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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 11, Novembre 2021
Maladies chroniques : transition de l’adolescence à l’âge adulte
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Page(s) | 1027 - 1031 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021150 | |
Published online | 01 December 2021 |
De la patiente experte à l’actrice de la démocratie en santé
Journal de bord
From the expert patient to the health democracy activist: A diary
Patiente experte, Association des POIC, 13260 Cassis, France
Vignette (Photo © Inserm/Michel Depardieu).
Je m’appelle Manon, je suis née en 1992, et je suis originaire de Cassis, dans les Bouches-du-Rhône. C’est à l’âge de 18 mois, après de nombreux allers-retours entre hôpitaux pédiatriques marseillais et parisiens, que l’on découvre que je suis atteinte de la maladie digestive rare appelée « pseudo obstruction intestinale chronique » (POIC)1. « Aucune obstruction n’est visible dans la lumière du tube digestif : l’occlusion est due à un dysfonctionnement du muscle lisse, du système nerveux entérique, voire des deux… ».
Dans mon cas, l’atteinte est neurologique et multiple, touchant l’œsophage, l’estomac, l’intestin grêle, le côlon, ainsi que la vessie. Le dysfonctionnement neurologique entraîne une perte d’élasticité des muscles lisses de ces différents organes, qui est responsable de dilatations de l’estomac, de l’intestin, et de la vessie.
Au début de l’année 2000, deux mères de fillettes atteintes de cette maladie créent l’association des POIC2, qui a pour objectif de rompre l’isolement des malades et de leurs proches, en favorisant les échanges sur les défis du quotidien. L’association soutient également la recherche médicale et co-organise des assises bisannuelles de la POIC. Depuis plusieurs années, elle participe aux travaux de la filière des maladies rares abdomino-thoraciques (FIMATHO)3 et des centres des maladies rares digestives (MaRDi)4. Ma famille est membre de l’association des POIC, depuis ses débuts. Au fil du temps, cette association sera comme une seconde famille, avec laquelle je pourrai parler librement de la maladie avec des personnes affrontant des difficultés similaires aux miennes. Elle me permettra de « recharger les batteries » en m’ouvrant de nouvelles perspectives.
Je retrace ici les grandes lignes du parcours qui m’a conduite à m’engager dans la démarche de démocratie en santé5, tout en indiquant, sous la forme d’un « journal de bord », quelques éléments de l’histoire de ma maladie.
1994 : un épisode d’occlusion intestinale à l’âge de deux ans se complique de septicémie. L’iléostomie est alors l’opération de ma survie. Je passe une dizaine de jours en réanimation pédiatrique, et je garderai durant 15 ans cette iléostomie, que je surnomme « Dédé ».
1994-1996 : nombreuses hospitalisations et interventions de chirurgie digestive à l’hôpital de la Timone à Marseille. Une équipe chirurgicale à laquelle je suis très reconnaissante pour ses interventions de survie, et pour d’autres visant à améliorer ma qualité de vie.
1996-1998 : un retard de croissance staturo-pondérale me vaut près d’une année d’hospitalisation. L’alimentation par voie orale est remplacée par une nutrition entérale.6 À l’époque, je me rendais quand même à la salle à manger du service aux heures des repas car j’avais besoin de me « nourrir des odeurs ». Bien que pas très fameuses, elles m’auront permis de garder un lien avec l’alimentation ordinaire. Ma première « négociation » avec l’équipe médicale date de l’âge de cinq ans, pour remplacer la sonde naso-gastrique de nutrition par une gastrostomie. À la suite de l’échec de la nutrition entérale, sans doute lié à un dysfonctionnement de la vidange gastrique dû à la maladie, une nutrition parentérale 7 « à la carte », par un cathéter veineux central, est mise en place, à raison de 12 heures par jour. Si les besoins nutritionnels spécifiques de l’enfant rendent difficilement discutable le choix des poches de nutrition parentérale « à la carte », les associations de patients peuvent témoigner du combat pour les obtenir aussi chez l’adulte dans une prise en charge de long cours, malgré un bilan bénéfice/risque plus favorable pour l’organisme. Je souffle ma sixième bougie d’anniversaire à l’hôpital.
C’est l’été 1998, et me voilà à Paris avec mes parents. J’ai la chance de découvrir la capitale, ses monuments historiques, son architecture, mais nous nous n’y sommes pas venus pour des vacances ! À cette époque, l’hôpital Necker-Enfants malades possède le centre expert en nutrition parentérale à domicile, qui dispense aux parents une formation aux soins : une formation assidue, et un protocole de soin qui a fait ses preuves au fil du temps. À la maison, ma mère et une infirmière réalisaient les perfusions, et lors des congés familiaux, mes parents réalisaient seuls les soins. Aujourd’hui, je sais quelle réorganisation de vie nécessite une telle prise en charge : respect des horaires de soins, réassortiment, réception, et stockage du matériel, etc., autant de contraintes à concilier avec l’activité professionnelle, scolaire, familiale. Il est important de prendre en considération les chamboulements que cela représente, pour mieux accompagner les patients et leurs proches aidants dans ces aspects contraignants de leur vie quotidienne. Si les dispositifs actuels d’alimentation parentérale permettent une certaine mobilité, il nous faut davantage échanger sur le vivre avec. Aujourd’hui, en tant que patiente partenaire8, être attentif à la qualité de vie me semble essentiel dans la prise en charge globale de la maladie.
Pendant les premières années d’école élémentaire (du CP au CE2), l’infirmière venait également à l’école lors des récréations pour comptabiliser les sorties par l’iléostomie. Par la suite, j’ai gagné en autonomie et j’ai appris à réaliser moi-même les soins dont j’avais besoin. Pour respecter mon régime alimentaire pauvre en résidus et afin de faire une pause dans la journée, je déjeunais chez une assistante maternelle. Mes années d’école élémentaire se sont déroulées sans encombre, bien qu’il n’ait pas été aisé de tisser des liens avec mes camarades de classe. C’était il y a 20 ans, et on parlait encore peu du harcèlement en milieu scolaire…
Au début de l’adolescence, les soins, le cathéter veineux, le régime alimentaire pesaient sur ma vie sociale. La Méditerranée était à deux pas, mais les baignades m’étaient proscrites à cause de la présence du cathéter veineux et du risque de septicémie… Par ailleurs, la poche de l’iléostomie m’incommodait et attirait encore les remarques humiliantes de mes pairs. Progressivement, j’ai pu adopter un régime pauvre en fibres, et l’équipe médicale a accepté ma requête d’un cathéter à chambre implantable pour la nutrition parentérale à domicile. Les débuts n’ont pas été faciles (deux infections post-chirurgie, ce qui n’était jamais arrivé auparavant avec le cathéter veineux à demeure), mais j’ai redécouvert avec joie le plaisir d’évoluer dans l’eau en apprenant à nager à l’âge de 16 ans. De nos jours, heureusement, les patients dans ma situation utilisent des protections (combinaison de plongée, dispositif cutané étanche) leur permettant d’accéder aux plaisirs de la baignade sans compromettre leur santé. Le suivi de la nutrition parentérale à Paris prend alors fin lorsque le CHU de la Timone obtient la labellisation l’autorisant à prendre le relais (Centres labellisés NPAD 2020)9.
En 2007, je suis scolarisée en classe de troisième. À la suite d’une occlusion intestinale, après de nombreux examens et des avis médicaux discordants, le staff de chirurgie propose de réaliser une gastrectomie partielle. La récupération est longue, mais cette intervention aura permis une reprise du transit et une réalimentation progressive fractionnée par voie orale. Je valide mon brevet des collèges à l’hôpital, mais redoublerai la classe de troisième en raison de mes longs mois d’absence en cours… J’espère que l’essor des cours à distance en mode visioconférence, encouragé par la crise sanitaire de la COVID-19, permettra désormais aux élèves confrontés à un absentéisme répété ou de longue durée à cause d’une maladie chronique, de ne plus être en rupture scolaire, avec tout ce que cela implique.
En 2009, je suis en classe de seconde. Rétablissement chirurgical de la continuité digestive : une renaissance ! Cependant, onze ans plus tard, je perçois toujours des sensations fantômes à l’emplacement de l’iléostomie (sensation de fuites, de la stomie).
2010-2013 : place à la vie d’adulte et ses changements ! Si cela signifie le début de la vie d’étudiante et la « liberté » que procure notamment le permis de conduire, en tant que jeune adulte porteuse d’une maladie chronique, il est grand temps d’envisager sérieusement la transition du suivi médical vers un service hospitalier pour adultes.
À l’âge de 18 ans, deux ans avant mon « passage chez les adultes », je ressens le besoin d’être autonome pour la nutrition parentérale à domicile et présente à l’équipe médicale un « protocole d’auto-soin ». Il n’existait pas, alors, de formation spécifique, mais j’avais appris « sur le tas ». C’est donc le moment de prendre le relais de ma mère, ma « super infirmière », mon aimante, aidante à toute épreuve. Voilà bientôt onze ans que je suis ma propre infirmière. Il me semble essentiel de considérer la place de nos aidants 10 de tous les jours et celle du « patient-soignant », non seulement dans le parcours de soins, mais aussi dans une perspective sociétale.
Je ne remercierai jamais assez les équipes hospitalières de pédiatrie pour leur dévouement et leur écoute. Dans ce climat de confiance, d’échange, et un contexte devenu familier, par la force de l’histoire, j’étais très réticente à l’idée de changer pour un système de soins pour adultes. J’étais inquiète à l’idée de quitter les professionnels avec qui j’avais appris à jongler avec les aléas de ma maladie chronique, et rare qui plus est. Je me posais de nombreuses questions : « Les médecins pour adultes seront-ils à mon écoute ? Connaissent-ils la POIC ? Appliquent-ils les mêmes protocoles de soins que les pédiatres pour la nutrition parentérale ? Vais-je pouvoir conserver mes poches de nutrition à la carte ? ». Quitter ces services pédiatriques où, malgré les difficultés, j’avais grandi et tissé des liens avec d’autres patients et leurs familles, a été difficile. Je m’y suis en partie construite, et cela deviendra un atout pour la suite de mes projets.
C’est dès l’enfance, grâce à une famille soucieuse d’agir au mieux pour ma santé, en partenariat avec les équipes chirurgicale, médicale, et paramédicale, qui ont toujours adapté leurs explications à ma capacité de compréhension du moment, que j’ai pu développer, inconsciemment, un esprit d’analyse grâce auquel je deviendrai progressivement « l’acteur principal » de ma santé, un patient expert/partenaire/témoin. J’invite mes lecteurs à consulter un article intéressant intitulé Le partenariat patient : une pratique collaborative innovante incluant le patient partenaire11, rédigé par des professionnels de la santé et de la santé publique en Belgique, et dont voici un extrait : « … Le partenariat patient reconnaît la complémentarité des savoirs des professionnels de santé et des patients partenaires. Les professionnels ont développé leurs compétences d’experts des maladies à travers leur formation de base … Le patient a … développé son expertise de la vie avec sa maladie au fil du temps, … acquis des savoirs scientifiques utiles à sa maladie… ».
Dans le cas d’une maladie chronique ayant débuté dans l’enfance ou l’adolescence, la transition de soins, d’une prise en charge médicale dans des services hospitaliers pédiatriques à un suivi dans des services pour adultes, est un sujet dont se préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics. J’ai moi-même eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet lors d’un colloque organisé par la Fondation d’entreprise IRCEM (Institution de retraite complémentaire professionnel pour les employés de particuliers) en janvier 2020. Depuis quelques années, plusieurs centres hospitaliers se sont dotés de plateformes de transition, comme Ad’Venir12 à l’hôpital Robert Debré, ou La Suite13 à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris, ou, encore, L'APPART’ à l’hôpital de la Timone, à Marseille14 (→).
(→) Voir la Synthèse de H. Mellerio et al., m/s n° 10, octobre 2021, page 888
Des journées d’échanges sont également organisées par la FIMATHO 15. Les associations de patients, patients experts/partenaires/témoins et représentants des usagers participent activement à ces projets, qui s’inscrivent dans la démarche de démocratie en santé. Après mes premiers déboires dans le monde médical « pour adultes », où je fais l’expérience des « consultations minute », je recherche alors les professionnels qui, au-delà de leurs compétences professionnelles, auraient cette fibre du partenariat en santé.
À l’époque où je me rendais chaque jour au lycée à Marseille pour y suivre le cursus de sciences et technologies de la santé et du social (ST2S) préparant au baccalauréat ST2S, mon parcours scolaire, sans que je sache encore à quoi il aboutirait, m’orientait déjà vers l’univers de la santé ! Grâce au dossier que j’avais déposé à la Maison départementale de la personne handicapée (MDPH), une entreprise conventionnée avec le Conseil départemental et destinée aux personnes à mobilité réduite, assurait mes trajets entre mon domicile et le lycée, ce qui permettait de réduire ma fatigue quotidienne. L’année 2011 fut celle du baccalauréat. En raison d’une occlusion intestinale survenue quelques jours avant les épreuves d’examen, c’est dans la classe de l’hôpital que je le validerai. Je me rappelle les yeux émus de mes professeurs à l’annonce des résultats.
Après le baccalauréat, je prépare le brevet de technicienne supérieure (BTS) de diététique, que je n’ai pas pu obtenir car la charge de travail pesait trop sur ma santé. Je prends alors pleinement conscience de mon handicap (à taux « 80 % et plus »), et de ce à quoi l’on doit faire face au quotidien lorsqu’on est atteint d’une maladie chronique comme la mienne. Une période de rupture sociale s’en est suivie, à laquelle j’ai mis un terme par deux expériences professionnelles, à temps partiel, dans la vente de prêt-à-porter : des contrats de trois mois, à raison de 15 à 20 heures par semaine, censés améliorer un peu l’état de mes finances. Quelle n’est pas ma déception quand je découvre, quelques mois plus tard, la réduction sévère de mon allocation d’adulte handicapée à cause de ce salaire d’appoint ! Incidemment, la vie de couple est actuellement un facteur supplémentaire de dépendance financière de la personne handicapée, car les revenus du conjoint sont pris en compte pour le calcul de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Ce combat pour une égalité des droits de la personne handicapée indépendamment de son statut matrimonial fait l’objet d’une proposition de loi qui a été adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 12 octobre dernier16. Le handicap ne doit plus entraver le droit à construire nos vies comme tout un chacun.
Ce n’est qu’en 2012, lorsque je rejoins le monde médical pour adultes, que je prends pleinement la mesure de la dimension médico-sociale et sociétale du combat, en plus de son aspect purement médical : droits des malades, dossiers pour la MDPH, la Caisse d’allocations familiales (CAF) et ses explications floues (quand elles existent…), difficultés à suivre un cursus d’études supérieures « classique », logistique des soins, rendez-vous médicaux avec les différents spécialistes, dans différents hôpitaux de différentes régions… C’est également à ce moment-là que je suis sensibilisée à un stéréotype du quotidien, lorsque je gare ma voiture sur une place de stationnement marquée en bleu, au logo suggestif : il n’est pas rare, alors, que je croise le regard réprobateur de passants ou d’autres automobilistes pour qui handicap est apparemment synonyme de fauteuil roulant. Tous ces aspects m’interrogent, me révoltent parfois.
Je vis cette période et ces évènements comme un chamboulement, et je décide alors de commencer une psychothérapie pour mettre des mots sur mes maux. Auparavant, je prenais soin de mon corps, mais j’avais négligé, à tort, la souffrance psychique qui accompagne si souvent la maladie chronique, et qui ne devrait plus subir la loi du silence. La vie avec un handicap physique est loin d’être un long fleuve tranquille. Au creux de la vague, ou plutôt dès qu’on en ressent le besoin, entreprendre une psychothérapie peut permettre de sortir du rouleau de la maladie, qui vous enveloppe. J’apprends alors à développer le « positif » à partir du « négatif ».
Membre de l’association des POIC depuis ses débuts, avec mes parents, j’intègre le bureau de cette association en tant que « patient-expert », ou patient-partenaire, en 2014. Je propose alors des ateliers participatifs « ado-adultes » durant le week-end annuel des familles, sur des thèmes tels que la transition de suivi pédiatrique vers les services pour adultes, la vie sociale et affective… Ils ont pour but de faciliter les échanges concernant les expériences de chacun, et de prodiguer des conseils dans un cadre bienveillant. Ces échanges ouvrent le « champ des possibles » et débouchent souvent sur des pistes d’amélioration du parcours de vie du patient. Le reste du temps, les patients et leurs proches peuvent nous contacter quand ils le souhaitent, pour entretenir le lien et poursuivre le soutien. J’assiste à de nombreux colloques formateurs sur les enjeux des maladies rares, la transition de soins, et je participe régulièrement aux assises de la POIC… Cela me permet de prendre la parole sur des sujets qui me tiennent à cœur.
En 2017, je suis certifiée secrétaire assistante médico-sociale et prend connaissance de l’existence de l’Université des Patients 17 à Sorbonne Université. C’est comme si Catherine Tourette-Turgis18 avait entendu cette petite voix dans ma tête, parfois révoltée, qui disait : « Nous sommes les oubliés de la société, nous, les patients, dont le temps est accaparé par le combat contre la maladie ». En 2018, je valide le Diplôme universitaire de Démocratie en santé. Ce cursus m’aura permis d’acquérir l’expertise complétant mon vécu, et de valoriser et légitimer ce que j’entreprendrai ensuite. Depuis, je représente l’association des POIC au sein de la FIMATHO, via les ateliers des associations et un groupe de travail médico-social. Je participe également aux travaux des centres MaRDi au sein du comité de pilotage et du groupe de travail « Patient expert ». Devenir porte-parole de vies silencieuses dans la société donne un sens à mon combat, solitaire au début.
Actuellement, ma prise en charge médicale dans les services hospitaliers pour adultes se poursuit à l’hôpital de la Timone à Marseille, ainsi qu’au centre expert à l’hôpital Beaujon à Clichy et à l’hôpital Tenon à Paris, pour le suivi de lithiases rénales. Mon précédent cathéter à chambre implantable a duré plus de 7 ans sans survenue d’infections et sans taurolidine19. Le dispositif de nutrition parentérale actuel, dont la pose n’a pas, à mon avis, suffisamment pris en compte l’aspect « vivre avec » et le risque infectieux, puisque le cathéter est localisé sur le côté de la poitrine, proche de l’aisselle, me vaudra une infection en 2019. Le rythme de la nutrition parentérale est actuellement de six nuits par semaine, durant 12 heures.
2020 : une année bien singulière, qui creusera davantage l’isolement social, nous demandant de repenser les liens humains de manière numérique, tant d’un point de vue socio-professionnel que dans le cadre du suivi médical. Il va sans dire que, si le numérique est un outil de politique sanitaire (« Ma Santé 2022 »)20 et un indéniable atout en ces temps troublés, il ne faudrait pas qu’il remplace à l’avenir les interactions sociales « directes », et notamment celles entre soignants et soignés. Le numérique apportera lui aussi ses défis. A la rentrée scolaire, je décide de changer de prestataire de matériel de soins, et d’en choisir un qui fournit, pour la nutrition parentérale, une pompe plus légère, d’une plus grande autonomie de batterie, et dont l’alarme ne se déclenche pas sans raison valable. Depuis, j’ai gagné en autonomie, et en qualité de sommeil… Concernant ma formation universitaire, j’ai pu participer à une Master class « Accès aux soins et au marché » dans le cadre de l’Université des patients. J’avais besoin de compléter mes connaissances sur les étapes de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et de connaître la place que pouvait avoir un représentant des usagers dans ce domaine. Par ailleurs, les sous-densités médicales et le manque d’attractivité de certains territoires français avaient été le « paradoxe » abordé dans mon cursus ST2S au lycée. Nous avons approfondi ce thème en groupe de travail de la Master class. Notre engagement s’inscrivant dans le champ de la santé publique, mes collègues et moi-même, patients partenaires et représentants des usagers, souhaitons porter notre travail universitaire, intitulé « Accès à l’offre de soins : à la conquête des territoires oubliés », à la hauteur d’un plaidoyer. J’aimerais désormais compléter mon cursus universitaire par la formation d’éducation thérapeutique du patient, puis par une formation de « patient formateur », afin de pouvoir intervenir au sein des instituts de formation des soins infirmiers. Il n’est pas rare, dans le circuit hospitalier, de rencontrer des soignants qui n’ont malheureusement pas reçu de formation spécifique aux soins de nutrition artificielle par voie veineuse centrale, même dans les services de nutrition artificielle…
Pour rappel, les patients partenaires et les représentants des usagers voient le jour dans les années 1980, lors de l’émergence du sida. L’urgence est sanitaire, sociétale, et rapidement, les personnes malades et leurs proches, par l’intermédiaire de plusieurs associations, dont l’association AIDES (créée en 1984), deviennent des acteurs importants de la prévention de la maladie, de l’observance thérapeutique des personnes qui en sont atteintes, et de la sensibilisation de l’opinion publique. Le combat contre le sida a été pionnier dans la démarche de démocratie en santé !
Le patient expert, tel qu’il est défini par la Haute autorité de santé (HAS), « a acquis de solides connaissances de sa maladie, au fil du temps, notamment grâce à l’éducation thérapeutique du patient. Depuis la promulgation de la loi Hôpital-patient-santé-territoire (HPST)21 en 2009, les programmes d’éducation thérapeutique du patient incluent le patient partenaire. Il ne remplace pas le soignant, mais favorise le dialogue entre les équipes médicales et les malades, l’expression des autres patients, et contribue à améliorer leur compréhension du discours des équipes soignantes. […] ». L’essor du représentant des usagers s’accélère à partir de la loi Kouchner 22 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, dont l’article 16 indique que « dans chaque établissement de santé, une commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge a pour mission de veiller au respect des droits des usagers […] », et dont les articles 20 à 22 précisent la « participation des usagers au fonctionnement du système de santé ».
À l’avenir, souhaitons que l’engagement des patients experts/partenaires et des représentants des usagers soit davantage reconnu comme un atout pour la prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques et pour les transformations souhaitables de notre système de santé et des solidarités ! Il reste tant à construire par nos combats…
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
La démocratie en santé, ou démocratie sanitaire, est une notion qui recouvre la participation citoyenne aux politiques de santé. En France, cette notion a été formulée par les Agences régionales de santé (ARS) afin d’évoquer une démarche visant à regrouper tous les acteurs du système de santé pour la mise en place concertée et dans l’esprit de dialogue des politiques de santé.
Source L’APPART’ : http://fr.ap-hm.fr/site/lappart
Catherine Tourette-Turgis est une psychologue clinicienne et enseignante-chercheuse française. Impliquée dans l’éducation thérapeutique des patients, elle a fondé en 2009 l’Université des patients, qui forme et diplôme des « patients-experts » atteints de maladies chroniques. Professeure en sciences de l’Éducation, elle dirige le master d’éducation thérapeutique à Sorbonne université.
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