Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 36, Number 6-7, Juin–Juillet 2020
Page(s) 577 - 579
Section Le Magazine
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2020102
Published online 02 July 2020

Les adipocytes : lieux de stockage énergétique

Chez les mammifères, le sucre et les lipides sont stockés dans les cellules comme réserves énergétiques pouvant être utilisées lors des périodes de jeûne. Le sucre est conservé sous forme de glycogène dans le cytoplasme, et les lipides, sous forme de triglycérides dans des gouttelettes lipidiques. Alors que les cellules du foie et du muscle squelettique contiennent ces deux types de stockage énergétique, d’autres cellules, comme les adipocytes, sont spécialisées dans un seul : celui des lipides. Il existe deux types d’adipocytes : les adipocytes blancs, qui contiennent une seule gouttelette lipidique, et les adipocytes bruns, qui en contiennent de nombreuses [1] ().

(→) Voir la Nouvelle de A. Bouloumié et al., m/s n° 2, février 2009, page 123

La localisation et le métabolisme de ces deux types cellulaires sont différents. Les adipocytes blancs sont considérés comme des lieux de stockage à part entière, alors que les adipocytes bruns utilisent les stocks de lipides pour produire de la chaleur. La thermogenèse du tissu adipeux brun est notamment activée à la suite d’une exposition au froid. Au niveau cellulaire, il existe un découplage de la chaîne respiratoire mitochondriale par la protéine Ucp1 (uncoupling protein 1), qui est à l’origine de la production de chaleur.

La présence de tissu adipeux brun chez l’homme adulte est connue depuis une dizaine d’années. De nombreuses études ont montré l’importance de ce tissu dans le contrôle du métabolisme, et il existe une relation étroite entre l’activation du tissu adipeux brun et les désordres métaboliques associés à l’obésité et au diabète [2]. En effet, l’activité du tissu adipeux brun est inversement corrélée à l’adiposité corporelle chez l’homme, et son rôle protecteur, face à l’induction de l’obésité et de la résistance à l’insuline induites par un régime alimentaire riche en graisses, a été démontré chez l’animal. Ainsi, l’activation du tissu adipeux brun ou la transplantation d’adipocytes bruns pourraient représenter des stratégies thérapeutiques intéressantes contre les maladies métaboliques [3] ().

(→) Voir la synthèse de A. Carrière et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2013, page 729

Pour pouvoir développer de telles stratégies, il est essentiel de comprendre les mécanismes de différenciation et d’activation du tissu adipeux brun.

Origine et formation des adipocytes bruns chez l’embryon

Les adipocytes bruns ont une origine embryonnaire commune avec les cellules musculaires squelettiques du tronc et des membres [4]. Ils dérivent en effet de cellules mésodermiques progénitrices du somite1. Chez la souris de fonds génétique C57Bl/J, le développement embryonnaire dure environ 19 jours. Dès le 12e jour de développement, il est possible de détecter des adipocytes dans les territoires du futur tissu adipeux brun situé entre les omoplates (Figure 1) [5]. À ce stade, ces cellules n’expriment que des marqueurs communs à tous les adipocytes (bruns et blancs), tels que Pparg (peroxisome proliferator-activated receptor g) et Fabp4 (fatty acid-binding protein 4). Ce n’est qu’à partir du 16e jour de développement embryonnaire que le caractère génétique « brun » apparaît, avec notamment l’expression d’Ucp1, le marqueur caractéristique du tissu adipeux brun, essentiel à la fonction de thermogenèse. Des études de respirométrie réalisées ex vivo à partir de tissu adipeux brun isolé à différents stades du développement embryonnaire chez les souris ont montré que la chaîne respiratoire est découplée à partir du 17e jour de développement [5]. Si les adipocytes bruns possèdent, à ce stade, toutes les capacités pour produire de la chaleur, la difficulté d’accès au tissu adipeux brun de l’embryon, in utero, ne permet toutefois pas, à ce jour, de déterminer s’il en produit effectivement. En revanche, il est fonctionnellement prêt à répondre à une exposition au froid, notamment lors de la naissance.

thumbnail Figure 1.

Différenciation du tissu adipeux brun au cours du développement embryonnaire chez la souris C57Bl/J. Les premiers amas de glycogène (G) apparaissent avant l’expression d’Ucp1 dans l’adipocyte brun. Les gouttelettes lipidiques (GL) se forment au sein des amas de glycogène à partir du 15e jour de développement embryonnaire (E, embryonic day). Les gouttelettes lipidiques matures ne sont plus encerclées par du glycogène. Les images sont des photographies de microscopie électronique de tissu adipeux brun à différents stades du développement embryonnaire.

Biogenèse des gouttelettes lipidiques dans l’adipocyte brun

Les gouttelettes lipidiques sont des organites composés de triglycérides, entourés d’une membrane composée d’une monocouche de phospholipides, dans laquelle sont incorporées des protéines spécifiques, telles que celles de la famille des périlipines. Les gouttelettes lipidiques apparaissent à partir du 15e jour de développement embryonnaire dans l’adipocyte brun (Figure 1) [5]. En étudiant précisément cet organite en microscopie électronique, nous avons constaté que la gouttelette lipidique apparaît au sein d’amas de glycogène dont la formation précède celle des gouttelettes lipidiques (Figure 1). Au cours du développement du tissu adipeux brun, de nouvelles gouttelettes lipidiques apparaissent au sein d’amas de glycogène nouvellement formés, et leur croissance est associée à une diminution de la quantité de glycogène qui les entoure. Cette association spatiale du glycogène et de la gouttelette lipidique avait été observée, dans les années 1960, dans le tissu adipeux brun de souris et de rats nouveau-nés [6, 7], mais depuis, aucune étude n’avait déterminé le rôle que pouvait jouer le glycogène dans ces cellules.

Le glycogène essentiel à la formation des gouttelettes lipidiques

Pour tenter de résoudre cette énigme, nous avons étudié les embryons de souris mutantes déficientes pour la glycogène synthase (souris Gys1-/- ) [5]. Ces embryons, qui ne synthétisent pas de glycogène, ne présentent pas de gouttelettes lipidiques dans leurs adipocytes bruns, démontrant ainsi que le glycogène est essentiel à la formation de ces gouttelettes. Ces résultats ont été confirmés par des expériences d’interférence ARN ciblant la glycogène synthase dans des cellules humaines différenciées en adipocytes bruns in vitro.

Une analyse transcriptomique d’adipocytes bruns en cours de différenciation a permis de mettre en évidence l’augmentation de l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme du glucose, l’activation du cycle de Krebs ainsi que la lipogenèse de novo, suggérant ainsi l’utilisation du glycogène au profit de la synthèse de nouveaux acides gras (Figure 2). La dégradation du glycogène s’effectue classiquement par des voies enzymatiques, dont la première étape est catalysée par la glycogène phosphorylase. Cependant, il existe un autre mécanisme, moins bien connu, de dégradation du glycogène : la glycophagie, c’est-à-dire l’autophagie du glycogène. La glycophagie a été décrite dans le foie, le muscle squelettique, et le cœur. Dans cette voie de dégradation du glycogène, la protéine Stbd1 (Starch-binding domain-containing protein 1) s’associe au glycogène et est reconnue par la protéine Gabarapl1 (gamma-aminobutyric acid receptor-associated protein-like 1) localisée à la surface de l’autophagosome (Figure 2). Le glycogène est ainsi autophagocyté, puis dégradé en glucose 1-phosphate. Au cours de la différenciation des adipocytes bruns, la glycophagie joue un rôle important puisque des expériences d’ARN interférence ciblant le gène Stbd1 entraînent une diminution de la biogenèse des gouttelettes lipidiques. Le cycle de synthèse et de dégradation du glycogène est donc essentiel à la formation des gouttelettes lipidiques au cours de la différenciation de l’adipocyte brun. Qu’en est-il pour l’adipocyte blanc ?

thumbnail Figure 2.

Voies métaboliques allant du glycogène aux triglycérides stockés dans les gouttelettes lipidiques. Le glycogène est dégradé par glycophagie dans des glycophagosomes, observables dans les adipocytes bruns au cours du développement embryonnaire, de E15.5 à E18.5. Les images sont des photographies de microscopie électronique du tissu adipeux brun.

Un rôle différent du glycogène dans l’adipocyte blanc ?

La plupart des études qui ont été effectuées pour identifier les mécanismes de formation de la gouttelette lipidique l’ont été dans l’adipocyte blanc. Ces études ont montré que les gouttelettes lipidiques se forment par bourgeonnement à partir du réticulum endoplasmique [8]. Alors que nos analyses en microscopie électronique ne montrent pas la présence du réticulum endoplasmique autour des gouttelettes lipidiques en formation au sein des amas de glycogène dans les adipocytes bruns, le bourgeonnement de la gouttelette lipidique à partir du réticulum endoplasmique est visible dans les adipocytes blancs en cours de différenciation chez l’embryon. Le glycogène est également présent dans ces cellules, mais il ne se localise pas autour des gouttelettes lipidiques, comme c’est le cas dans l’adipocyte brun. De même, l’absence de glycogène chez les embryons Gys1-/- n’empêche pas la formation des gouttelettes lipidiques dans les adipocytes blancs. Ces données montrent donc que les mécanismes impliqués dans la biogenèse des gouttelettes lipidiques sont différents entre adipocytes bruns et adipocytes blancs.

Perspectives

Jusqu’à présent, le glycogène et les gouttelettes lipidiques avaient été considérés comme des moyens de stockage énergétique indépendants. Nos travaux ont révélé l’existence d’une interaction spatiale et fonctionnelle dans l’adipocyte brun en cours de différenciation. Dans le tissu adipeux brun chez l’adulte, une exposition au froid entraîne une accumulation transitoire de glycogène [9]. L’étude du métabolisme du glycogène dans les adipocytes du tissu adipeux brun chez l’adulte pourrait permettre d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques contre l’obésité.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Cette recherche a bénéficié de soutiens financiers de l’ANR-labex-EGID (ANR-10-LABX-46), de la région des Hauts de France/FEDER (Chronoregeneration), de l’Association Française contre les Myopathies (AFM-Téléthon), de la Fondation de France et de la Fondation Francophone pour la recherche sur le diabète (FFRD), soutenu par la Fédération Française des Diabétiques (AFD), AstraZeneca, Eli Lilly, Merck Sharp & Dohme (MSD), Novo Nordisk et Sanofi.


1

Structure embryonnaire transitoire, issue du mésoderme para-axial, qui se subdivise en sclérotome (à l’origine du squelette axial et para-axial) et en dermomyotome, à l’origine de la peau dorsale du tronc et des muscles squelettiques du tronc et des membres.

Références

  1. Bouloumié A, Sengenès C, Galitzky J. Les progéniteurs adipeux blancs et bruns : pourra-t-on transformer la fourmi en cigale ?. Med Sci (Paris) 2009 ; 25 : 123–125. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. van Marken Lichtenbelt WD, Vanhommerig JW, Smulders NM, et al. Cold-activated brown adipose tissue in healthy men. N Engl J Med 2009 ; 360 : 1500–1508. [Google Scholar]
  3. Carrière A, Jeanson Y, Cousin B, et al. Le recrutement et l’activation d’adipocytes bruns et/ou BRITE : une perspective réelle pour le traitement des maladies métaboliques ?. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 729–735. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Wang W, Seale P. Control of brown and beige fat development. Nat Rev Mol Cell Biol 2016 ; 17 : 691–702. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Mayeuf-Louchart A, Lancel S, Sebti Y, et al. Glycogen dynamics drives lipid droplet biogenesis during brown adipocyte differentiation. Cell Rep 2019 ; 29 : 1410–8 e6. [Google Scholar]
  6. Revel JP, Napolitano L, Fawcett DW. Identification of glycogen in electron micrographs of thin tissue sections. J Biophys Biochem Cytol 1960 ; 8 : 575–589. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Napolitano L, Fawcett D. The fine structure of brown adipose tissue in the newborn mouse and rat. J Biophys Biochem Cytol 1958 ; 4 : 685–692. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Walther TC, Chung J, Farese RV. Lipid droplet biogenesis. Annu Rev Cell Dev Biol 2017 ; 33 : 491–510. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Jakus PB, Sandor A, Janaky T, et al. Cooperation between BAT and WAT of rats in thermogenesis in response to cold, and the mechanism of glycogen accumulation in BAT during reacclimation. J Lipid Res 2008 ; 49 : 332–339. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

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Différenciation du tissu adipeux brun au cours du développement embryonnaire chez la souris C57Bl/J. Les premiers amas de glycogène (G) apparaissent avant l’expression d’Ucp1 dans l’adipocyte brun. Les gouttelettes lipidiques (GL) se forment au sein des amas de glycogène à partir du 15e jour de développement embryonnaire (E, embryonic day). Les gouttelettes lipidiques matures ne sont plus encerclées par du glycogène. Les images sont des photographies de microscopie électronique de tissu adipeux brun à différents stades du développement embryonnaire.

Dans le texte
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Voies métaboliques allant du glycogène aux triglycérides stockés dans les gouttelettes lipidiques. Le glycogène est dégradé par glycophagie dans des glycophagosomes, observables dans les adipocytes bruns au cours du développement embryonnaire, de E15.5 à E18.5. Les images sont des photographies de microscopie électronique du tissu adipeux brun.

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