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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 12, Décembre 2021
Vésicules extracellulaires
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Page(s) | 1176 - 1177 | |
Section | Le Magazine | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021174 | |
Published online | 20 December 2021 |
L’acide méthylmalonique
Un nouveau lien entre vieillissement et progression tumorale
Methylmalonic acid: A new link between ageing and tumour progression
Centre de recherche des Cordeliers, Inserm U1138, Sorbonne Université, USPC, Université Paris Descartes, Université Paris Diderot, 15 rue de l’École de Médecine, 75006 Paris, France
* fatima.djouadi@inserm.fr
** sophie.mouillet-richard@parisdescartes.fr
Le vieillissement figure parmi les facteurs de risque principaux de l’apparition des cancers. L’explication généralement avancée pour expliquer cette relation est l’exposition accrue aux agents mutagènes des individus les plus âgés. Quelle place peut-on alors accorder à l’alimentation et à l’exercice physique, dont on connaît l’influence en particulier sur le vieillissement du système métabolique ? Gomes et al. ont abordé cette question en cultivant des lignées cellulaires de cancer du poumon, ou de cancer du sein, en présence de sérums provenant d’un panel de donneurs jeunes (âgés de moins de 30 ans) ou de sujets âgés de plus de 60 ans. L’effet du sérum de sujets âgés s’est révélé patent. Il induit en effet une modification morphologique des cellules, ainsi que l’expression de marqueurs de la transition épithélio-mésenchymateuse, un processus étroitement associé à la progression métastatique des tumeurs. Il confère également aux cellules des propriétés migratoires et invasives, ainsi qu’une résistance à différents agents anti-cancéreux. L’exposition des cellules isolées de cancer du sein au sérum dit « âgé » avant leur transplantation chez l’animal favorise également le développement de métastases pulmonaires [1].
Se pose alors la question de la nature des facteurs circulants impliqués dans ces effets. Par une approche métabolomique, associant chromatographie en phase liquide et spectrométrie de masse, les auteurs ont identifié l’acide méthylmalonique qui, ajouté seul au milieu de culture des cellules, mime l’ensemble des effets du sérum « âgé » [1].
L’acide méthylmalonique, dérivé de l’acide malonique, est un intermédiaire du catabolisme de l’acide propionique, des acides aminés à chaîne ramifiée et des acides gras à nombre impair de carbones. Le propionyl-CoA produit par la dégradation de ces substrats est ensuite transformé en succinyl-CoA par un ensemble de réactions enzymatiques, dont certaines dépendent de la vitamine B12, pour alimenter le cycle de Krebs et participer ainsi au métabolisme énergétique de la cellule (Figure 1). Mais l’acide méthylmalonique est surtout connu pour son effet dans le domaine des erreurs innées du métabolisme, car son accumulation dans les urines témoigne d’une maladie génétique rare, l’acidémie méthylmalonique [2]. Celle-ci résulte du déficit enzymatique de la méthylmalonyl-CoA mutase ou d’une anomalie dans la synthèse de son cofacteur obligatoire, l’adénosylcobalimine, issu de la vitamine B12 (Figure 1). Une diminution des taux de vitamine B12 ou une dérégulation partielle de cette voie métabolique au cours du vieillissement, pourrait donc rendre compte de l’augmentation de la concentration d’acide méthylmalonique dans le sérum des sujets âgés.
Figure 1. Catabolisme de l’acide propionique. Les acidémies méthylmaloniques sont des maladies génétiques rares du métabolisme du propionate, transmises selon un mode autosomique récessif. Elles sont dues à des mutations affectant l’enzyme méthylmalonyl-CoA mutase elle-même ou l’une des protéines impliquées dans la synthèse de son cofacteur, l’adénosylcobalamine, issu de la vitamine B12. Ces mutations entraînent toutes une accumulation de l’acide méthylmalonique. |
Pourtant, les concentrations d’acide méthylmalonique, mesurées dans le sérum de sujets âgés, sont en fait très inférieures à celles qui produisent un effet sur les cellules. Pour résoudre ce paradoxe, les auteurs ont fait l’hypothèse que l’acide méthylmalonique présent dans le sérum des sujets est davantage capable de pénétrer dans les cellules que l’acide méthylmalonique synthétique utilisé dans les expériences. C’est ici que les lipides du sérum font leur entrée : associés à l’acide méthylmalonique de synthèse, ils permettent une action de ce composé à des concentrations bien moindres que celles nécessaires pour l’acide méthylmalonique seul, en favorisant la perméabilité des cellules à cette molécule. Les chercheurs ont alors montré que les lipides issus du sérum de sujets jeunes et l’acide méthylmalonique de synthèse forment une combinaison efficace, produisant des effets pro-tumorigènes et métastatiques similaires à ceux observés avec le sérum de sujets âgés. À l’inverse, le sérum de sujets âgés perd son effet délétère si l’on en retire les structures lipidiques [1].
Pour décrypter les mécanismes d’action de l’acide méthylmalonique, les chercheurs ont réalisé une analyse du transcriptome de cellules tumorales exposées à ce composé. Parmi les gènes induits, plusieurs codent des facteurs de transcription, dont SOX4, précédemment associé à un mauvais pronostic de différents cancers, en favorisant la progression tumorale et la formation de métastases [3]. La comparaison des gènes induits par l’acide méthylmalonique avec ceux dont la transcription est régulée par SOX4 montre un chevauchement, en faveur d’un rôle de SOX4 dans les effets induits par l’acide méthylmalonique. Pour le montrer, les chercheurs ont alors recours à une stratégie d’interférence ARN pour empêcher l’expression de SOX4. Dans ces conditions, l’acide méthylmalonique reste sans effet : les cellules n’acquièrent plus de marqueurs de la transition épithélio-mésenchymateuse, de propriétés invasives ou migratoires, ou de résistance à la chimiothérapie. Une observation identique a été faite chez l’animal : les cellules de cancer du sein dépourvues de SOX4 et traitées par l’acide méthylmalonique perdent leur capacité d’induire des métastases pulmonaires [1]. Qu’en est-il de la régulation de SOX4 par l’acide méthylmalonique ? Contrairement à l’effet modulateur épigénétique de la plupart des métabolites du cycle de Krebs, les auteurs ont pu exclure un impact de l’acide méthylmalonique sur les modifications post-traductionnelles des histones. Ils se sont alors orientés vers la piste de la voie du TGF-β (transforming growth factor beta), un facteur de croissance connu pour induire l’expression de SOX4 [3]. La piste s’est avérée être judicieuse : l’analyse du transcriptome des cellules tumorales exposées à l’acide méthylmalonique a révélé l’induction de l’expression de différents acteurs de la voie du TGF-β, dont le ligand TGF-β2. De fait, la mesure de la concentration du TGF-β2 soluble dans le milieu de culture des cellules montre une très nette augmentation après exposition de ces cellules à l’acide méthylmalonique. De plus, les auteurs ont retrouvé une augmentation des transcrits codant le TGF-β2 et SOX4, ainsi que des marqueurs d’activation de la voie du TGF-β, dans les tumeurs de souris inoculées avec des cellules cancéreuses et exposées à l’acide méthylmalonique par l’intermédiaire de leur alimentation. Enfin, la démonstration finale du lien entre acide méthylmalonique et signalisation TGF-β-SOX4 a été apportée par l’observation de la perte des effets de ce métabolite lorsque la voie du TGF-β est bloquée [1].
Cette étude dévoile une nouvelle facette du lien entre cancer et vieillissement. L’augmentation des concentrations d’acide méthylmalonique dans la circulation sanguine avec l’âge, sans incidence apparente chez les individus en bonne santé, semble donc favoriser la progression tumorale et l’agressivité des cancers. Prévenir l’accumulation d’acide méthylmalonique en réduisant l’apport protéique alimentaire ou, à défaut, bloquer les effets de ce métabolite, pourrait ainsi constituer une nouvelle piste pour le traitement des cancers.
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Gomes AP, Ilter D, Low V, et al. Age-induced accumulation of methylmalonic acid promotes tumour progression. Nature 2020; 585 : 283–7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Baumgartner MR, Hörster F, Dionisi-Vici C, et al. Proposed guidelines for the diagnosis and management of methylmalonic and propionic acidemia. Orphanet J Rare Dis 2014 ; 9 : 130–166. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Vervoot SJ, van Boxtel R, Coffer PJ. The role of SRY-related HMG box transcription factor 4 (SOX4) in tumorigenesis and metastasis: friend or foe? Oncogene 2017 ; 32 : 3397–3409. [Google Scholar]
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Figure 1. Catabolisme de l’acide propionique. Les acidémies méthylmaloniques sont des maladies génétiques rares du métabolisme du propionate, transmises selon un mode autosomique récessif. Elles sont dues à des mutations affectant l’enzyme méthylmalonyl-CoA mutase elle-même ou l’une des protéines impliquées dans la synthèse de son cofacteur, l’adénosylcobalamine, issu de la vitamine B12. Ces mutations entraînent toutes une accumulation de l’acide méthylmalonique. |
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