Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 6-7, Juin-Juillet 2021
Page(s) 590 - 592
Section Le Magazine
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2021073
Published online 28 June 2021

Il est désormais largement admis que la qualité et la quantité des contacts sociaux influent sur la santé physique de l’individu et son espérance de vie, et peuvent jouer un rôle dans l’apparition ou l’évolution de maladies graves comme les dépressions et les maladies cardio-vasculaires [1]. Cependant, les mécanismes physiologiques sous-jacents restent obscurs. Aussi est-il important de tenter de comprendre comment les stimulus sensoriels qui accompagnent une interaction sociale agissent sur le corps humain. La résultante est probablement multifactorielle, et il est possible que chaque modalité sensorielle (visuelle, auditive, tactile, olfactive ou gustative) ait des effets différents. Si de nombreuses études se sont intéressées aux rôles de la vision et de l’audition dans le comportement social [2], le rôle du toucher, en revanche, a été peu exploré. Une équipe internationale coordonnée par Alexandre Charlet (France) et Valery Grinevich (Allemagne) a récemment montré l’importance du toucher et sa capacité à provoquer la libération d’une neurohormone, l’ocytocine, qui agit sur le « cerveau social » [3].

Ocytocine et comportement social

Connue depuis plus d’un siècle pour son rôle dans l’accouchement et la lactation, l’ocytocine, isolée en 1927, est une neurohormone nonapeptidique synthétisée principalement dans l’hypothalamus, et agissant à la fois dans le système nerveux central et dans d’autres organes [4]. Ses effets sont très divers, puisqu’elle agit aussi sur la mobilité gastrique, l’appétit, le rythme cardiaque, ou encore la douleur. Cependant, depuis la découverte de son importance dans l’attachement affectif, le contrôle des émotions, ou les comportement sexuels et parentaux, l’attention des chercheurs et des cliniciens s’est portée principalement sur son rôle dans les interactions sociales [2].

De nombreuses études ont permis de caractériser l’action de l’ocytocine dans le comportement social, et, depuis une quinzaine d’année, ce peptide est administré par voie nasale chez des individus sains ou atteints de diverses maladies mentales perturbant la sociabilité, telles que les troubles du spectre de l‘autisme et la schizophrénie [5]. Cependant, on ne comprend toujours pas comment cette neurohormone est libérée lors d’une interaction sociale.

Le contact physique libère de l’ocytocine

Pour tenter de répondre à cette question, une étude a été menée chez l’animal. Pour identifier, chez des rats se déplaçant librement, les neurones produisant l’ocytocine et enregistrer leur activité électrophysiologique, nous avons utilisé une technique d’optogénétique qui permet également, en activant des canaux ioniques artificiels par la lumière, de stimuler ces neurones (Figure 1) [3]. Cette approche a d’abord permis de montrer que les neurones ocytocinergiques ne sont pas activés par une exploration libre d’un environnement inerte, mais uniquement lors d’une interaction entre individus. En analysant plus finement le comportement des rats, nous avons découvert que c’était lors des contacts tactiles que ces neurones étaient le plus activés. Nous avons montré que les stimulus olfactifs, auditifs ou visuels n’avaient pas autant d’effet sur l’activité de ces neurones qu’une stimulation tactile, alors que l’olfaction joue pourtant un rôle majeur dans la communication chez les rongeurs [3].

thumbnail Figure 1.

À gauche : représentation schématique de l’expérience, montrant l’activation des neurones produisant l’ocytocine lors d’interactions sociales. Deux rats femelles interagissent pendant que l’activité de neurones à ocytocine est enregistrée grâce à une opto-tétrode. PVN : noyau paraventriculaire. À droite : image par microscopie à épifluorescence montrant le site d’implantation de l’opto-tétrode dans l’hypothalamus et les neurones à ocytocine (en vert). Barre d’échelle : 100 mm

Des neurones ocytocinergiques aux rôles différents

Il existe au moins deux sous-populations de neurones produisant l’ocytocine : les neurones magnocellulaires, majoritaires, qui sont de grandes cellules projetant leurs axones dans de nombreuses régions du cerveau, ainsi que vers la glande pituitaire (hypophyse) postérieure afin d’y sécréter l’hormone ocytocine dans le sang, et les neurones parvocellulaires, plus petits et très peu nombreux (environ 5 % des neurones ocytocinergiques), qui ne libèrent pas l’ocytocine dans le sang mais dans le tronc cérébral et la moelle épinière [6]. En nous fondant sur les résultats de précédents travaux [7, 8] (), nous avons émis l’hypothèse que les neurones parvocellulaires exerçaient un contrôle sur l’activité des neurones magnocellulaires. Par différentes techniques (imagerie calcique, patch-clamp, chimiogénétique, traçage anatomique rétroviral), nous avons montré que les neurones parvocellulaires 1) reçoivent, depuis de nombreuses régions cérébrales, bien plus d’entrées synaptiques que les neurones magnocellulaires, et 2) établissent des connexions fonctionnelles avec les neurones magnocellulaires afin de controler leur activité [3]. Cela indique que les neurones parvocellulaires exercent vraisemblablement une fonction d’intégration de signaux, en recevant les informations sensorielles pour les relayer aux neurones magnocellulaires.

(→) Voir la Nouvelle de A. Baudon et A. Charlet, m/s n° 1, janvier 2020, page 9

Par ailleurs, nous avons montré que l’inhibition sélective des neurones ocytocinergiques parvocellulaires bloque l’activité des neurones magnocellulaires en réponse à un stimulus tactile : ces derniers ne sécrètent alors plus d’ocytocine, ce qui a pour conséquence de diminuer l’interaction sociale. Inversement, l’activation des neurones parvocellulaires augmente l’activité des neurones magnocellulaires, la libération d’ocytocine dans le sang, et la durée des interactions sociales [3].

L’ensemble de ces résultats montre qu’une petite population de neurones ocytocinergiques, les neurones parvocellulaires, est activée lors d’une interaction sociale comportant des contacts tactiles, et transmet cette information au reste des neurones ocytocinergiques, les neurones magnocellulaires. Ces derniers libèrent alors de l’ocytocine dans le cerveau et dans le sang, ce qui promeut les interactions sociales (Figure 2).

thumbnail Figure 2.

L’ocytocine induit un comportement social à partir d’une stimulation tactile. Un réseau de neurones capte les informations sensorielles tactiles et provoque la libération d’ocytocine dans le sang, en tant que neurohormone, et dans les régions cérébrales contrôlant le comportement social, en tant que neuromodulateur.

Vers des thérapies tactiles ?

Sous réserve que les résultats de cette étude effectuée chez un rongeur soient transposables à l’espèce humaine (le système ocytocinergique est très conservé chez les mammifères), savoir que le contact tactile provoque la libération d’ocytocine pourrait faire évoluer la prise en charge thérapeutique de certaines maladies psychiatriques. L’administration d’ocytocine est en effet utilisée comme traitement expérimental depuis plusieurs années, mais le manque de résultats probants [9] a incité les chercheurs à développer de nouvelles approches pour activer le système ocytocinergique. Il est probable que la faible capacité de l’ocytocine à pénétrer dans le cerveau en quantité suffisante constitue le principal frein à son utilisation thérapeutique [5]. Aussi, l’administration de nouveaux agonistes du récepteur de l’ocytocine dénués de ces limitations [10], combinée à des stimulations tactiles ou des massages doux, pourrait constituer un outil thérapeutique puissant pour les troubles psychiques dans lesquels le système ocytocinergique est dysfonctionnel.

Enfin, concernant les mesures de distanciation physique entre personnes qui sont en vigueur dans de nombreux pays pour lutter contre l’actuelle pandémie de COVID-19, il n’est sans doute pas inutile de rappeler l’importance du maintien de relations sociales directes pour la santé mentale et physique des individus, mais aussi d’alerter sur le risque que la présente situation détériore durablement le comportement social chez une partie de la population. Ce phénomène requiert une attention particulière, et plusieurs études sont en cours pour évaluer les taux d’ocytocine dans la population.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Holt-Lunstad J, Smith TB, Layton JB Social relationships and mortality risk: a meta-analytic review. PLoS Med 2010 ; 7 : e1000316. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Lee HJ, Macbeth AH, Pagani JH, Young WS Oxytocin: the great facilitator of life. Prog Neurobiol 2009 ; 88 : 127–151. [PubMed] [Google Scholar]
  3. Tang Y, Benusiglio D, Lefevre A, et al. Social touch promotes interfemale communication via activation of parvocellular oxytocin neurons. Nat Neurosci 2020; 23 : 1125–37. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Gimpl G, Fahrenholz F The oxytocin receptor system: structure, function, and regulation. Physiol Rev 2001 ; 81 : 629–683. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Lefevre A, Sirigu A The two fold role of oxytocin in social developmental disorders: a cause and a remedy?. Neurosci Biobehav Rev 2016 ; 63 : 168–176. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Eliava M, Melchior M, Knobloch-Bollmann HS, et al. A new population of parvocellular oxytocin neurons controlling magnocellular neuron activity and inflammatory pain processing. Neuron 2016 ; 89 : 1291–1304. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Hasan MT, Althammer F, Silva da Gouveia M, et al. A fear memory engram and its plasticity in the hypothalamic oxytocin system. Neuron 2019 ; 103 : 133–146. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Baudon A, Charlet A. Un engramme ocytocinergique pour apprendre et contrôler sa peur. Med Sci (Paris). 2020; 36 : 9–11. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Keech B, Crowe S, Hocking DR Intranasal oxytocin, social cognition and neurodevelopmental disorders: a meta-analysis. Psychoneuroendocrinology. 2017 ; 87 : 9–19. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Hilfiger L, Zhao Q, Kerspern D, et al. A nonpeptide oxytocin receptor agonist for a durable relief of inflammatory pain. Sci Rep 2020; 10 : 3017. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

© 2021 médecine/sciences – Inserm

Licence Creative CommonsArticle publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l'utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

À gauche : représentation schématique de l’expérience, montrant l’activation des neurones produisant l’ocytocine lors d’interactions sociales. Deux rats femelles interagissent pendant que l’activité de neurones à ocytocine est enregistrée grâce à une opto-tétrode. PVN : noyau paraventriculaire. À droite : image par microscopie à épifluorescence montrant le site d’implantation de l’opto-tétrode dans l’hypothalamus et les neurones à ocytocine (en vert). Barre d’échelle : 100 mm

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

L’ocytocine induit un comportement social à partir d’une stimulation tactile. Un réseau de neurones capte les informations sensorielles tactiles et provoque la libération d’ocytocine dans le sang, en tant que neurohormone, et dans les régions cérébrales contrôlant le comportement social, en tant que neuromodulateur.

Dans le texte

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.