne « [l’] hémophilie et [les] affections graves de l’hémostase », et il date de 2004. Le coût actuel d’un traitement optimal est donc certainement plus élevé, sans doute de l’ordre du double. Sans atteindre le niveau stratosphérique du tarif appliqué aux États-Unis, il s’agit néanmoins de l’ALD (affection longue durée)4 la plus coûteuse du tableau de l’Assurance maladie [11]. Notons enfin que Hemgenix vient d’être approuvé pour l’Europe par l’EMA (European Medicines Agency) et que les analystes du secteur estiment que le traitement sera probablement proposé au prix de 2,5 millions d’euros – à peine moins que le tarif annoncé outre-atlantique. Le montant effectivement pris en charge par l’Assurance maladie (si les négociations aboutissent) sera sans doute inférieur – mais pas très très inférieur.

« What the market can bear »

Ce remarquable succès scientifique et clinique jette ainsi une lumière crue sur les pratiques commerciales de certains industriels. Il s’agit pour l’essentiel de fixer le tarif de traitements innovants par rapport à celui des thérapies qu’ils remplacent, indépendamment de leur coût de fabrication ou d’une évaluation du coût de leur développement. Les dépenses de santé (et les profits des firmes) ne peuvent ainsi qu’augmenter au fil des années d’une manière parfois démesurée. Les industriels doivent certes amortir leurs dépenses de recherche (y compris celles engagées pour les nombreux médicaments qui s’avèrent être des échecs) ainsi que les sommes importantes investies dans le rachat de start-up innovantes (comme UniQure pour CSL Behring). Mais l’environnement très laxiste des États-Unis, où jusqu’à tout récemment Medicare5 n’avait pas le droit de négocier les prix, favorise la fixation de tarifs totalement découplés de la réalité et reposant sur ce qu’une fraction très aisée du public est prête à payer : What the market can bear (ce que peut supporter le marché) En Europe, la négociation des prix est favorisée par l’existence de systèmes de santé nationaux (single payor systems) et par des institutions comme NICE (The National Institute for Health and Care Excellence) [12] () au Royaume-Uni, et permet effectivement de contenir les prix de nombreux médicaments (qui sont deux, cinq ou même dix fois moins chers qu’outre-atlantique), mais le renforcement de l’industrie pharmaceutique européenne serait sans doute une solution plus solide et plus durable à cette dérive qui menace de faillite nos systèmes de santé.

(→) Voir la Chronique génomique de B. Jordan, m/s n° 12, décembre 2017, page 1121

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Soit 100 fois la dose employée lors des premiers résultats positifs [2].

2

En comparaison, le chiffre d’affaires de l’entreprise Pfizer pour le vaccin anti-Covid est estimé à 50 milliards de dollars pour 2022.

3

Aux États-Unis, même les assurances maladie (privées) haut de gamme prévoient souvent un « reste à charge » de 10 ou 20 % pour les malades.

4

Ce dispositif permet la prise en charge par l’Assurance maladie de maladies qui nécessitent un traitement prolongé et coûteux.

5

Medicare est le système d’assurance santé géré par le gouvernement fédéral des États-Unis au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.

Références

  1. Franchini M, Mannucci PM. Past, present and future of hemophilia: a narrative review. Orphanet J Rare Dis 2012 ; 7 : 24. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Jordan B. Hémophilie : la thérapie génique, enfin…. Med Sci (Paris) 2018 ; 34 : 267–270. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Batty P, Lillicrap D. Hemophilia Gene Therapy: Approaching the First Licensed Product. Hemasphere 2021; 5 : e540. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Pipe S, Giermasz A, Castaman G, et al. One year data from a phase 2b trial of AMT-061 (AAV5-Padua hFIX variant), an enhanced vector for gene transfer in adults with severe or moderate-severe hemophilia B. Blood 2019 ; 134 : 3348. [CrossRef] [Google Scholar]
  5. von Drygalski A, Gomez E, Giermasz A, et al. Stable and durable factor IX levels in hemophilia B patients over 3 years post etranacogene dezaparvovec gene therapy. Blood Adv 2022; bloodadvances.2022008886. [PubMed] [Google Scholar]
  6. https://www.fda.gov/news-events/press-announcements/fda-approves-first-gene-therapy-treat-adults-hemophilia-b. [Google Scholar]
  7. Naddaf M. Researchers welcome .5-million haemophilia gene therapy — but questions remain. Nature 2022; 612 : 388–9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Jordan B. Immunothérapie « CAR-T » : une autorisation qui fait date. Med Sci (Paris) 2017 ; 33 : 1003–1006. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Li N, Sawyer EK, Maruszczyk K, et al. Adult lifetime cost of hemophilia B management in the US: payer and societal perspectives from a decision analytic model. J Med Econ 2021; 24 : 363–72. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. https://icer.org/news-insights/press-releases/icer-publishes-evidence-report-on-gene-therapies-for-hemophilia-a-and-b/. [Google Scholar]
  11. https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2006-cout-ald-2004. [Google Scholar]
  12. Jordan B. Une approche pragmatique pour gérer les traitements onéreux. Med Sci (Paris) 2017 ; 33 : 1121–1123. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Évolution de l’activité du facteur IX dans le plasma des trois patients traités. L’activité de la protéine FIX est exprimée en % de la normale et suivie durant les trois années suivant le traitement (extrait modifié de la figure 1 de [5]).

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Annonce par la Food and Drug Administration (FDA) de l’approbation de la thérapie génique Hemgenix® (extrait du site de la FDA [6]).

Dans le texte

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