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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 35, Number 12, Décembre 2019
Anticorps monoclonaux en thérapeutique
Page(s) 1182 - 1188
Section Les anticorps à l’aune des analyses médico-économiques
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2019229
Published online 06 January 2020

© 2019 médecine/sciences – Inserm

Depuis une vingtaine d’année, on observe un changement de paradigme dans le développement des thérapies. Auparavant d’origine chimique, la nouvelle génération de médicament est aujourd’hui d’origine biologique. Parmi l’ensemble des produits biologiques en développement, les immunothérapies et plus particulièrement les anticorps monoclonaux (AcM) apparaissent comme les leaders de cette nouvelle ère thérapeutique, notamment pour les traitements en oncologie (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Pipeline mondial des immunothérapies en développement par phase et par type de molécules (données octobre 2019).

En effet, au cours des 30 dernières années, 104 anticorps thérapeutiques (données octobre 2019) ont été mis sur le marché :

  • 12 produits approuvés entre 1986 (date de première année de commercialisation d’un anticorps monoclonal) et 2000.

  • 25 produits supplémentaires entre 2001 et 2010.

  • 67 nouveaux produits entre 2011 et 2019 (incluant le premier biosimilaire de l’infliximab ayant reçu une AMM par l’EMA en 2013).

Pour la suite de l’analyse, les valeurs financières seront calculées uniquement sur la base des accords dont la teneur est rendue publique. De plus, les montants en dollars sont convertis en euros constants 2019.

Tendances des accords

Depuis 2009, le nombre d’accords (fusions, acquisitions, partenariats) entre les acteurs de l’immunothérapie n’a cessé de croitre (Figure 2). Soulignons qu’en l’espace de presque 10 ans (2009-2018), le nombre d’accords a augmenté de 175 % (passant de 250 accords en 2009 à 680 en 2018). Que ce soit en nombre ou en valeur financière, le marché est dominé par les États-Unis qui représentent à eux seuls 69 % du nombre d’accords et 89 % de leurs valeurs financières. A titre de comparaison, l’Europe représente 20 % des accords pour seulement 8 % de la valeur du marché (Figure 3).

thumbnail Figure 2.

Evolution du nombre d’accords (fusions, acquisitions, partenariats…) entre acteurs de l’immunothérapie de 2009 et 2019.

thumbnail Figure 3.

Représentation schématique du nombre d’accords au niveau mondial. La taille des sphères est proportionnelle à l’importance du marché.

Stratégie, phase de développement et accords

L’analyse des données depuis les années 2009 jusqu’à juillet 2019 permet d’observer le comportement des acteurs du domaine « anticorps thérapeutiques » en termes d’accords financiers (Figure 4). En effet, alors que la Phase préclinique représente à elle seule 35 % des accords totaux, leur montant moyen est « seulement » de 600 000 dollars (soit environ 540 000 euros) par produit. A l’inverse pour la Phase clinique II qui ne compte que pour 15 % des accords, ces derniers sont en moyenne de l’ordre de 1,2 million de dollars soit environ 1,08 millions d’euros.

thumbnail Figure 4.

Répartition des accords par phase de développement (en pourcentage).

Les industriels semblent donc appliquer deux stratégies :

  • La première consiste à réaliser des accords en phase early (R&D et Préclinique), ces phases représentent par ailleurs 52 % des accords. La valeur financière des produits est faible mais les risques d’échecs encourus sont plus importants car les produits sont peu matures.

  • La seconde stratégie se positionne sur des produits plus matures (Phase II) bien que les risques d’échecs restent importants lors de cette phase, la valeur financière des médicaments candidats est plus élevée. De manière globale, les phases I, II et III comptabilisent 1/3 de l’ensemble des accords pour une valeur totale de 400 millions de dollars (environ 360 millions d’euros).

Les taux d’attrition des produits en développement sont particulièrement importants notamment entre la Phase II et III, où il atteint 60 %. Le nombre d’accords, et surtout leurs montants moyens, est en partie pondéré par cette attrition. En aval de la phase II, la valeur des produits est considérablement accrue, les transactions sont donc moindres mais leurs montants plus élevés (Figure 5).

thumbnail Figure 5.

Montants moyens des accords par produit et par phase de développement (millions de dollars, US$).

Depuis les années 2009, la recherche et le développement dans l’industrie pharmaceutique se concentrent principalement dans le domaine de l’oncologie. La croissance annuelle du marché de l’oncologie entre 2019 et 2023 est estimée entre 11-13 % au niveau mondial pour représenter à terme un marché estimé de 200 à 230 milliards de dollars (environ 180-215 milliards d’euros) (Figure 6).

thumbnail Figure 6.

Indications thérapeutiques majeures depuis 2009.

Dans le même laps de temps, au niveau Européen (deuxième marché après les Etats-Unis), la croissance de ce domaine thérapeutique devrait se maintenir entre 8 et 1 % et est estimée à 40 - 44 milliards de dollars (environ 36-39,6 milliards d’euros).

L’innovation apportée par les thérapies ciblant les points de contrôle immunitaire (type PD-1/PD-L1) en immuno-oncologie et leurs utilisations récentes en première ligne thérapeutique font des anticorps les acteurs majeurs de la croissance du marché en oncologie. En passe de devenir les traitements de référence en immuno-oncologie, ces anticorps sont maintenant proposés en combinaison avec d’autres thérapies d’origine chimique et/ou biologique (vaccins thérapeutiques, autres anticorps, etc.)

Depuis 2014, le nombre d’indication des anticorps, ciblant les points de contrôles immunitaires, acceptés sur le marché, n’a pas cessé d’augmenter. L’utilisation en clinique de beaucoup de ces anticorps entraîne une augmentation mécanique de la taille du marché pharmaceutique associé (Figure 7).

thumbnail Figure 7.

Évolution de l’utilisation des ICI en fonction des autorisations de mise sur le marché (adapté de « Global Oncology Trends 2018. IQVIA »).

La figure 7 ne présente pas les anticorps anti CTLA-4 en développement ou sur le marché ni les anticorps dirigés contre des points de contrôle immunitaire différents de PD-1/PD-L1.

Accords majeurs des 10 dernières années

Sur le plan financier, on observe que 60 % des plus importants accords ont été réalisés lors des trois dernières années, entre 2016 et 2019. Pendant ces trois années, on notera les accords de Shire qui a acquis le portefeuille de Baxalta en 2016 pour 30 milliards de dollars (environ 27 milliards d’euros) avant d’être elle-même rachetée par Takeda Pharmaceutical pour 80 milliards de dollars (environ 72 milliards d’euros) en 2019.

Les entreprises françaises ne sont pas en reste avec notamment l’acquisition de Ablynx par Sanofi pour 5 milliards de dollars (environ 4,5 milliards d’euros), et le partenariat de Innate Pharma avec AstraZeneca, dont les montants cumulés de leur collaboration depuis 2015 pourraient atteindre 4,4 milliards de dollars (environ 4 milliards d’euros) (Tableau I).

Tableau I.

Quelques exemples d’accords (acquisition, partenariat) entre Sociétés impliquées dans le domaine des anticorps à usage thérapeutique depuis 2014. Ac: anticorps ; ADC: conjugués anticorps-médicament.

Le Tableau I n’a pas vocation à être exhaustif, il ne représente que les 15 accords de la décennie les plus importants financièrement et rendus publics.

Il est à noter que d’autres accords notables auraient pu être cités tels que :

  • IDD Biotech: acquisition de l’anticorps anti-DR5 de IDD biotech par Genmab en 2015 pour 110 millions de dollars (environ 100 millions d’euros). Le produit au stade préclinique en 2015 est aujourd’hui en phase clinique II.

  • LFB: contrat de licence de 31 millions de dollars (environ 28 millions d’euros) avec TG Therapeutics pour le développement et la commercialisation d’un anticorps monoclonal anti-CD20 dans le traitement de la sclérose en plaque. Le produit est actuellement en phase III.

  • Ou encore ImCheck, Acticor Biotech, etc. détaillés dans l’encadré « Success stories »

Principaux acteurs de l’industrie de l’immunothérapie

Parmi les acteurs les plus impliqués (qui ont réalisé plus de 4 accords sur la période 2010-2019) dans les accords stratégiques (acquisitions, fusions, partenariats), on retrouve à part égale de grands industriels pharmaceutiques (Sanofi, Janssen, Novartis, etc.) et des acteurs de taille intermédiaire (Agenus, Amgen, etc.). On notera la présence des acteurs français Sanofi (7 accords) et Servier (4 accords) (Tableau II).

Tableau II.

Nombre d’accords passés par 30 des firmes impliquées dans le domaine des anticorps à usage thérapeutique. Accords: fusions, acquisitions, partenariats.

Sites de bioproduction

Avec un secteur d’activité en pleine croissance, la filière française s’est munie d’outils stratégiques permettant d’assurer la production de ses thérapies. Ainsi, au cours de la décennie, ce sont 5 sites majeurs qui ont été créés ou qui ont évolué pour proposer des services de bioproduction industrielle dédiés aux anticorps.

Sanofi site BioLaunch :

  • Année de création: 2009

  • Localisation: Vitry

  • Investissement: 250 millions d’euros

  • Spécialisation: anticorps monoclonaux

Merck Biodevelopment :

  • Année de création: 2011

  • Localisation: Martillac

  • Investissement: 42 millions d’euros depuis 2011

  • Spécialisation: anticorps monoclonaux

Novasep

  • Année de création: 2017

  • Localisation: Le Mans

  • Investissement: 11 millions d’euros

  • Spécialisation: anticorps conjugués (ADC)

Pierre Fabre :

  • Année d’ouverture: 2018

  • Localisation: Saint-Julien-en-Genevois

  • Investissement: NA

  • Spécialisation: anticorps conjugués (ADC)

Servier (Site de Gidy) :

  • Année d’ouverture: 2021

  • Localisation: Gidy

  • Investissement: 50 millions d’euros

  • Spécialisation: anticorps monoclonaux

Les entreprises françaises dans le paysage médico-économique de l’anticorps

2018 se présente comme une année clé pour les acteurs français (industries pharmaceutiques, biotechs, start-up) ayant une activité dans le domaine des anticorps. Entre accords majeurs et rachats, la France connait cette année un ensemble de success stories.

Des exemples non exhaustifs de ces réussites sont présentés ci-dessous :

Success stories de Startup

ImCheck Therapeutics:

  • Fondée en 2015,

  • Emploie aujourd’hui 30 personnes,

  • 3 produits en développement (R&D),

  • En avril 2018, ImCheck a obtenu 20 millions de dollars (environ 18 millions d’euros) auprès de fonds internationaux. La société a également obtenu 717 000 euros de subventions de la Région Sud et de l’Union européenne dans le cadre du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER).

Acticor Biotech :

  • Fondée en 2013,

  • Emploie aujourd’hui 13 personnes,

  • 1 produit en développement en Phase II.

  • En 2018, Acticor Biotech a obtenu 15,3 millions d’euros et a signé un partenariat de 60 millions d’euros avec le groupe pharmaceutique chinois China Medical System (CMS).

Surgimab:

  • Fondée en 2011,

  • Emploie aujourd’hui 5 personnes,

  • 2 produits en développement dont 1 en phase I, II

  • En 2018, SurgiMab a obtenu 6,6 millions d’euros auprès d’investisseurs afin de financer ses études cliniques pour le SGM-101 actuellement en phase III.

Success stories de Biotech

  • Innate Pharma :

  • Fondée en 1999,

  • Emploie aujourd’hui 195 personnes,

  • 1 produit commercialisé et 9 produits en développement dont 4 en phase II,

  • En 2018 ; Innate Pharma signe un accord de 250 millions de dollars avec AstraZeneca (les montants cumulés de la collaboration entre ces sociétés depuis 2015 pourraient atteindre 4,2 milliards de dollars (environ 3,8 milliards d’euros).

Ose Immunotherapeutics :

  • Fondée en 2016 par la fusion d’Effimune et Ose Pharma,

  • Emploie aujourd’hui plus de 30 personnes,

  • 6 produits en développement dont 5 en phase clinique (1 en phase III, 3 en phase II et 1 en phase I),

  • En 2018, Ose Immunotherapeutics signe un partenariat de 1,3 milliard de dollars (environ 1,17 milliard d’euros) avec Boehringer Ingelheim, lui permettant d’assurer le développement clinique de ses produits.

Success stories de BigPharma

Sanofi:

  • Fondée en 1973,

  • Emploie aujourd’hui plus de 100 000 personnes,

  • 81 produits en développement (biologique et chimique), 35 en phase III ou soumis pour approbation aux autorités réglementaires,

  • Au premier trimestre 2018, rachat de la biotech belge AblynX pour 4,8 milliards d’euros. Ainsi, après l’acquisition en 2011 de Genzyme pour 20 milliards de dollars (environ 18 milliards d’euros), Sanofi se renforce une nouvelle fois dans le segment des maladies rares liées aux troubles immunitaires.

Servier :

  • Fondée en 1954,

  • Emploie aujourd’hui plus de 22 000 personnes,

  • 20 produits en développement (biologique et chimique) dont 4 en phase III,

  • En 2018, les laboratoires Servier rachète pour 2,4 milliards de dollars (environ 2,16 milliards d’euros) la branche oncologie de Shire comprenant 2 produits commercialisés, l’Oncaspar® et l’Onivyde®, et surtout 2 produits en développement dans le domaine de l’immuno-oncologie.

Pierre Fabre:

  • Fondée en 1962,

  • Emploie aujourd’hui plus de 13 000 personnes,

  • 11 produits en développement dont 1 en phase III,

  • En 2017 Pierre Fabre acquiert les produits d’Immuno-Oncologie de Igenica Biotherapeutics (biotech spécialisée dans le développement d’anticorps monoclonaux et d’ADC).

En 2019, Pierre Fabre avec son partenaire Pfizer annonce des résultats intermédiaires de phase III positifs pour leur essai clinique sur le cétuximab en combinaison avec des molécules chimiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

Liste des tableaux

Tableau I.

Quelques exemples d’accords (acquisition, partenariat) entre Sociétés impliquées dans le domaine des anticorps à usage thérapeutique depuis 2014. Ac: anticorps ; ADC: conjugués anticorps-médicament.

Tableau II.

Nombre d’accords passés par 30 des firmes impliquées dans le domaine des anticorps à usage thérapeutique. Accords: fusions, acquisitions, partenariats.

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Pipeline mondial des immunothérapies en développement par phase et par type de molécules (données octobre 2019).

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Evolution du nombre d’accords (fusions, acquisitions, partenariats…) entre acteurs de l’immunothérapie de 2009 et 2019.

Dans le texte
thumbnail Figure 3.

Représentation schématique du nombre d’accords au niveau mondial. La taille des sphères est proportionnelle à l’importance du marché.

Dans le texte
thumbnail Figure 4.

Répartition des accords par phase de développement (en pourcentage).

Dans le texte
thumbnail Figure 5.

Montants moyens des accords par produit et par phase de développement (millions de dollars, US$).

Dans le texte
thumbnail Figure 6.

Indications thérapeutiques majeures depuis 2009.

Dans le texte
thumbnail Figure 7.

Évolution de l’utilisation des ICI en fonction des autorisations de mise sur le marché (adapté de « Global Oncology Trends 2018. IQVIA »).

Dans le texte

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