Open Access
Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 36, Number 2, Février 2020
Page(s) 99 - 100
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2020020
Published online 04 March 2020

Notre compréhension des mécanismes du vivant demande que nous soyons capables non seulement d’interférer de façon sélective et spécifique avec le phénomène observé, mais mieux encore que nous soyons capables de le reproduire. Nous procédons en général, dans un premier temps, en bâtissant des modèles qui vont du schéma simplifié qui illustre nos articles à des algorithmes sophistiqués nous permettant de prédire une réponse biologique dans une situation donnée. Mais le raffinement ultime consiste en la capacité de reconstruire le phénomène. Cette quête du Graal nous est aujourd’hui offerte par les organoïdes.

Les organoïdes sont de petites structures tridimensionnelles dérivées de cellules souches pluripotentes induites (iPS)1. Ces structures s’auto-organisent en reproduisant en partie l’architecture d’un organe [1] ().

(→) Voir la Synthèse de J.L. Galzi et al., m/s n° 5, mai 2019, page 467

Cette organisation spatiale induite à partir de quelques contraintes physiques permet aux cellules de se différencier et d’acquérir différents états fonctionnels typiques de l’organe. Mieux encore, les organoïdes, c’est du moins l’objectif, sont capables de mimer les fonctions de base des organes correspondant : côlon [2] () foie, rein [3] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Flatres et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2019, page 529

(→) Voir la Synthèse de C. Steichen et al., m/s n° 5, mai 2019, page 470

Un type particulier d’organoïdes est représenté par les gastruloïdes, qui permettent de nouvelles connaissances sur les principes biophysiques et d’auto-organisation de la gastrulation des embryons humains. Toutefois, l’absence de vascularisation limite leur croissance et leur taille maximale. Si nous voulons réellement mimer l’organe, les organoïdes auront besoin de l’aide de pompes microfluidiques ou d’une diffusion externe améliorée, pour imiter la distribution des nutriments et l’élimination des déchets nécessaires à l’entretien et à la croissance à long terme. Des améliorations techniques seront également nécessaires pour les systèmes modèles plus complexes, réalisés en reliant les organoïdes entre eux, afin d’imiter le fonctionnement intégré du corps humain.

De nombreuses questions éthiques entourant la recherche sur les organoïdes et les gastruloïdes ont déjà été identifiées. Parmi celles-ci, nous pouvons citer les exigences relatives au consentement éclairé des donneurs de cellules humaines nécessaires à la production d’organoïdes. Comment les personnes qui consentent à donner leurs cellules à une biobanque sont-elles informées de l’usage qui en est fait, une fois les cellules souches iPS obtenues ? Comment ces personnes peuvent-elles s’opposer à certaines utilisations des organoïdes, comme leur commercialisation, leur usage à titre militaire ou encore leur dérivation en gastruloïde, la ressemblance à un embryon humain pouvant heurter certains, ou en cérébroïdes ressemblant au cerveau humain ? Une autre série de questions éthiques concerne l’accessibilité à ce matériel pour les chercheurs à partir de biobanques et les conditions d’une utilisation partagée des organoïdes. Bien des questions spécifiques et nouvelles émergent. Le comité d’éthique de l’Inserm a été saisi de ces questions à l’été 2018. Il a déjà produit une première Note [4] concernant les gastruloïdes, dans le cadre d’une analyse plus complète des différents modèles embryonnaires à usage scientifique (MEUS). Une seconde Note est en cours de préparation et j’en dessinerai quelques lignes directrices ici.

Une première interrogation porte sur ce qui semble en partie, au moins aujourd’hui, une idéologie de la promesse : la technologie des organoïdes serait la solution aux questions éthiques de l’expérimentation animale, elle accélèrerait, voire remplacerait les essais cliniques de phase précoce, elle permettrait des avancées rapides vers une médecine personnalisée [5]. Toutefois, en l’état actuel des connaissances et du développement des organoïdes, aucun régulateur n’accepterait, semble-t-il, d’autoriser un essai clinique chez l’homme qui n’aurait fait l’objet d’expérimentation que sur des cellules en culture ou sur des organoïdes. Le recours à l’animal reste donc indispensable. La modélisation pour une médecine personnalisée, voire la reconstitution d’un organe, reste en fait à ce jour une perspective encore éloignée, sauf peut-être pour la peau et la rétine.

L’une des principales nouveautés éthiques soulevées par les organoïdes tient à leur statut. En effet, nous avons eu à traiter jusqu’à maintenant d’entités naturelles qui ont été dotées au cours de notre histoire culturelle et politique d’un certain statut moral : animal, embryon humain, tissu humain, personne humaine. Or les organoïdes ne sont pas des entités naturelles mais des artéfacts produits par l’ingénierie biologique. Quel est, dès lors, leur statut moral ? Ne sont-ils que des objets créés par l’homme comme nos machines, ou doit-on créer un statut particulier, ou devons-nous leur accorder le statut moral de l’entité qu’ils miment même partiellement ?

Les organoïdes simples actuels ne méritent pas une considération morale sérieuse en soi. Mais qu’en est-il de la possibilité de modèles d’organoïdes cérébraux plus complets, ou même d’organoïdes liés conçus pour imiter des systèmes intégrés complexes du corps humain, comme le modèle déjà publié d’un tractus génital féminin, avec reproduction du cycle menstruel complet [6] ? Au fur et à mesure que les modèles deviendront biologiquement plus semblables aux processus naturels – en particulier ceux qui ont traditionnellement été très sensibles sur le plan éthique comme les embryons aux stades avancés, le cerveau, le système reproductif humain –, des questions se poseront quant à leur statut moral en tant qu’objets de recherche.

Un exemple récent de cérébroïde a reçu un écho considérable suite à l’affirmation que l’activité neurale enregistrée pouvait être comparée à celle d’un cerveau fœtal humain immature [7]. Si un tel modèle devenait un jour « mature », pourrait-il devenir conscient ? Pourrait-il ressentir une douleur, avoir des sentiments et des désirs ? Atteindre une activité cognitive ? Nous devons établir une distinction nette entre l’activité de réseau enregistrée aujourd’hui, sans conséquence morale, et l’émergence possible d’une conscience phénoménale, qui exigerait de considérer le cérébroïde comme une entité capable de souffrir et exigerait dès lors une considération particulière. La première question à se poser est : comment serions-nous capables de détecter l’émergence d’une telle conscience ? Le degré de complexité de l’architecture cérébrale obtenue, mimant le cerveau d’un fœtus de plus de 20 semaines, pourrait être un critère minimal mais pas forcément suffisant. Certains éthiciens proposent en conséquence d’agir « comme si » et d’appliquer aux cérébroïdes sophistiqués des règles éthiques particulières inspirées de l’expérimentation animale : n’utiliser de tels modèles que si les connaissances potentielles obtenues valent les souffrances éventuellement infligées et minimiser celles-ci tant en intensité qu’en durée [8].

Dès maintenant, nous devons également considérer l’organoïde in vivo dans un contexte de xénogreffe. C’est ici la question de la modification des propriétés de l’animal qui reçoit la greffe qui est posée. Par exemple, il a déjà été montré qu’une greffe de cellules gliales humaines modifiaient les propriétés cognitives d’une souris [9]. Nous devons donc nous poser la question de la mesure : quels paramètres sont à observer, quels outils d’enregistrement, quelles échelles d’évaluation, quelles grilles d’analyse sont à développer ? à partir de là, quelles limites posons-nous en regard du statut moral que nous envisageons ? Ici, notre éthique empruntera également à la démarche des ingénieurs, dite « éthique dès le concept » (ethical by design). Par exemple il a été proposé d’inclure dans le protocole expérimental, dès sa conception, des inactivations de gènes qui interdiraient certaines étapes du développement ou certaines différenciations cellulaires.

L’existence de nouvelles entités vivantes ayant des propriétés cognitives posera éventuellement la question de leur besoin de socialisation et celle de déterminer dans quelles conditions nous mettrons fin à leur existence. Nous devons en conséquence et dès à présent développer des recherches pour déterminer dans quelles conditions l’émergence de ces propriétés serait plausible et comment ces dernières seraient détectables. Face à une telle situation, nous devons envisager les conditions de bien-être de telles entités. Nous devons également penser un cadre éthique permettant d’évaluer si les buts de la recherche développée nécessitent réellement le développement d’organoïdes dotés de ces propriétés cognitives.

Comme toujours, face à notre ignorance et aux nouvelles questions qui se posent, plus de recherche est nécessaire, une recherche éminemment multidisciplinaire, et la recherche en éthique en fait partie.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Les cellules souches pluripotentes induites (iPS) sont obtenues à partir de cellules somatiques différenciées dans lesquelles l’expression de gènes associés à la pluripotence a été réactivée. Elles peuvent se différencier en n’importe quelle cellule de n’importe quel tissu humain. Elles représentent une alternative à l’utilisation de cellules souches embryonnaires.

Références

  1. Galzi JL, Jouault T, Amédée J. Les organoïdes : des mini-organes au service de la biomédecine. Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 467–469. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Flatres C, Loffet E, Neunlist M, et al. Organoïdes : façonner l’intestin à partir des cellules souches pluripotentes humaines. Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 529–555. [Google Scholar]
  3. Steichen C, Giraud S, Hauet T Les organoïdes rénaux. Med Sci (Paris) 2019 ; 35 : 470–477. [CrossRef] [Google Scholar]
  4. https://www.hal.inserm.fr/inserm-02111023. [Google Scholar]
  5. Bredenoord AL, Clevers H, Knoblich JA. Human tissues in a dish: the research and ethical implications of organoid technology. Science 2017; 355 : 6322, eaaf9414. [Google Scholar]
  6. Xiao S, Coppeta JR, Rogers HB, et al. A microfluidic culture model of the human reproductive tract and 28-day menstrual cycle Nat Commun 2017; 8 : 14584. [PubMed] [Google Scholar]
  7. Trujillo CA, Gao R, Negraes PD, et al. Complex oscillatory waves emerging from cortical organoids model early human brain network development. Cell Stem Cell 2019 ; 25 : 558–569. [Google Scholar]
  8. Koplin JJ, Savulescu J. Moral limits of brain organoid research. J Law Med Ethics 2019 ; 47 : 760–767. [Google Scholar]
  9. McGinley LM, Kashlan ON, Bruno ES, et al. Human neural stem cell transplantation improves cognition in a murine model of Alzheimer’s disease. Sci Rep 2018 ; 8 : 14776. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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