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Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 6-7, Juin-Juillet 2021
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Page(s) | 578 - 581 | |
Section | Le Magazine | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021069 | |
Published online | 28 June 2021 |
Rôle des herpèsvirus humains 6 (HHV-6) dans la prédisposition à la pré-éclampsie
Fer de lance de la guérison des maladies chroniques inflammatoires de l’intestin
Role of human herpesviruses 6 (HHV-6) in predisposition to pre-eclampsia
1
Sorbonne Université, Inserm U1136, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP), Faculté de médecine, site Pitié-Salpêtrière, service de virologie, bâtiment CERVI, 83 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
2
AP-HP, Hôpitaux universitaires La Pitié Salpêtrière-Charles Foix, service de virologie, bâtiment CERVI, 83 boulevard de l’Hôpital 75013 Paris, France
3
Université de Paris, Inserm UMR-S U1139 3PHM, 4 avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, France
4
Université de Paris, Faculté de pharmacie de Paris, laboratoire de microbiologie, 4 avenue de l’Observatoire, 75006 Paris, France
a pascale.bonnafous@sorbonne-universite.fr
b agnes.gautheret@aphp.fr
Diversité des formes d’herpèsvirus humain 6 (HHV-6)
Au sein de la famille des herpèsvirus humains, le ou plutôt les HHV-6 ont fait l’objet de recherches récentes, qui ont permis de mieux comprendre les mécanismes de l’infection par ces virus et leur rôle dans diverses maladies. Le génome des HHV-6 est constitué d’un ADN double-brin linéaire qui comporte une séquence unique contenant une centaine de gènes (U1 à U100), et des séquences terminales orientées DRR et DRL (direct repeat right and left). Les deux variants de ce virus initialement identifiés ont été classés en deux espèces, HHV-6A et HHV-6B, du fait de caractéristiques génomiques, antigéniques, de tropisme et de pathogénicité distinctes. Ce sont des virus opportunistes, qui persistent dans l’organisme à l’état latent dans quelques types cellulaires, sous forme épisomale ou intégrée dans le télomère d’un chromosome : en effet, la présence, aux extrémités du génome viral, de séquences répétées identiques aux séquences télomériques humaines, favorise une recombinaison avec celles-ci. La réactivation de ces virus, fréquente, est asymptomatique chez les sujets immunocompétents, mais peut provoquer diverses maladies chez les individus immunodéprimés : fièvre avec rash cutané et cytopénie, encéphalite, hépatite, retard à la sortie d’aplasie, syndrome d’hypersensibilité médicamenteuse, etc. La séroprévalence des HHV-6 est supérieure à 90 % dans la population des adultes, et on estime que 90 à 95 % des réactivations observées sont dues à HHV-6B. En dehors de l’Afrique, les infections par HHV-6A semblent beaucoup plus rares et acquises plus tardivement.
Par ailleurs, environ 1 individu sur 100 est porteur d’une forme de HHV-6A ou HHV-6B intégrée dans l’ADN des cellules germinales, qui est alors transmise de façon héréditaire selon un mode mendélien (inherited chromosomally integrated HHV-6, iciHHV-6) [1] (→).
(→) Voir la Nouvelle de A. Gautheret-Dejean, m/s n° 8-9, août-septembre 2017, page 730
Cette proportion d’individus porteurs d’iciHHV-6 varie légèrement selon les régions du monde : de 0 à 0,3 % pour iciHHV-6A et de 0 à 2,8 % (maximum observé au nord du Royaume-Uni) pour iciHHV-6B, d’après les données épidémiologiques actuelles. L’espèce HHV-6B représente donc la majorité des formes intégrées de HHV-6 : environ 55 % des cas dans de nombreux pays, dont la France, et jusqu’à 100 % dans le nord du Royaume-Uni. Chez ces individus, la présence du virus dans toutes les cellules de l’organisme est responsable, quel que soit le prélèvement, de la détection d’une forte charge virale, qui peut être interprétée à tort comme le signe d’une infection très active. La détection du virus dans les follicules pileux ou les ongles permet de le distinguer d’une souche HHV-6A ou HHV-6B classique, qui n’infecte jamais ces tissus. Toutefois, il a été prouvé qu’un iciHHV-6 pouvait également se réactiver, avec de graves conséquences médicales [1, 2]. Le diagnostic est alors plus compliqué, puisque la charge virale détectée est identique à celle d’un iciHHV-6 latent.
Une pathogénicité des iciHHV-6 encore mal connue
Si les individus porteurs de iciHHV-6 ne semblent pas présenter de symptômes spécifiques, l’étude d’une grande cohorte d’individus vivant au Canada a toutefois montré qu’ils avaient un risque accru (environ triple) d’angine de poitrine [3]. Chez des patients recevant une transplantation de cellules souches hématopoïétiques, un risque augmenté de réaction du greffon contre l’hôte et de virémie à cytomégalovirus a été mis en évidence [4]. Concernant l’infection congénitale, il a été montré que, hormis la transmission génétique mendélienne représentant 86 % des cas, les 14 % de cas restants avaient pour origine un iciHHV-6 maternel et non un HHV-6 opportuniste. Dans ces cas, la réactivation de la forme intégrée chez la mère, avec production de particules virales et passage transplacentaire, entraîne l’infection du fœtus [5]. On retrouve ainsi un HHV-6 de la même espèce que le iciHHV-6 maternel dans le sang du cordon ombilical, puis, éventuellement, dans le sang périphérique et dans la salive de l’enfant. Les conséquences sur son développement, en particulier neurologique, sont encore à l’étude. Il est important de noter que les études publiées n’ont pas toujours distingué iciHHV-6A et iciHHV-6B, et que les manifestations cliniques pourraient être différentes selon l’espèce virale impliquée.
Étude de la prévalence de l’infection par HHV-6 dans la pré-éclampsie1
Une étude britannique s’est penchée sur les mécanismes physiopathologiques de la pré-éclampsie, et les auteurs ont émis l’hypothèse d’une infection virale [6]. Par une technique de séquençage à haut-débit, ils ont analysé le transcriptome dans des biopsies du placenta effectuées au moment de l’accouchement chez des femmes présentant une pré-éclampsie (99 cas), un retard de la croissance du fœtus (48 cas), ou dont la grossesse s’est déroulée normalement (témoins, 132 cas). Les seuls ARNm non humains retrouvés étaient ceux des HHV-6A et HHV-6B, présents dans les trois groupes de femmes, plus fréquemment détectés dans le groupe des femmes présentant une pré-éclampsie (6 %) que dans les deux autres groupes réunis (2 %).
Une identification d’espèce et une quantification par amplification génique quantitative (quantitative polymerase chain reaction, qPCR) dans le placenta ainsi que dans des prélèvements de sang maternel et de salive paternelle ont permis de déterminer qu’il s’agissait d’iciHHV-6, d’origine maternelle ou paternelle, pour plusieurs enfants (Tableau I). L’identité des séquences virales placentaire et parentale a pu être prouvée grâce au polymorphisme de certaines positions nucléotidiques (single nucleotide polymorphism, SNP), au nombre de 999 pour HHV-6A et de 187 pour HHV-6B. Pour l’un des couples enfant-parent avec un iciHHV-6B, le site télomérique d’intégration a même été déterminé par séquençage. L’étude d’une autre cohorte (5 061 prélèvements de sang de cordon) a confirmé la réactivation fréquente des iciHHV-6 : les fœtus porteurs d’iciHHV-6 ont été définis par la présence d’au moins une copie d’ADN viral (quantification des gènes U67/68) par cellule (quantification du gène codant la ribonucléase P RNA component H1, RPPH1), et le transcrit viral U100 a été détecté (par RT-qPCR) chez 69 % d’entre eux.
Expression (transcriptome) et origine des souches de HHV-6 détectées dans les biopsies de placenta. T : témoin ; RCIU : retard de croissance intra-utérin ; PE : pré-éclampsie.
Chez les trois autres enfants du groupe des femmes présentant une pré-éclampsie et non porteurs de iciHHV-6, les ARNm détectés pourraient résulter de la réactivation d’une souche maternelle de HHV-6A ou de HHV-6B. Dans un cas où seules les régions DRL/R étaient exprimées, l’hypothèse de l’intégration d’une forme virale tronquée de sa région unique, comme cela a été décrit précédemment [7], n’a toutefois pas été envisagée par les auteurs. De plus, la mise en évidence d’un faible taux d’expression, avec moins de transcrits viraux détectés dans le groupe des femmes présentant une pré-éclampsie que dans le groupe témoin, pose question. Les auteurs font remarquer que l’étude du transcriptome a été faite uniquement sur une portion du placenta après l’accouchement, et que l’expression des gènes viraux pourrait être différente pour l’ensemble du placenta au cours de la grossesse. Si le niveau d’expression est variable, la prévalence de iciHHV-6 chez le fœtus est néanmoins plus élevée dans le groupe des femmes présentant une pré-éclampsie que chez les témoins et a été confirmée dans d’autres cohortes (1,6 à 2,3 % vs 0,4 à 0,8 %). Les odds ratios indiquaient que le risque de pré-éclampsie chez les mères d’enfant porteur de iciHHV-6 était plus que doublé (Tableau II).
Détection de iciHHV-6 dans le sang du cordon ombilical dans diverses cohortes d’étude sur la pré-éclampsie (POP, Case-control, GOPEC) et dans le sang périphérique de sujets sains (diverses études sur de grandes populations). POP : pregnancy outcome prediction study (la cohorte POP inclut les mères des enfants de l’étude analysant le transcriptome du placenta) ; GOPEC : United Kingdom genetics of pre-eclampsia cohort study. PE : pré-éclampsie ; T : témoin ; IC : intervalle de confiance à 95 %. Les odds ratios (et leurs intervalles de confiance à 95 %) ont été calculés en comparant la détection de iciHHV-6 dans les groupes avec pré-éclampsie versus témoins, et sont statistiquement significatifs (p ≤ 0,001).
Infection par HHV-6, infertilité et pathologie de la grossesse
D’autres auteurs ont aussi mis en évidence un lien entre infection par HHV-6 et infertilité ou grossesse pathologique. Chez des femmes ayant une infertilité inexpliquée, l’ADN de HHV-6A a été retrouvé dans 43 % des biopsies d’endomètre, alors qu’il était indétectable dans le groupe témoin [8]. Après avoir isolé les différents types cellulaires de l’endomètre (cellules épithéliales, stromales et mononucléées), la détection par PCR a montré que seules les cellules épithéliales contenaient HHV-6A (en moyenne 4 copies de génome viral par cellule). Malgré cette forte charge virale, l’absence de détection dans d’autres cellules, notamment celles du sang périphérique où seul l’ADN de HHV-6B était détecté, permet d’exclure un iciHHV-6A. Il s’agit donc d’une réactivation de HHV-6A localisée à l’épithélium endométrial. De plus, l’expression de protéines virales précoces (p41 et IE2) et tardives (gp116) variait selon la localisation et les phases du cycle menstruel, suggérant des conditions de réactivation de HHV-6A dépendantes de facteurs du micro-environnement tissulaire, notamment hormonaux, comme un taux plus élevé d’œstradiol. L’infection par HHV-6A modifiait l’expression locale des cytokines (taux plus élevés d’interleukine 10 et plus faibles d’interféron γ, déjà observés dans des études précédentes), ainsi que le phénotype des cellules NK (natural killer) de l’endomètre, avec une augmentation de la réponse spécifique anti-HHV-6A. Dans un modèle in vitro d’implantation de l’embryon, la coculture de trophoblastes sur une monocouche de cellules de l’épithélium endométrial prélevées chez des femmes avec ou sans infection par HHV-6A, a montré que l’infection limitait l’invasion de la muqueuse utérine par le trophoblaste de l’embryon [9], et diminuait l’expression de molécules de signalisation essentielles à la nidation (HLA-G et MUC1), ce qui pourrait mener à une fausse couche. D’autres équipes ont trouvé des corrélations entre infections par HHV-6, mais aussi par d’autres virus ou herpèsvirus, et diverses complications de la grossesse comme l’hypertension artérielle gravidique, les avortements spontanés ou la naissance prématurée [10-12]. Toutes ces études nécessitent d’être approfondies pour mieux définir le rôle que pourrait jouer la réactivation de souches intégrées ou non de HHV-6, plus particulièrement de l’espèce HHV-6A, dans certaines difficultés de procréation ou complications de la grossesse.
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
La pré-éclampsie, appelée aussi toxémie gravidique, est une hypertension artérielle, associée à une protéinurie, qui apparaît dans la deuxième moitié de la grossesse. Elle affecte de 2 % à 8 % des grossesses, selon les pays et l’ethnie. Lorsqu’elle n’est pas détectée à temps, voire prévenue par un traitement approprié dans les grossesses à risque, elle peut évoluer vers l’éclampsie, qui se manifeste par des convulsions et constitue une situation d’urgence vitale.
Références
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Liste des tableaux
Expression (transcriptome) et origine des souches de HHV-6 détectées dans les biopsies de placenta. T : témoin ; RCIU : retard de croissance intra-utérin ; PE : pré-éclampsie.
Détection de iciHHV-6 dans le sang du cordon ombilical dans diverses cohortes d’étude sur la pré-éclampsie (POP, Case-control, GOPEC) et dans le sang périphérique de sujets sains (diverses études sur de grandes populations). POP : pregnancy outcome prediction study (la cohorte POP inclut les mères des enfants de l’étude analysant le transcriptome du placenta) ; GOPEC : United Kingdom genetics of pre-eclampsia cohort study. PE : pré-éclampsie ; T : témoin ; IC : intervalle de confiance à 95 %. Les odds ratios (et leurs intervalles de confiance à 95 %) ont été calculés en comparant la détection de iciHHV-6 dans les groupes avec pré-éclampsie versus témoins, et sont statistiquement significatifs (p ≤ 0,001).
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