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Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 11, Novembre 2022
Genre
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Page(s) | 913 - 918 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2022152 | |
Published online | 30 November 2022 |
Modification du genre de la voix
Prise en charge orthophonique et chirurgicale
Modification of voice gender: Speech therapy and surgery
Service d’oto-rhino-laryngologie chirurgie cervico-faciale, hôpital Tenon, AP-HP, Paris, France
Vignette (© ParaDox).
Voix, genre et normes sociales
Notre voix, au même titre que notre apparence physique, est un élément important de notre identité. Le psychologue belge Salvatore Campanella emploie le terme de « visage auditif » [1] en évoquant le rôle du visage et de la voix dans les interactions sociales. Ainsi, en tant que marqueur du genre, notre voix est soumise à certains stéréotypes sociaux afin d’être identifiée comme telle ou tel [2].
Toutefois, ces informations sont à relativiser en fonction de notre vécu et de la situation dans laquelle nous nous trouvons (à quel moment se situe l’interaction verbale, quelles sont l’émotion et l’intention du locuteur, son âge, sa nationalité, etc.), mais aussi, à qui l’on s’adresse et quels sont les retours du ou des interlocuteurs [3].
Par ailleurs, les normes vocales évoluent avec le temps ; si l’on écoute, par exemple, les voix des journalistes relatant les actualités ou les publicités des années 1940, on entend des voix masculines et féminines plus aiguës et plus modulées que celles de nos journalistes actuels [4].
Notons que la voix grave reste encore, dans notre pays, associée à la voix du pouvoir et de l’autorité. Dans notre pratique orthophonique, il nous est souvent arrivé de voir des hommes et des femmes venir consulter pour une voix trop aiguë ou manquant de résonance grave, nuisant à leur crédibilité ! Rares sont celles et ceux qui se plaignent d’une voix trop grave (exception faite des personnes transidentitaires homme vers femme, ou de personnes souffrant d’une maladie particulière des cordes vocales).
Notre voix est donc un marqueur de notre identité et obéit à un certain nombre de codes sociaux implicites qui nous placent, au même titre que notre style vestimentaire, dans des groupes, catégories, genres prédéterminés, qui évoluent au gré des modes et des époques.
Il est donc tout à fait logique que les personnes souhaitant faire une transition de genre (masculin-féminin ou MtF pour male to female, ou féminin-masculin ou FtM pour female to male) incluent la modification de leur voix dans leur parcours médico-social.
La voix et son évolution vers une identité masculine ou féminine
Les trois paramètres acoustiques de la voix sont l’intensité, la hauteur, et le timbre. L’intensité se mesure en décibel. La hauteur, c’est-à-dire la fréquence de vibration des cordes vocales, se mesure en hertz (Hz) et correspond, lors de l’analyse spectrale du signal sonore, à la fréquence fondamentale, ou F0. Le timbre peut se définir comme la « couleur » d’un son, ce sont les harmoniques qui permettent, par exemple, de différencier le son d’un piano de celui d’un violon pour une même hauteur. En ce qui concerne la voix, ils seront appelés formants et notés f1, f2, f3, etc. Physiologiquement, le timbre de la voix est la résultante de la transformation et du modelage du son par les cavités de résonances : le pharynx, la cavité buccale et, pour certains sons, les fosses nasales et le naso-pharynx.
Ces trois paramètres vont nous permettre, ainsi que la prosodie (mélodie, intonation, rythme de la parole), d’identifier une voix, voire de reconnaître une voix familière.
L’identité de genre vocal se détermine au moment de la puberté.
Chez le garçon, sous l’effet de la testostérone, les cordes vocales s’allongent pour atteindre en quelques mois leur taille adulte (16 à 23 mm). C’est un changement assez spectaculaire qui ne passe pas inaperçu. Parallèlement, on note une croissance globale du larynx et l’angle antérieur du cartilage thyroïde se ferme jusqu’à 90°, ce qui explique que la pomme d’Adam soit plus saillante chez l’homme que chez la femme. La fréquence fondamentale F0 du garçon va considérablement diminuer, pouvant descendre d’une octave. En raison de l’accroissement global de la taille du larynx, de l’augmentation de la longueur et de la masse des cordes vocales, on notera un changement de registre vocal avec passage du mécanisme 2 au mécanisme 11.
Chez la fille, les œstrogènes ont une incidence moindre sur la voix. La croissance des cordes vocales se fait progressivement pour atteindre la taille adulte (12 à 17 mm). Cette modification s’étend sur plusieurs années et passe souvent inaperçue. L’angle du cartilage thyroïde reste obtus (environ 120°). La hauteur de la voix baisse de deux à trois tons. Le passage du mécanisme 2 au mécanisme 1 est moins évident et moins systématique que chez le garçon [5].
Parallèlement la situation du larynx continue, dans l’un et l’autre sexe, à descendre vers le bas, le bord inférieur atteignant le niveau de la septième vertèbre cervicale (C7) vers 15/20 ans [6].
À l’âge adulte, la hauteur moyenne des voix féminines est plus élevée que celle des voix masculines. Le timbre féminin comporte plus de fréquences aiguës et les mécanismes 1 et 2 sont alternativement utilisés. Les voix masculines sont plus graves et le timbre est plus riche en fréquences graves ; le mécanisme 1 est très majoritairement utilisé.
Pour résumer, la hauteur et le timbre de la voix sont déterminants dans l’identification du genre de la voix [7, 8]. Aron Arnold met ainsi en évidence dans sa thèse de doctorat en phonétique de l’université Sorbonne Paris Cité [9], l’importance de la hauteur du fondamental F0 et des fréquences de résonances f2 et f3 dans la perception du genre de la voix.
Bien que les valeurs des F0 masculins et féminins varient considérablement d’un auteur à l’autre [10], cette valeur est majoritairement située entre 70 Hz et 140 Hz pour les hommes, et 170 Hz et 230 Hz pour les femmes.
La prosodie, quant à elle, est un facteur complémentaire lié au genre de la voix, mais ce n’est pas un facteur déterminant. Une voix grave très mélodieuse et une voix aiguë sans mélodie ne sont pas nécessairement identifiées comme féminine et masculine. Par ailleurs, la prosodie est fortement impactée par le contexte social de chacun.
Transition vocale et travail orthophonique
Débuter un travail de modification de la voix peut se faire à tout moment du parcours de transition. Néanmoins, il faut ici faire une distinction entre féminisation vocale et masculinisation vocale.
Le travail de féminisation de la voix est un travail progressif et souvent plus long que certaines modifications physiques. Nous pensons qu’il est important de débuter ce travail le plus tôt possible. Dans ce cas, le travail de la voix reste réversible et progressif et permet, entre autres, de s’interroger sur soi-même et sur son rapport aux normes sociales. Certaines personnes débutent parfois le travail de leur voix avant de commencer une transformation hormono-chirurgicale. Même si l’aspect extérieur de la personne est encore éloigné de son genre désiré, le fait de travailler sa voix avant toute transformation la place dans une situation d’essai dans le cadre bienveillant du cabinet de l’orthophoniste ; cela lui permet de s’interroger, de tester, d’éprouver les sensations qu’elle perçoit en utilisant d’autres repères que ceux qui lui sont familiers.
En ce qui concerne la masculinisation de la voix, la prise de testostérone provoquera une mue physiologique proche de celle de l’adolescent cis-genre ; cette mue se produit en général pendant les neuf premiers mois de l’hormonothérapie [11]. Toutefois, un accompagnement de cette mue peut permettre à la personne qui le souhaite de mettre en place plus efficacement ses nouveaux repères de hauteur et de timbre, et leur emploi dans les différentes situations de communication de la vie quotidienne.
Il faut noter aussi que certains hommes trans ne souhaitent pas bénéficier, pour différentes raisons, d’une hormonothérapie. Un travail orthophonique peut quand même leur être proposé.
L’orthophonie et les chirurgies de féminisation vocale peuvent être prises en charge à 100 % au titre de l’ALD 31 (affection longue durée hors liste). Une seule obligation, actuellement, pour bénéficier de la prise en charge orthophonique par l’Assurance maladie est d’être en possession d’une prescription médicale sur laquelle il est demandé un « bilan orthophonique et rééducation si nécessaire ».
L’orthophoniste en tant qu’accompagnant
Il ne s’agit pas d’une rééducation à proprement parler, puisqu’il n’y a pas d’altération pathologique. L’orthophoniste devient donc un accompagnateur qui va, non pas rééduquer la personne, mais l’accompagner grâce à son expérience et sa technique dans des modifications qui ne sont pas de l’ordre de « retrouver une voix » ou de corriger un geste vocal délétère, mais plutôt de faire évoluer la voix dans le sens désiré [12]. On pourrait dire qu’il s’agit de développement de performances, nécessaire au bien-être de la personne. Il ne s’agit donc plus de rééducation, mais d’éducation. C’est pour cela que la détermination des besoins de la personne et de ses attentes va conditionner ce travail de façon importante.
La prise en charge orthophonique, quelle que soit la demande, se déroule suivant le même schéma : 1) un bilan initial qui déterminera, en l’occurrence, l’état de la voix et du comportement vocal de la personne ainsi que les axes de travail à mener ; 2) une série de séances de travail vocal. Des « bilans de renouvellement » sont aussi effectués, sortes de points d’étapes lors d’une prise en charge de longue durée.
Le bilan initial
Ce bilan comprend une évaluation de la demande de la personne trans et de ses compétences vocales ; ceci permettra d’établir un plan de travail en fonction des objectifs et des capacités de la personne.
Si, en général, la demande se résume à avoir une voix en harmonie avec son identité de genre ressentie, il est important de préciser avec la personne ce qui est de l’ordre du possible dans le domaine de la féminisation et ce qui revient à « l’esthétique ».
Il ne s’agit pas d’évacuer la question esthétique, qui souvent signifie pour la personne qu’elle souhaite aimer sa voix selon ses critères à elle, mais de bien définir ces critères.
Cette demande sera corrélée au quotidien de la personne. Lors de l’anamnèse2, nous poserons un certain nombre de questions telles que :
– a-t-elle déjà effectué son coming-out 3, ou bien utilise-t-elle/doit-elle utiliser encore professionnellement ou familialement sa voix initiale ?
– quelle est la fréquence de ses interactions orales au cours de la journée ?
– doit-elle utiliser professionnellement sa voix ?
– a-t-elle déjà essayé de modifier sa voix ? Quelles sont les réactions de l’entourage lorsqu’elle a tenté de modifier sa voix ?
– l’hormonothérapie a-t-elle débuté ? Si cette question, lors du bilan vocal, semble évidente pour les hommes trans, elle a pour les personnes MtF une autre utilité. Elle a pour objectif de réexpliquer que la prise d’hormones féminines ne modifiera pas la hauteur de leur voix, et que, une fois la mue passée, il n’y a pas de retour physiologique possible. La plupart des personnes trans le savent mais certaines espèrent toujours un peu.
Pour les femmes trans, le TVQmtf (transsexual voice questionnaire for male to female), un questionnaire d’évaluation de l’usage et de la perception qu’elles ont de leur voix au quotidien est proposé [13]. Cet auto-questionnaire permet également, dans le cas de l’orientation vers une solution chirurgicale pour la féminisation de la voix, d’évaluer le gain psycho-social d’une telle intervention, la mesure chiffrée de la hauteur de la voix (voir plus loin) n’étant pas suffisante.
Lors de cet échange certaines questions posées permettent de rassurer la personne et de préciser, en l’adaptant à chacune, le travail qui sera réalisé. Dans ce cadre, parmi les questions et remarques formulées par les personnes trans, deux attirent plus particulièrement l’attention :
«Combien de temps cela va durer ? »
Réponse : « Entre 6 mois et 4 ans ».
Il faut préciser qu’il s’agit de la modification de la voix et non des séances d’orthophonie. C’est-à-dire que la voix de la personne va continuer à évoluer au-delà du travail qui a été entrepris.
L’exemple que nous donnons à cette occasion est un parallèle avec l’accent. Lorsqu’un accent vous plaît et que vous souhaitez le prendre, au début, vous allez l’imiter de façon plus ou moins heureuse, puis il deviendra de plus en plus facile à prendre, et puis, à un moment, vous n’y penserez plus. Certaines personnes prennent très vite l’accent de façon naturelle, d’autres mettent plus de temps et d’autres encore n’arriveront jamais à l’avoir totalement.
«J’ai peur d’être ridicule avec cette voix »
Changer des repères est toujours déstabilisant et il faut le faire de façon progressive. Il est nécessaire de rassurer les personnes en leur expliquant que le modèle théâtral de type « La cage aux folles »4 n’a rien à voir avec la féminisation de la voix. Cette remarque nous montre bien la puissance des normes et des stéréotypes : « un homme qui prend une voix féminine parle forcément de façon maniérée ». Nous devons évoquer aussi, avec les personnes MtF, le fait que féminiser leur voix va leur faire perdre de la crédibilité. Pour exemple, cette réflexion qu’a rapporté une personne dirigeant une agence de communication et faisant une transition : « Quand j’étais en homme, lors des réunions avec des nouveaux clients, les participants m’écoutaient parler et me faisaient, généralement, spontanément confiance. Depuis que je suis une femme, on me coupe tout le temps la parole, on remet en cause ce que je dis ; j’ai même dû quelquefois m’inventer un associé masculin pour crédibiliser mes décisions ».
À noter que cette remarque est plutôt rare de la part des hommes trans bien que certains se sentent un peu mal à l’aise au début avec leur « nouvelle voix ».
L’évaluation des compétences techniques de la voix et du comportement vocal de la personne consistera à vérifier dans quelles mesures celle-ci peut monter ou abaisser la hauteur de sa voix, comment elle articule lorsqu’elle parle spontanément, et si elle peut faire varier l’intensité de sa voix. Bien évidemment, comme dans le cadre d’un bilan vocal classique, tout comportement d’effort vocal, en voix spontanée et lors des tentatives de féminisation, sont notés afin d’y remédier si besoin.
Une mesure de la hauteur de la voix, c’est-à-dire du fondamental laryngé F0 et f1, f2, f3, est également réalisée. Nous parlerons de mesure chiffrée plus que de mesure objective, car le chiffre qui est obtenu n’est que la mesure à un instant « t » et dans un cadre particulier, et ne reflète qu’en partie la réalité du terrain. Cette mesure, bien qu’imparfaite, n’est pas inutile. Elle permet de mettre des valeurs sur la hauteur de la voix ressentie. Elle sert également, dans une optique de recherche, pour améliorer le travail de la voix et de la parole, notamment en comparaison des travaux d’Aron Arnold sur la perception du genre dans la voix [14].
Enfin, il semble souhaitable qu’un examen phoniatrique soit également réalisé. La majorité des personnes qui sont reçues par l’orthophoniste ne sont pas adressées par un oto-rhino-laryngologiste (ORL) ou un phoniatre (ORL spécialiste des troubles de la phonation). Elles disposent en effet souvent d’une ordonnance de leur médecin traitant, de leur endocrinologue ou de leur psychiatre. Sans médicaliser exagérément, un « état des lieux » réalisé par un phoniatre spécialisé dans ce type de problématique permet de vérifier qu’il n’existe pas d’atteinte ou d’anomalie (ce qui n’empêcherait évidemment pas le travail orthophonique mais pourrait l’orienter un peu différemment). La personne trans pourra, à cette occasion, évoquer les différentes techniques de chirurgie et avoir un deuxième avis sur sa voix et le travail vocal. Il n’y a pas d’obligation à réaliser cet examen, sauf dans le cas d’une voix atypique qui laisserait sous-entendre un problème fonctionnel ou pathologique.
Séances de travail vocal
Plusieurs manuels et sites internet permettent de travailler la féminisation de sa voix. Ils donnent soit une méthode, soit des exercices plus ou moins détaillés. Tous donnent des renseignements et des conseils très utiles, dont nous nous sommes bien entendu inspirés. Néanmoins travailler sa voix seul se heurte à certaines limites.
La première est personnelle : si l’on fait exception des comédiens et des chanteurs pour qui le travail solitaire de la voix n’est que le prolongement d’une activité collective et dont la finalité est la représentation au public, nous sommes programmés pour parler à quelqu’un et notre voix prend toute sa valeur dans le soutien de nos paroles ainsi que le définit le médecin et psychanalyste Denis Vasse (1933-2018) dans son ouvrage « l’Ombilic et la voix » [15].
La deuxième concerne la validation des résultats obtenus : la voix de la personne va se modifier lentement. Il faut donc régulièrement éprouver les résultats obtenus, savoir si les exercices sont bien réalisés et se permettre de faire des erreurs. Or, lorsque nous parlons aux autres, nous nous soucions principalement du message que nous transmettons et nous souhaitons que la réception de ce message corresponde le plus étroitement possible à ce que nous avions décidé d’y mettre. Il n’y a pas de place pour les essais, et les erreurs ne sont pas les bienvenues. De nombreuses personnes transidentitaires n’osent pas, dans un premier temps, utiliser leur « nouvelle » voix de peur d’être mal identifiées et ridicules. Ainsi, le cabinet d’orthophonie est le lieu où tous les essais sont permis et où l’écoute bienveillante de l’orthophoniste, qui guide et encourage dans un espace sécurisé, peut permettre à la personne de s’entraîner dans une réelle dynamique de communication où le contenu du message compte moins que son contenant.
Chaque orthophoniste applique sa propre méthode. Nous ne détaillerons pas ici tous les exercices possibles. Un certain nombre de méthodes proposées par différents thérapeutes sont présentées dans l’ouvrage « Voix et transidentité » [16]. Globalement, le travail se fait selon deux axes, comme pour la pratique d’un instrument : un axe technique, comparable à l’exécution de gammes, et un axe communicationnel qui serait celui de l’interprétation.
L’axe technique consistera à mettre en place les nouveaux repères de hauteur et de timbre par la modification de la hauteur tonale et la modification des points d’articulation.
L’axe communicationnel concernera l’adaptation de ces nouveaux repères aux différentes circonstances de la vie quotidienne. Comme nous l’avons vu, notre voix varie en intensité, en hauteur, et en timbre, selon la ou les personnes à qui l’on s’adresse et suivant le contexte. Notre prosodie aussi. Le travail de féminisation ou de masculinisation de la voix doit tenir compte de ces paramètres et permettre à la personne d’envisager et de tester, de la façon la plus exhaustive possible, toutes ces variables. La voix conversationnelle de type « bavardage » est, la plupart du temps, la plus facile à maintenir, le contrôle de la voix pouvant prédominer sur le contenu du message et son impact sur l’auditeur. Mais dès que le débat se passionne, voire s’envenime, le locuteur se focalise sur le message qu’il transmet ; l’intensité augmente, le débit et la prosodie varient, ainsi que la hauteur de la voix qui peut monter dans les aigus (un comportement que l’on retrouve plus facilement chez les femmes dans notre contexte social) ou descendre dans les fréquences graves.
Travailler le « naturel » est antinomique, travailler la communication orale « naturelle » dans le cadre d’un cabinet d’orthophonie est nettement paradoxal. Il est cependant important de proposer un travail qui prenne en compte la variabilité de ces paramètres pour se rapprocher au plus près des différentes situations de communication orale.
Les séances de travail vocal se feront en fonction de l’évaluation initiale de la voix et des capacités vocales de la personne, selon sa demande et son contexte, et, enfin, en fonction de ses disponibilités. Ainsi, à l’exception d’urgences thérapeutiques ou de rééducation post-opératoire, où le suivi régulier est nécessaire, chaque orthophoniste déterminera, en fonction de la/le patient(e) et de sa propre habitude de travail, le rythme des séances.
La place de la chirurgie
Il est préférable, voire nécessaire, que la chirurgie soit encadrée par un travail vocal. D’abord parce que celui-ci peut être largement suffisant pour féminiser la voix, ensuite parce que c’est au cours de ce travail préliminaire que le type de chirurgie proposé, si besoin, va se déterminer. Il s’agit de chirurgies qui concernent la hauteur de la voix en agissant sur la longueur ou la tension des cordes vocales. Il est donc question d’une « chirurgie de la hauteur » de la voix et non d’une « chirurgie de féminisation » de la voix, un travail vocal devant être nécessairement entrepris avant et après l’intervention [17].
La hauteur de la voix peut être augmentée soit par mise en tension des cordes vocales (cricothyropexie), soit par raccourcissement des cordes vocales (glottoplastie).
La cricothyropexie, décrite en 1983 par Isshiki et al. [18], consiste en l’approximation des cartilages thyroïde et cricoïde (fixation des cartilages thyroïde et cricoïde). Elle n’altère pas le timbre de la voix et, en cas d’échec, n’induit pas de dégradation vocale. Elle est souvent proposée en première intention aux personnes trans qui ont besoin d’une aide pour se sentir définitivement à l’aise. Elle est également proposée soit parce que la voix reste androgyne et qu’une petite augmentation de la hauteur la ferait définitivement basculer dans le féminin, soit parce que la personne a réussi à féminiser sa voix mais qu’elle doit toujours la contrôler sous peine de voir la hauteur de sa voix redescendre.
Pour la cricothyropexie, le bilan pré-opératoire comprend, outre les mesures de la hauteur de la voix et l’évaluation du questionnaire TVQmtf, un scanner laryngé sans injection, qui a pour but d’évaluer l’ossification du cartilage thyroïde et la faisabilité de l’intervention (absence d’ankylose des articulations cricothyroïdiennes et hauteur de membrane cricothyroïdienne suffisante) [19]. Il n’est pas demandé de repos vocal après l’opération. La personne est avertie que sa voix peut être très aiguë et instable et qu’un ou deux mois sont nécessaires pour obtenir un résultat vocal optimal. Quelques séances d’orthophonie peuvent être proposées. Des complications sont possibles : un « lâchage » de la pexie, avec un retour à la voix initiale ; une infection locale (se compliquant elle aussi souvent d’un lâchage de la pexie) ; un emphysème sous-cutané. Le « lâchage » spontané est peu fréquent, l’infection et l’emphysème sous-cutané sont exceptionnels [19].
La glottoplastie de Wendler, décrite en 1990 [20], est proposée aux personnes trans qui n’arrivent que peu à monter la hauteur de leur voix ou qui ne souhaitent pas avoir de cicatrice au niveau du cou. Elle consiste en une désépithélialisation des tiers antérieurs des cordes vocales et de la commissure antérieure, puis de la suture de la partie antérieure des cordes vocales ; deux à trois points sont mis en place selon les possibilités anatomiques [21]. Un bilan phoniatrique sera réalisé en amont par le chirurgien. Après l’opération, un repos vocal strict de deux à trois semaines sera demandé.
Cette chirurgie est irréversible, le timbre de la voix peut être éraillé pendant plusieurs semaines et une baisse d’intensité de la voix est généralement notée. Un lâchage de la suture est possible. Une prise en charge orthophonique post opératoire est vivement conseillée.
Ces interventions réduisent la tessiture de la voix et peuvent induire une limitation de la modulation ; il est important d’en informer les personnes plus particulièrement si elles souhaitent pratiquer le chant [22].
L’évaluation des résultats
Cette évaluation repose sur deux mesures : celle dont se rapproche le clinicien, qui est souvent une valeur chiffrée qui prend en compte les progrès parcourus depuis le début du traitement ; et celle du patient qui mesure sa réussite par rapport à la réalité du terrain (c’est-à-dire, dans le cas des personnes trans, à sa reconnaissance dans le genre désiré et, concernant la voix, à son identification au téléphone).
La mesure du fondamental laryngé ne peut être le critère unique de décision pour la fin du travail d’orthophonie. C’est néanmoins le critère d’évaluation le plus utilisé pour les différentes chirurgies laryngées.
Lorsque le TVQmtf peut être proposé en début puis en fin de travail, ou avant et quelques mois après chirurgie, une comparaison des scores obtenus peut être réalisée. Celle-ci peut objectiver, en partie, la satisfaction des personnes, mais elle reste très dépendante des biais d’interprétation.
Compte-tenu d’une pratique restreinte, les études réalisées dans le cadre de ces interventions ne concernent que des cohortes réduites. Il est donc difficile d’évaluer le bénéfice de ces opérations. Dans son mémoire de fin d’études à l’université de Strasbourg, Juliette Bonamour, orthophoniste libérale, avait analysé et tenté de quantifier le suivi de 98 personnes trans (MtF) entre 2014 et 2017 à l’hôpital Foch à Suresnes. Elle montre, dans sa recherche, combien l’évaluation chiffrée des résultats s’est avérée difficile à obtenir, en raison de protocoles en constante évolution et de patientes difficiles à retrouver pour des évaluations finales [10]. Néanmoins, elle relevait que, concernant le suivi de 72 des 98 patientes pour féminisation vocale sans chirurgie, 28 % avaient abandonné l’orthophonie pour des raisons géographiques ou par découragement, 72 % avaient finalement une voix jugée comme féminine ou androgyne. Le gain moyen en hauteur du F0 atteignait une valeur de +56 Hz. La durée de prise en charge orthophonique était de moins de 6 mois pour 11 % des patientes, de 6 à 12 mois pour 25 % d’entre elles, de 12 à 24 mois dans 40 % des cas, et supérieure à 24 mois pour 22 %. D’autres études restent nécessaires afin de compléter ces données préliminaires et fournir des recommandations cliniques plus précises.
La fin de la prise en charge
Dans la majorité des cas, la décision de fin de prise en charge orthophonique est prise en accord entre la personne trans et l’orthophoniste. Quelques cas complexes peuvent néanmoins se présenter. En effet, certaines personnes trans sont très exigeantes et n’acceptent pas de ne pas continuer à progresser. L’orthophoniste peut ainsi se trouver confronté à une personne en recherche perpétuelle d’amélioration. Dès lors, Il ne s’agit plus de féminisation ou de masculinisation de la voix, mais d’une recherche esthétique, parfois d’un but inaccessible de la voix idéale. Le rôle de l’accompagnant va être d’amener la personne à terminer ce travail, soit en lui proposant éventuellement le recours à une chirurgie si la voix reste trop éloignée du genre désiré, soit en lui proposant d’arrêter les séances ou de les espacer très fortement afin que l’amélioration attendue se réalise « avec le temps ».
Cet exercice reste difficile pour les deux parties. Pour l’orthophoniste, qui va laisser une personne insatisfaite, et pour le patient, qui peut se sentir délaissé par un professionnel en manque de compétence ou de compassion pour son état. L’orthophoniste doit donc régulièrement s’interroger sur son utilité, d’un point de vue technique mais aussi d’un point de vue humain. Parfois, ni le patient ni le clinicien ne sont satisfaits du résultat (lorsque le travail vocal et la chirurgie n’ont pas abouti). La suite dépendra alors de la qualité de la relation patient/clinicien.
La majorité des personnes trans ayant recours soit à l’orthophonie, soit à la chirurgie, soit aux deux, se disent néanmoins satisfaites de leur prise en charge [23]. Pour preuve, entre autres, au-delà des publications sur ce sujet, le nombre croissant de demandes dans ce domaine…
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Les mécanismes 1 et 2 se rapportent aà une configuration particulière du larynx. Le mécanisme 1 (voix de poitrine) correspond aà une position basse du larynx avec des cordes vocales plus épaisses et favorise les fréquences graves. Le mécanisme 2 (voix de tête) correspond aà une position haute du larynx ; les cordes vocales étant fines, il favorise les fréquences aiguës. À l’âge adulte, les hommes abandonnent en général le mécanisme 2, les femmes utilisent l’un et l’autre.
La Cage aux folles est une pièce de théatre écrite par Jean Poiret, mise en scène par Pierre Mondy et présentée pour la première fois au théaâtre du Palais-Royal en 1973 par Jean Poiret et Michel Serrault. Un film, réalisé par édouard Molinaro, éponyme et adapté de la pièce de théaâtre, est sorti en 1978.
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