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Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 1, Janvier 2023
Genre
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Page(s) | 53 - 57 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2022199 | |
Published online | 24 January 2023 |
Parcours médical et juridique transidentitaire
Le point de vue des personnes transgenres sur les avancées et les progrès attendus
Transidentity medical and legal courses: The viewpoint of transgender people on the advances and expected progress
Journaliste, Enseignante à Sciences Po-Paris, Co-présidente de l’association TRANS SANTÉ France – FPATH, Paris, France
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beatrice.denaes@sciencespo.fr
En France, la transidentité n’est plus considérée comme un « trouble mental » depuis 2010. Pour l’Organisation mondiale de la santé, il a fallu attendre 2022. La France est l’un des rares pays à prendre en charge la quasi-totalité du parcours de transition. Toutefois, cet arbre cache une jungle de textes et de cotations désormais obsolètes, de discriminations dans les prises en charge, de contraintes administratives et psychiatriques, de rejets transphobes. Officiellement, les seules recommandations concernant le parcours médical des personnes transgenres datent de 1989. Trente-quatre ans plus tard, la Haute autorité de santé entreprend une profonde remise en question des recommandations, aux côtés des médecins et des associations concernés par la santé des personnes trans.
Abstract
In France, transidentity is no longer considered a “mental disorder” since 2010. For the WHO, it took until 2022. France is also one of the few countries to take care of almost the entire transition pathway. However, this pretty tree hides a jungle of obsolete texts and coding, discrimination in care, administrative and psychiatric constraints, transphobic rejections… Officially, the only recommendations regarding the medical history of transgender people date from 1989. Thirty-four years later, the High Authority for Health (HAS) is undertaking a profound overhaul of the recommendations made to doctors and associations concerned with the health of trans people.
© 2023 médecine/sciences – Inserm
Vignette (© ParaDox).
Vous n’êtes pas une femme ; vous n’êtes qu’un homme déguisé en femme ». Quand l’activiste transphobe Dora Moutat, invitée de France 2, envoie ce pavé haineux à la tête de Marie Cau, première maire transgenre française, sur le plateau de « Quelle époque » en octobre 2022, on se demande si l’on est bien au XXIe siècle.
Brutalement, la société aurait-elle replongé dans une forme d’obscurantisme, de discrimination, de rejet, comme aux siècles précédents, envers celles et ceux qui sortent des normes traditionnelles ? Soyons honnêtes, si une partie de la société reste transphobe par méconnaissance ou profonde idéologie, ces dernières années ont connu de belles avancées sur le plan médical et administratif ; toutefois, il reste encore beaucoup à faire.
Des avancées significatives…
En 2009, Roseline Bachelot, alors ministre de la Santé, marque une évolution significative dans l’approche médicale de ce qu’on appelait encore à l’époque le « transsexualisme ». Elle décide de retirer des affections psychiatriques la prise en charge de la transidentité (affections de longue durée [ALD] 23) pour la faire passer en ALD 31 (hors liste). Décision appliquée en 2010 qui, de fait, sous-tend que la transidentité n’est plus considérée comme une maladie mentale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) sera moins rapide : ce n’est qu’en 2019, qu’elle retire la transidentité de la classification des troubles mentaux. Mais il faudra encore attendre 2022 pour l’application de cette décision. Toutefois, aujourd’hui encore, en France, des cotations de l’Assurance maladie reprennent toujours les termes jugés inappropriés de « maladie mentale » et de « transsexualisme » (Figure 1).
Figure 1. Liste des GHM (groupe homogène de malades). Un résumé d’unité médicale (RUM) est produit à la fin de chaque séjour de malade dans une unité médicale assurant des soins de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie. Il contient des informations d’ordre administratif et médical, codées selon des nomenclatures et des classifications standardisées (ici, F640 : transsexualisme). RUM : résumé d’unité médicale ; HOSP : hospitalisation. |
En 2016, la « loi de modernisation de la justice du XXIe siècle » libéralise le changement d’état civil des personnes trans. La grande avancée : plus aucun certificat médical n’est exigé pour prouver une opération de « changement de sexe », ce que des associations trans appelaient « castration obligatoire »… puisque c’était un préalable imposé au changement d’état civil. Une intervention chirurgicale n’est donc plus nécessaire pour officialiser son changement de prénom et de sexe sur son acte de naissance. Il y a encore la « Circulaire Blanquer »1, du nom du ministre de l’Éducation nationale, qui, en 2021, préconise un accompagnement des enfants trans, bienveillant et respectueux de leur genre, dans les établissements scolaires. Sans oublier, en 2022, la loi contre les thérapies de conversion2 qui condamne toute intervention psychologique, médicale ou spirituelle pour « reconfigurer » une orientation sexuelle ou une identité de genre.
… mais il reste beaucoup à faire
Officiellement (et… réellement), la transidentité n’est donc pas un trouble mental ni une maladie psychiatrique. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore, des médecins et des caisses primaires d’Assurance maladie (CPAM) continuent d’exiger un certificat signé d’un psychiatre avant toute prise en charge d’une personne transgenre. Ce certificat doit attester du « trouble » d’incongruence de genre du patient et donc de sa transidentité. Ce qui fait réagir les associations communautaires : « Qui mieux que nous, personnes trans, peut attester de notre transidentité ? Sommes-nous toujours des malades mentaux à qui on oblige de passer par un psy pour détecter une pathologie ? ».
Cette exigence date du protocole élaboré en… 1989 et adopté par l’Ordre national des médecins et le ministère de la Santé. Vingt ans plus tard, la Haute autorité de santé (HAS) ne remet rien en cause et propose simplement la mise en place d’un dispositif d’organisation des soins similaire à celui qui existe pour les maladies rares. Il s’agira de labelliser des « centres de référence dédiés au transsexualisme » et de faire appel à la Société française d’études et de prise en charge de la transidentité (SoFECT), qui regroupe la plupart des médecins hospitaliers spécialistes de la transidentité. Malgré l’absence de véritables recommandations et d’obligations, la caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) imposera ce parcours médical hospitalier ; il sera rapidement contesté par les associations qui dénoncent les « équipes dites officielles de la SoFECT ». Elles souhaitent que les personnes trans en demande d’un accompagnement médical puissent choisir librement leur médecin pour les traitements hormonaux et les opérations d’affirmation de genre, sans être obligées de suivre un parcours imposé, balisé et psychiatrisé.
De cette situation, naîtra une virulente contestation de la SoFECT de la part des associations trans, mais aussi en interne, de la part de nombreux de ses médecins adhérents critiquant son monolithisme et son manque d’évolution. Cette société savante sera dissoute en 2019. Aujourd’hui, des médecins libéraux, souvent regroupés dans des associations ou des maisons médicales, accompagnent les personnes transgenres. Mais nombreux sont encore ceux qui, confrontés au flou de la situation et souhaitant se couvrir face à l’incompréhension surannée du Conseil de l’Ordre et au risque de plaintes et de condamnations, continuent d’exiger le certificat psychiatrique. Il en est de même pour de nombreuses CPAM qui lient ce certificat à l’obtention de la prise en charge en ALD.
Des décisions différenciées par certaines Caisses primaires d’assurance maladie
Afin d’éclaircir la situation, l’association TRANS SANTÉ France (association pluriprofessionnelle française santé trans), aussi appelée FPATH (pour French Professional Association for Transgender Health)3 a interrogé en juin 2022 le médecin-conseil national de la CNAM sur ce certificat psychiatrique. Il a très clairement répondu que ce certificat n’avait absolument aucune obligation à être exigé. Il s’est engagé à rédiger un document en ce sens. Il a également précisé que les prises en charge par les CPAM dépendaient de l’avis du service médical de leur circonscription. Ce qui explique la différence de traitement des prises en charge selon le lieu de résidence ; une inégalité et une injustice incompréhensibles pour les personnes transgenres. Pourquoi cette différence territoriale ? Certaines CPAM refusent la prise en charge de l’épilation définitive des femmes trans ou des séances d’orthophonie quand d’autres l’acceptent. Certaines CPAM imagineraient toute une série de blocages administratifs pour refuser la prise en charge d’opérations d’affirmation de genre. Avec toutes les conséquences humaines que cela peut avoir sur la santé mentale des personnes concernées : les délais d’intervention chirurgicale sont très longs. D’où une augmentation des risques de dépression, voire, plus grave, de gestes désespérés.
Parfois, c’est le tribunal qui fait entendre raison à l’Assurance maladie, avec une condamnation à la clé, comme celle qui a frappé il y a quelques mois la CPAM de Roubaix-Tourcoing [1]. Celle-ci a été condamnée par le tribunal judiciaire de Lille pour le refus de prise en charge de l’augmentation mammaire d’une femme transgenre. Le tribunal a même considéré qu’il s’agissait d’une décision « discriminatoire », puisque, dans le cas d’une femme cisgenre, la prise en charge aurait été acceptée sans les contraintes et obstacles imposés à la patiente transgenre. Une nouvelle plainte vient d’ailleurs d’être déposée contre cette caisse primaire par plusieurs associations, plainte cette fois au pénal, à propos de cette même affaire.
Certaines CPAM s’appuient également sur des autorisations de mise sur le marché (AMM) des traitements hormonaux spécifiques à un sexe biologique pour refuser leur prise en charge aux personnes transgenres. Or, une femme trans, née de sexe masculin, a besoin d’hormones féminines pour son affirmation de genre. Et vice versa pour un homme trans.
Beaucoup de codages des cotations d’actes sont liés au sexe du patient, 1 pour un homme ou 2 pour une femme, et bloquent les cotations pour des actes concernant les personnes trans : par exemple, les logiciels ne permettent pas l’enregistrement des frottis vaginaux des hommes trans, ou des analyses du taux sanguin de PSA (prostate specific antigen) des femmes trans, pour celles et ceux ayant mis leur état-civil en conformité avec leur genre. Autres aberrations qui représentent un danger de santé publique : l’appel au dépistage du cancer du col de l’utérus auprès des femmes trans, pourtant pas concernées, mais pas auprès des hommes trans, de sexe biologique féminin. Il en est de même avec les opérations de dépistage du cancer de la prostate qui oublient les femmes trans.
Cette attitude de l’Assurance maladie, parfois peu encline à une bienveillance généralisée vis-à-vis des personnes trans, est souvent considérée par les associations comme « discriminatoire », « transphobe » et « irrespectueuse d’un mal-être et d’une souffrance liés au rejet ». Une attitude qui se retrouve dans les difficultés et les délais incroyablement longs pour obtenir une carte Vitale prenant en compte le changement d’identité. D’où des mégenrages4 insupportables à subir dans les cabinets médicaux, les centres hospitaliers ou les laboratoires d’analyses médicales : par exemple, être appelée « monsieur » quand on est femme trans, face au regard des autres patients interloqués de la salle d’attente. Plus dure encore, cette situation vécue par une patiente qui devait subir une intervention de féminisation du visage ; elle se retrouve bloquée sur la table d’opération par le médecin-anesthésiste qui refuse de l’endormir parce que son bracelet hospitalier indique le prénom correspondant à sa nouvelle carte d’identité (prénom féminin), alors que les documents médicaux indiquent encore son ancien prénom masculin… On imagine l’angoisse et la tension nerveuse de cette patiente. Il lui faudra attendre, sur la table d’opération, l’ouverture des services administratifs et informatiques de l’hôpital pour qu’une personne habilitée mette en conformité les documents et qu’elle puisse être enfin endormie…
Des espoirs placés entre les mains de la HAS
Associations, personnes concernées, familles, médecins et paramédicaux comptent beaucoup sur les travaux qui débutent sous l’égide de la Haute autorité de santé (HAS)5. Il s’agit de repenser complètement les recommandations sur l’accompagnement des personnes trans datant de 1989, quelque peu réexaminées dans un document de 2009, « inabouti » selon la HAS elle-même [2]. Des recommandations totalement obsolètes, dont certaines, comme l’obligation d’« expérience de vie réelle », étaient inadaptées, dangereuses, et d’autres totalement pathologisantes et stigmatisantes, renforçant par là-même la souffrance des personnes concernées. À noter que dans son document de 2009, la HAS reconnaît que « bien qu’il représente le seul outil disponible sur lequel s’appuie la Caisse [d’Assurance maladie], ce protocole ne repose sur aucune base légale ». L’association marseillaise TRANSAT6 a réalisé une synthèse documentaire juridique qui montre toutes les atteintes actuelles au droit des personnes trans dans leur prise en charge médicale [3].
À la demande d’Olivier Véran, alors ministre de la Santé, un document très exhaustif, sous l’égide de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), a été réalisé et rendu public en mars 2022 [4]. Ce « Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans » fait le point sur la situation actuelle, non satisfaisante comme on l’a vu, et lance des pistes pour un accompagnement bienveillant et respectueux. C’est sur cette base que le ministère de la Santé a saisi la HAS afin d’établir des « recommandations de bonne conduite », en associant médecins, paramédicaux et personnes concernées. Une note de cadrage « Parcours de transition des personnes transgenres » [5] a été rédigée en septembre 2022, après trois réunions préparatoires en mai et juin et avant le début des travaux prévus pour une durée d’une année.
Des objectifs communs ?
Médecins et associations de personnes trans sont-ils sur la même trajectoire quant à une réforme profonde de l’accompagnement médical ? Globalement oui, si l’on en croît les différentes réunions qui ont d’ores et déjà eu lieu au ministère de l’Égalité Femme-Homme, ou sous l’égide de la HAS, des réunions rassemblant des associations d’aide et d’accueil de personnes transgenres (OUTrans7, Acceptess-T8, RITA9, TRANSAT, etc.) et des associations paritaires de personnes concernées et de médecins (ReST10, TRANS SANTÉ France – FPATH, etc.). Certaines associations demeurent toutefois très méfiantes à l’égard des médecins hospitaliers, gardant en mémoire la difficile période de la SoFECT, pas toujours bienveillante, préservant son pré carré et imposant les contraintes les plus restrictives de certaines CPAM. TRANS SANTÉ France a ainsi clairement condamné les violences médicales dont ont pu être l’objet les personnes transgenres [6]. Et lors des réunions, les objectifs sont apparus quasiment communs pour toutes les associations.
Aujourd’hui, quelles sont les attentes de la plupart des personnes trans, des associations trans et paritaires, et des médecins spécialistes des transidentités ?
La dépathologisation et la dépsychiatrisation. La transidentité et la non binarité n’étant pas une maladie mentale, un diagnostic psychiatrique ne doit plus être exigé lorsque la personne trans ne présente aucun trouble mental11. Globalement, les dernières recommandations de l’association internationale WPATH (world professional association for transgender health), les SOC 8 (standards of care version 8) [7], sont totalement en accord avec ces objectifs.
L’autodétermination éclairée. Qui mieux que la personne concernée peut affirmer qu’elle est « trans » ? Ce n’est pas à un psychiatre de le faire et de rédiger un certificat de transidentité. Demande-t-on à une personne homosexuelle de prouver son homosexualité ? Toutefois, cette autodétermination doit être « éclairée » par le médecin prescrivant le traitement hormonal et par le chirurgien avant toute intervention. Il s’agit d’expliquer, comme pour n’importe quel acte médical, les contre-indications possibles, les effets secondaires, les risques et les complications éventuelles. La décision finale revient donc à la personne concernée dans le cadre général de l’exercice médical.
L’accompagnement aux parcours de transition doit se réaliser dans le parcours de santé usuel et de droit commun. Toutefois, peu de médecins généralistes ont une connaissance des transidentités et des traitements hormonaux. Il est donc nécessaire de lancer un plan massif de formation à l’accompagnement médical des personnes trans, formation quasi inexistante dans les facultés de médecine. À l’heure actuelle, il n’existe qu’un diplôme universitaire (DU) de « prise en charge de la transidentité » dispensé en distanciel par Sorbonne université et l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et un diplôme inter universitaire national (DIU) d’« accompagnement, soins et santé des personnes transgenres », dispensé en présentiel par les facultés de Paris-Saclay, Lyon, Marseille et Lille.
Le droit à la reproduction avec la proposition systématique de conservation des gamètes avant tout acte irréversible, et l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée). La loi de bioéthique de 2021 a totalement oublié la situation des personnes transgenres. En juin dernier, TRANS SANTÉ France et son collège de médecins de la fertilité et de la reproduction, ont publié des recommandations à propos de la « préservation de la fertilité et l’accès à l’assistance médicale à la procréation chez les personnes trans » [8].
L’accompagnement des enfants trans. Ils doivent en effet bénéficier du même respect qu’attendent les adultes trans. Et de la même écoute. Ainsi que leurs parents. Des équipes hospitalières et des psychologues libéraux participent déjà à l’accompagnement des enfants dans leur transition sociale [9]. Mais ils sont trop peu nombreux et mal répartis sur le territoire national. Il faut aussi que cessent les mensonges et contre-vérités assénés à longueur de médias par certaines associations qui ne veulent pas comprendre que la transidentité n’est ni un choix ni une lubie, mais une souffrance quand le genre et l’apparence ne correspondent pas à la façon dont on se ressent. Ne pas écouter les enfants, voire préconiser une thérapie de conversion (pourtant interdite par la loi du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne2) afin de les « remettre dans le droit chemin » ne peut qu’accroître leur mal-être et conduire à de graves dépressions, déscolarisation, scarifications, et suicide. Les études de l’Académie américaine de pédiatrie sont claires [11]: les chercheurs ont constaté une diminution de 60 % de dépressions et de 73 % de tentatives de suicide chez les jeunes accompagnés dans leur affirmation de genre et/ou bénéficiant de bloqueurs de puberté.
Enfin, enfants, adolescents et adultes transgenres attendent de la bienveillance auprès des professionnels de santé. Pour atteindre l’espoir tant attendu d’être enfin soi-même, la plupart des personnes trans n’ont pas d’autres choix que de compter sur la médecine. Impossible de s’y soustraire… Pourtant, nombre de professionnels restent réticents à les accompagner, parfois sous de faux prétextes cachant une forme de transphobie. Les associations trans en sont témoins. Ainsi, l’association parisienne OUTrans a réalisé en 2021 un test téléphonique auprès de 62 endocrinologues franciliens [5]. Il leur était demandé un rendez-vous en vue d’un traitement hormonal dans le cadre d’une transition. Le résultat fut éloquent : 6 endocrinologues n’acceptaient plus de nouveaux patients, 18 n’ont jamais rappelé au message laissé, 33 ont décliné la demande de rendez-vous (incompétence, refus ou renvoi), 5 ont accepté, dont 2 sous conditions (pas de primo-prescription, certificat psychiatrique nécessaire).
Paradoxe de cette situation très délicate, des incompréhensions et des corporatismes apparaissent. Ainsi, des endocrinologues contestent le fait que des médecins généralistes puissent prescrire des traitements hormonaux. Or, rien ne s’y oppose ; quelques-uns le font déjà. Par ailleurs, certains psychiatres comprennent qu’une dépsychiatrisation revient à les rejeter et à les marginaliser ; en fait, il est simplement question de re-situer les soins psychiatriques à leurs justes places d’accompagnement, en dehors du positionnement de « gardien du temple » de l’accès à la transition médicale qu’ils tiennent aujourd’hui. Les personnes trans ne demandent que la fin réelle du certificat psychiatrique, ce « laisser-passer » encore exigé, comme on l’a vu, par certaines CPAM, pour accéder à la prise en charge. La transition n’étant pas forcément un long fleuve tranquille face à la famille, au monde professionnel ou scolaire, à la société, psychiatres et psychologues resteront des ressources précieuses pour ces personnes fragilisées par un environnement hostile ou malveillant ou, tout simplement, fragilisées par des traitements, des opérations et une « nouvelle naissance ». Il est vrai que, dans certaines associations de personnes trans, demeurent une farouche aversion et une forte hostilité à l’égard des psychiatres, au point de refuser de les rencontrer. Elles gardent cette terrible image de gardiens, pas toujours bienveillants, dont le seul avis permettait ou pas l’accès à la transition.
Aujourd’hui, le monde de la santé, mais aussi les mondes politique, social, professionnel, éducatif, en un mot la société, se doivent de prendre en compte cette réalité : l’existence d’êtres qui n’ont pas fait le choix d’être transgenres et/ou non binaires. Leur seul souhait, simplement vivre leur vie, telle qu’ils la ressentent. Une partie de la population peut-elle être considérée autrement que la population générale ? Pourquoi ne peut-elle disposer des mêmes droits (le droit commun) que les autres ? Côté santé, on peut espérer des avancées, prochainement.
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Béatrice Denaes est auteure du livre « Ce corps n’était pas le mien - Histoire d’une transition tant attendue » (First éditions, 2020).
Le médecin-conseil national et le directeur en charge du réseau médical de la CNAM ont indiqué dans une note de cadrage adressée le 12 décembre 2022 aux services médicaux des CPAM que « dans le cadre de la gestion des demandes d’ALD hors liste pour prise en charge d’un accompagnement médical transgenre chez l’adulte, il n’y a pas lieu de réclamer la production d’un certificat psychiatrique ».
Références
- Jugement du 21 février 2022 du tribunal judiciaire de Lille, pôle social, contre la CPAM de Roubaix-Tourcoing, l’obligeant à « prendre en charge l’intervention de mastoplastie bilatérale avec pose d’implant prothétique cotée QEMA004 (CCAM) ». https://urlz.fr/jObr. [Google Scholar]
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- Association TRANS SANTÉ France. Reconnaissance des pratiques inadaptées. 2022. https://urlz.fr/jQGG. [Google Scholar]
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Liste des figures
Figure 1. Liste des GHM (groupe homogène de malades). Un résumé d’unité médicale (RUM) est produit à la fin de chaque séjour de malade dans une unité médicale assurant des soins de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie. Il contient des informations d’ordre administratif et médical, codées selon des nomenclatures et des classifications standardisées (ici, F640 : transsexualisme). RUM : résumé d’unité médicale ; HOSP : hospitalisation. |
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