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Med Sci (Paris)
Volume 36, Number 6-7, Juin–Juillet 2020
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Page(s) | 550 - 551 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2020085 | |
Published online | 02 July 2020 |
De la difficulté des politiques à comprendre la recherche scientifique ?
Why is it so difficult for politicians to understand scientific research?
Directeur de Recherche émérite à l’Inserm, Fondateur de l’institut de neurobiologie de la méditerranée Inmed (Inserm), Fondateur et président du Fonds d’action à but non lucratif IBEN (et du futur institut IBEN) pour l’étude de la maternité et de la naissance, Neurochlore, Batiment Beret Delage, Campus scientifique de Luminy, 163 route de Luminy, 13273 Marseille Cedex 09, France
Vignette (Photo © Yehezkel Ben-Ari/https://leblogdebenari.com/).
Le financement de la recherche souffre de maux connus mais incompris par des générations de politiques. Nous sommes toujours loin des 3 % du PIB requis pour nous remettre en selle et qui sont épisodiquement promis avant telle ou telle échéance électorale. Pourtant, ceux-là même qui se plaignent que le rang de la France baisse en termes de publications, omettent de dire que le rapport budget/nombre de publications est strictement linéaire. Les pays qui ont des pourcentages d’investissement plus élevés (Japon, Allemagne, Suède, Corée du sud, Taiwan) progressent rapidement voire nous dépassent. Il faut dire qu’avec seulement 4 ou 5 députés à l’Assemblée nationale ayant une certaine expérience dans le domaine des sciences et des élites sorties de l’école nationale d’administration (ENA), qui souvent n’en n’ont aucune, le monde de la recherche est peu/mal défendu auprès des décideurs et le budget de la recherche sert souvent de variable d’ajustement.
De plus, la répartition des maigres ressources pose problème. Lors de la création de l’Agence nationale de la recherche (ANR), suite au mouvement « Sauvons la recherche » (janvier 2004), il s’agissait au départ de financer des projets sans toucher aux budgets de fonctionnement des institutions. Les autorités ont décidé de centrer les financements sur « l’excellence » de projets sélectionnés, et ce au détriment des financements récurrents ! Les méfaits du financement exclusivement sur projet sont connus : l’augmentation des contrats à durée déterminée, qui rend ce métier invivable pour les jeunes, « l’administrativité aiguë », qui, comme le disait si bien le regretté André Brahic, avec « la moitié des chercheurs passe son temps à remplir des demandes que l’autre moitié perd beaucoup de temps à lire » avec un taux de financement de l’ordre de 10-15 %, ce qui est simplement insensé sur le plan économique. Il y a ensuite le cumul des richesses, avec quelques équipes qui ont tous les financements (ERC + ANR, etc.) et d’autres rien, dans une approche (faussement) darwinienne chère au patron du CNRS.
Le souci ici n’est pas moral mais relève du domaine de l’utilisation de l’argent du contribuable. Les équipes « d’excellence » continuent à faire avec plus de moyens ce qu’elles faisaient auparavant et ne prennent pas de risques, afin de rester en adéquation avec les sujets du moment. De plus, la définition de « l’excellence », c’est comme dans la mode : il arrive que cela se démode ! Les vraies découvertes, celles qui permettent des sauts conceptuels, viennent de la convergence de travaux à bas retentissement, effectués par des équipes qui, sans publier forcément dans des journaux dits d’excellence, fournissent des données de base, à partir desquelles certains vont ouvrir de nouvelles avenues. L’histoire nous apprend que les découvertes majeures qui font un saut conceptuel, comme les traitements de maladies pharmaco-résistantes, viennent de l’imprévu.
Étonnamment, Boris Johnson semble avoir compris l’importance du risque, son chancelier de l’échiquier ayant déclaré que 1 milliard de livres sterling du budget serait réservé à des projets « à haut risque » (https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/12/le-royaume-uni-tourne-la-page-de-l-austerite_6032744_3234.html). Comme quoi, il arrive que des bonnes décisions ne viennent pas de là où on les attend !
Il y a aussi du déjà-vu dans cette fascination des politiques pour les grands plans, lancés pour résoudre une maladie ou permettre de comprendre le fonctionnement du cerveau humain – plans cancer, Alzheimer, Human Brain Project, etc… –, avec un rapport qualité/prix largement discutable. Il y a, enfin, l’importance de comprendre que la recherche opère avec une cinétique longue, l’action en urgence ne lui sied jamais. Les exemples du financement en yoyo de la recherche en virologie, excellemment décrit par le virologue Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille, les décideurs, réalisant l’importance des travaux en virologie au moment du déclenchement d’une pandémie et l’oubliant ensuite pour faire des économies… Il nous faut espérer que cela ne sera pas le cas quand la pandémie du Covid-19 sera vaincue ! Les derniers discours du Président de la République laissent entrevoir cette possibilité, et la nomination d’un haut conseil scientifique (enfin !) semble indiquer un infléchissement du financement de la recherche scientifique. Le soutien de la population aux médecins et chercheurs a été crucial. La décision de mettre 5 milliards d’euros supplémentaires en 10 ans dans la recherche va dans la bonne direction, même si on est encore loin des 3 % du PIB. Il faut espérer que ces promesses seront tenues et suivies d’effets et que cette manne ne sera pas restreinte à des domaines particuliers.
Enfin, un sujet largement débattu et critiqué à juste titre par nos collègues concerne le crédit impôts recherche (CIR), qui dépasse les 6 milliards d’euros par an. Apprendre que des supermarchés reçoivent, à ce titre, des dizaines de millions pose deux problèmes : celui de l’évaluation de ce qui a été réalisé comme travail de recherche avec le CIR obtenu et on est ébahi de découvrir la faiblesse de cette évaluation lorsque l’on connaît les évaluations multiples auxquelles sont soumis les chercheurs de la recherche publique. Le second problème est celui de l’incapacité à séparer les petites start-up (et PME) des mastodontes, qui ont trouvé une façon facile de faire des économies payées par nos impôts ! Mais que l’on ne se trompe pas sur mon propos : il faut ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Les petites entreprises, comme celles que j’ai créées (voir ci-dessous) recrutent des chercheurs et des ingénieurs en contrats à durée indéterminée, pour faire souvent de la recherche fondamentale. La solution serait donc de limiter les sommes versées (de 1 à 5 millions d’euros ?) et de vérifier que l’entreprise fait bien de la R&D et contribue à réduire le chômage des chercheurs et ingénieurs, souvent sans débouché dans les filières publiques.
Une conclusion plus personnelle
Après avoir travaillé 40 ans au CNRS et à l’Inserm, contribué à créer l’institut de neurobiologie Alfred Fessard (Gif-sur-Yvette), puis conçu et réalisé un centre de référence de l’Inserm en neuroscience (l’Inmed à Marseille), la seule possibilité qui m’était offerte à ma retraite était de joyeusement la prendre, aller me bronzer, tout en gardant un beau bureau à l’Inmed, mais sans financement public et sans mes équipes de recherche. Cela pouvait se faire dans de bonnes conditions financières, en particulier grâce à la vente des licences de produits/brevets portant sur l’autisme notamment. J’ai donc déménagé dans des locaux privés afin de poursuivre mes recherches sur le déroulement de la maternité et les maladies du développement cérébral, en prenant des risques car ne dépendant plus des contrats de l’ANR ou des subventions du conseil européen de la recherche (ERC), etc.
Fort de nos succès prometteurs avec les premiers essais sur l’autisme, j’ai donc décidé d’utiliser tous les moyens financiers disponibles pour poursuivre mes travaux dans un cadre privé, avec la vingtaine de chercheurs, ingénieurs et techniciens recrutés au sein de startups créées à cet effet. J’ai aussi créé un fonds d’actions à but non lucratif pour faire des recherches qui me semblent essentielles en termes de santé publique. L’institut Ben-Ari de neuro-archéologie (IBEN), que nous allons construire, va combiner recherches fondamentale et appliquée pour étudier la maternité, la précocité des signes annonciateurs de maladies neurologiques et psychiatriques. Il s’agira aussi de tester des approches thérapeutiques innovantes, les succès cliniques d’aujourd’hui finançant les découvertes de demain. Le futur dira si cette approche ouvre effectivement une nouvelle façon de faire de la science.
Liens d’intérêt
Y. Ben-Ari est fondateur et président de Neurochlore, une start-up dédiée au développement d’un traitement de l’autisme et des maladies du développement cérébral.
© 2020 médecine/sciences – Inserm
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