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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 2, Février 2022
Page(s) 123 - 124
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2022009
Published online 18 February 2022

Le métabolisme est l’ensemble des réactions chimiques qui se déroulent dans l’organisme et, en particulier, le métabolisme énergétique, qui regroupe les voies métaboliques et les réactions permettant de produire l’énergie nécessaire au fonctionnement cellulaire.

L’étude du métabolisme a connu son heure de gloire jusqu’au milieu du xxe siècle, lorsque les principales voies métaboliques ont été découvertes : la glycolyse (par Embden et Meyerhof), le métabolisme du glycogène (par G. et C. Cori), le cycle de l’acide citrique (par Krebs), l’oxydation des acides gras (par Lynen), le fonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale (par Kalckar, Lipman, Ochoa, Keilin, Lehninger, Mitchell et bien d’autres), etc. La connaissance de ces voies métaboliques chez les mammifères, les techniques d’isolement d’organes et de cellules, l’apparition de lignées cellulaires, ont ensuite permis d’étudier la régulation du métabolisme au niveau cellulaire, et, de façon plus intégrée, dans des organes ou dans des organismes entiers, dans des conditions physiologiques (cycles nutritionnels, exercice, reproduction, développement, etc.) ou pathologiques (déficits génétiques, maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité, l’athérosclérose, etc.) Les méthodes d’étude (assez fastidieuses, il faut bien le dire !) comprenaient la mesure des activités enzymatiques et des concentrations d’un nombre limité de molécules par des méthodes chimiques ou enzymatiques ; on trouvait alors dans les laboratoires les quatre tomes et les 2 300 pages du « Methods of enzymatic analysis » de Bergmeyer. Au cours des années 1950-1970, l’utilisation des traceurs, d’abord radioactifs (par exemple, le carbone C14 et le tritium, H3), puis stables lorsque la spectrométrie de masse a été disponible (le carbone C13 et le deutérium, H2), a permis, en marquant des atomes précis des métabolites, de connaître non seulement leurs produits, mais également les flux existants tout au long d’une voie métabolique. Rappelons à ce sujet que la simple mesure d’une concentration de métabolites, voire d’une activité enzymatique, ne donne pas de renseignement sur le flux ; un niveau d’eau élevé et stable dans une baignoire peut traduire des flux entrants et sortants égaux, mais nuls, faibles ou élevés ! Le métabolisme faisait alors l’objet d’un enseignement spécifique, bien souvent peu attractif (rappelez-vous les joies de l’étude du cycle de Krebs !).

À la fin du xxe siècle, le développement de la génétique, de la biologie cellulaire et, surtout, de la biologie moléculaire, a eu des conséquences importantes sur les approches permettant l’étude du métabolisme. Non seulement cela a permis d’ouvrir de nouveaux et fructueux territoires, mais les jeunes chercheurs se sont orientés majoritairement vers ces disciplines où presque tout restait à découvrir ! L’étude du métabolisme chez les mammifères a alors continué, mais surtout sous la forme de physiologie métabolique intégrée et dans des situations pathologiques comme la résistance à l’insuline, le diabète, l’obésité, la stéatose hépatique, le vieillissement, les déficits génétiques, etc. Lorsque les mesures de la quantité relative d’une protéine (par western-blot) et de l’expression de gènes (par northern-blot puis par RT-qPCR[reverse transcription quantitative polymerase chain reaction]) sont devenues accessibles à de nombreux laboratoires, ces outils ont été utilisés pour ouvrir le chapitre très productif de la régulation génique du métabolisme. On a cependant parfois oublié que ces mesures (de protéines, d’ARNm) ne peuvent être assimilées à des activités enzymatiques ou de transport, et encore moins à celles de flux métaboliques, car de très nombreux enzymes/transporteurs sont contrôlés par des mécanismes de modifications post-traductionnelles (phosphorylations, modulateurs allostériques, oligomérisation, changements de localisation, etc.).

La situation a considérablement évolué ces dernières années. En effet, de nouvelles techniques d’investigation à grande échelle (les « omics ») sont apparues et, en particulier, la « métabolomique ». Celle-ci est de la chimie analytique à grande échelle, qui permet de mesurer plusieurs milliers de métabolites de bas poids moléculaires dans un seul échantillon biologique ; on peut utiliser cette technique de façon ciblée, par exemple en détectant les métabolites d’une voie métabolique particulière ; elle donne alors des résultats quantitatifs lorsqu’elle est couplée avec l’utilisation, comme standards internes, de métabolites marqués par des traceurs stables (C13 ou H2). Alternativement, une analyse non ciblée permet de détecter les changements dynamiques relatifs de tous les métabolites dans deux situations différentes. Soulignons que la métabolomique détecte des phénotypes métaboliques en aval des études de génomique, de transcriptomique et de protéomique, car ceux-ci sont le produit final des réactions enzymatiques : elle permet donc d’avoir une vision plus intégrée d’une situation biologique.

La métabolomique peut également être utile pour détecter la présence de biomarqueurs précoces d’une maladie. Par exemple, une analyse lipidomique ciblée sur les sphingolipides a montré que certaines espèces de dihydrocéramides et de céramides plasmatiques étaient augmentées jusqu’à neuf ans avant l’apparition d’un diabète de type 2.

La métabolomique combinée à l’utilisation de métabolites marqués par des isotopes stables peut même permettre de mesurer des flux métaboliques (fluxomique) dans la cellule ou in vivo. Mais bien qu’elle représente un progrès considérable, son utilisation demande une excellente connaissance, et de la technique et du métabolisme, idéalement rassemblés au sein de plates-formes dédiées : préparation des échantillons biologiques (certains métabolites à renouvellement rapide comme l’ATP [environ 70 kg/jour chez un adulte], qui demandent pour obtenir un résultat fiable une procédure d’arrêt instantané du métabolisme) ; méthode de chromatographie, en phase gazeuse, à interaction hydrophile, en phase inverse ; méthode de détection, résonance magnétique nucléaire (RMN), spectrométrie de masse ; et, enfin, l’analyse et l’interprétation de quantités de données considérables. Pour la fluxomique, il faut maîtriser le choix de l’isotope et de sa place dans la molécule, connaître les échanges d’atomes dans les voies métaboliques impliquées, analyser en état stationnaire ou non stationnaire (état le plus fréquent en physiologie), et, éventuellement, faire de la modélisation mathématique...

Le métabolisme s’est également imposé dans de nouveaux champs d’investigation. Bien qu’initiée par Warburg dans les années 1920, la relation entre métabolisme et cellules cancéreuses n’a pris un essor considérable qu’assez récemment. De 1 500 publications dans PubMed en 1980 identifiés avec les mots clés cancer et metabolism, nous sommes passés à 10 000 publications en 2000 et à 50 000 en 2020 ! Les contraintes anaboliques et l’environnement des cellules cancéreuses impliquent en effet des adaptations métaboliques majeures, comme la nécessité de divertir des carbones pour la synthèse de nouvelles molécules protéiques, glucidiques, lipidiques, tout en produisant de l’énergie, comme la nécessité pour la cellule tumorale de se défendre contre les réactions immunitaires et d’évoluer souvent dans des conditions d’hypoxie et donc en disposant, comme seule source d’énergie, de la glycolyse, etc. Un exemple des nouvelles relations découvertes entre métabolisme et cancer est ceiui du rôle de mutations d’une isoforme de l’isocitrate déshydrogénase (IDH) dans certains gliomes : l’IDH catalyse la décarboxylation oxydative de l’isocitrate en α-cétoglutarate. En utilisant la métabolomique non ciblée et ciblée, il a été montré que les mutations de l’IDH entraînent une diminution de la production d’α-cétoglutarate par cette dernière, mais favorisent la production d’un autre métabolite, le 2-hydroxyglutarate (2-HG). Le 2-HG est un inhibiteur compétitif puissant des enzymes qui dépendent de l’α-cétoglutarate, entraînant des altérations de la méthylation des histones et de l’ADN au cours du développement tumoral.

L’immunologie a aussi été atteinte par la vague métabolique. Les cellules immunitaires doivent, comme les cellules cancéreuses, reprogrammer leur métabolisme afin, par exemple, de trouver l’énergie nécessaire à la production de cytokines ou à leur expansion clonale, une fois activées. Citons par exemple l’activation des oxydations phosphorylantes lors de la transition entre les états M1 (pro-inflammatoire) et M2 (anti-inflammatoire) des macrophages.

Et que dire du microbiote (ensemble des micro-organismes qui colonisent notre corps : microbiote intestinal, buccal, cutané, vaginal...) : de 34 publications dans PubMed en 2000, trouvées en utilisant les mots clés microbiota et metabolism, on est passé à 8 300 pour l’année 2020 ! Là encore, un champ totalement nouveau s’est ouvert, avec la nécessité de décrypter le métabolisme du microbiote et de définir les métabolites produits, leurs interactions avec l’hôte, un domaine où la métabolomique prend tout son sens.

L’étude du métabolisme dans le cancer, l’immunité, le microbiote n’en est encore qu’à ses débuts et l’on comprend maintenant que la modulation du métabolisme par des méthodes génétiques ou pharmacologiques peut considérablement modifier le devenir cellulaire, avec des applications évidentes dans le domaine des maladies. À l’heure du Covid-19, la compréhension de la modulation du métabolisme cellulaire par l’infection virale est également un sujet d’avenir.

En ce qui concerne le métabolisme lui-même, il reste encore de nombreux défis à relever : étudier l’organisation spatiale intracellulaire des voies métaboliques et du transfert des métabolites entre les organelles, détecter les métabolites par imagerie, étudier le rôle des métabolites dans l’épigénétique, augmenter la sensibilité des méthodes de détection en métabolomique, annoter les bases de données brutes de la spectrométrie de masse permettant d’identifier les métabolites, etc.

Et pour terminer, il faut souligner l’importance de la mise en place d’un enseignement actualisé du métabolisme. Celui-ci doit bien sûr continuer à aborder la biochimie des voies métaboliques, y compris les régulations post-traductionnelles des enzymes impliquées, mais en l’insérant dans la physiologie intégrée du métabolisme afin d’en dégager l’intérêt pour le vivant. Cet enseignement devrait également aborder les nouvelles techniques d’étude (métabolomique, fluxomique) et les nouveaux rôles du métabolisme dans les domaines que nous avons abordés plus haut, cancer, immunité, et microbiote.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


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