Open Access
Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 35, Number 8-9, Août–Septembre 2019
Page(s) 603 - 604
Section Editorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2019141
Published online 18 September 2019

L’émergence de la bioéthique a sans doute partie liée avec la conviction que la recherche biomédicale, les pratiques et les décisions médicales ne peuvent être considérées purement comme des sujets à traiter par et du seul point de vue de ceux qui sont à la paillasse ou au chevet du patient. Le « Code de Nuremberg » a été de cela, en 1947, un signal fort. Ce code - dix articles relatifs à l’expérimentation sur l’homme - est un extrait du jugement pénal du procès du même nom rendu les 19 et 20 août 1947 [1]. En France, son propos est reconduit et étendu au malade dans une version française du texte proposé en annexe de l’Avis 2 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), en 1984 [2]. Cette perspective est reprise par le Rapport « Braibant » du Conseil d’État sur les Sciences de la vie - De l’éthique au droit (1988) [3].

Si l’on s’en tient à la période qui court depuis la fin des années 1960, l’histoire de la bioéthique rend cette conviction largement manifeste à travers ceux qui participent à son élaboration : des théologiens, des philosophes et des juristes, puis les sociologues et les anthropologues, notamment pour mettre en avant la diversité culturelle de la réception de grands principes initialement considérés comme universels. La bioéthique devient « globale », en même temps que l’affirmation de principes universels devient compliquée. L’analyse s’est aussi portée sur les politiques publiques de santé, son marché, les principes qui en orientent l’organisation. À partir des années 1980, sont entrées en scène des associations de patients ou de familles de patients, qui revendiquent d’être parties prenantes des orientations de la recherche et des décisions médicales.

Dans le contexte d’une science de plus en plus mondialisée, la France constitue un bon exemple de société dont les membres et le gouvernement ont fait depuis les années 1980 des enjeux de « bioéthique » un sujet de débat public, sur le plan éthique comme juridique : mise en place du CCNE (1983), organisation d’espaces éthiques régionaux, loi de bioéthique (1994) et prévision de sa refonte à échéance régulière, débats citoyens sur des sujets relatifs à l’expérimentation humaine et à la décision médicale. La presse, la création littéraire ou cinématographique se font aussi l’écho des discussions. On peut dire de la santé qu’elle est devenue un « chantier » pour la démocratie, au sens où l’entend le philosophe politique Étienne Balibar, c’est-à-dire un sujet dans lequel se joue l’avancée de la démocratie, une sorte de « front », toujours en construction, de démocratisation [4]. Le consentement du sujet, relatif à une expérimentation ou à une proposition thérapeutique, occupe dans ce contexte une place clé ; même quand il est critiqué, ce n’est pas pour le rejeter, mais en vue de dénoncer des procédures jugées trop formelles.

Ce contexte, très dynamique, est aussi marqué par le rythme des innovations dans le domaine de la santé ou en dehors de celui-ci, mais non sans conséquence pour la recherche ou la prise en charge des maladies. médecine/sciences a cherché à inscrire son lecteur, chercheur, médecin, étudiant, dans ce contexte élargi et à lui fournir des outils, éthiques, juridiques, économiques, socio-anthropologiques, historiques, pour appréhender son activité et ses implications au sein de celui-ci1.

Alors que le texte de révision de la présente loi de bioéthique (2011) est en cours d’examen au Conseil d’État et a été présenté au Conseil des ministres fin juillet, médecine/sciences prête une attention particulière à un enjeu transversal, évoqué plus haut : celui des conditions contemporaines du consentement.

La revue présente à ses lecteurs des textes sur les avancées les plus récentes des recherches biomédicales, tous domaines confondus. Son lectorat se veut sans doute être « l’honnête homme » du XXIe siècle dans le domaine des sciences biomédicales, mais sait quel degré de spécialisation celles-ci ont atteint. Ce travail d’information et de transmission aide à imaginer le gouffre qui existe entre le chercheur ou le médecin, au moins équipé d’un savoir pointu, même s’il est toujours évolutif et ultra-spécialisé, et la/le citoyen(ne), en termes d’appréhension des connaissances nécessaires à la prise de décision dans l’expérimentation ou la clinique.

Ce point conduit à exprimer de façon soutenue une préoccupation à l’égard du savoir et de la compréhension dont chacun(e) peut disposer, pour consentir de façon aussi fondée que possible. Il nourrit la conviction qu’il est nécessaire de transmettre des connaissances, à tous les niveaux de scolarité et à tous âges, et dans les formations continues des professionnels de santé notamment. Cela implique une réflexion sur les programmes scolaires et les bonnes manières de familiariser avec la démarche de recherche, afin que chacun dispose à l’issue de sa scolarité d’un viatique biomédical minimal : en quelque sorte, il s’agit de promouvoir ici un « savoir de solidarité active », qui dote chaque citoyen(ne) des clés nécessaires pour prendre des décisions au sujet de sa santé, de celles de ses proches et de l’usage fait des données de santé le concernant. Cette préoccupation implique aussi de porter l’exigence d’une organisation du travail qui permette véritablement un temps d’échange entre expérimentateur, médecin, membre d’une cohorte d’un essai clinique et patient. Cela implique, enfin, de se montrer particulièrement attentif aux entreprises de fabrique du doute à l’égard de la démarche scientifique et de ses résultats, comme aux effets induits par les inégalités de tous ordres sur la capacité à accéder aux connaissances. De ce point de vue, la santé n’est pas seulement un chantier parmi d’autres de la démocratie. Elle en est un critère, au sens où l’économiste politique Amartya Sen propose d’évaluer le caractère véritablement démocratique d’une démocratie, et de ne pas se contenter de l’affirmation de droits formels [5] : la capacité à offrir une éducation scientifique dans le champ biomédical, bien différente de ce qu’on appelle l’éducation thérapeutique, doit être ajoutée à cette liste de critères.

Un deuxième aspect relatif aux conditions contemporaines du consentement réside sans doute dans une vision renouvelée de « l’incertitude ». En matière de savoir, l’incertitude est le plus souvent ce qu’on cherche à réduire. L’on souhaite décider en connaissances de cause, et plus il y a d’éléments incertains, moins la décision paraît fondée. Or, l’évolution de la recherche biomédicale implique, au moins dans certains de ses pans, qu’on fasse avec une incertitude irréductible. Plutôt que de faire de cette situation d’incertitude un obstacle à la décision, dans le champ de la recherche ou de la clinique, il convient peut-être d’apprendre à faire avec elle, collectivement et individuellement : l’incertitude n’est pas un faux-savoir ; elle est un savoir inachevé qui, malgré son incomplétude, constitue un élément précieux pour appréhender les enjeux d’une expérimentation ou d’une décision médicale.

On pense ici, par exemple, aux connaissances issues de l’analyse de gènes ou du séquençage du génome humain, qui apporte à ce jour un savoir grevé d’incertitudes, tant pour le chercheur que pour le clinicien et le patient. À mille lieux de la représentation commune de la génétique et de la génomique comme vecteurs d’une vision déterministe de l’être humain, l’on constate au contraire que l’identification d’un gène comme élément explicatif d’une maladie n’implique pas qu’on sache véritablement expliquer celle-ci, ni nécessairement prédire ses formes d’expression ; on s’interroge souvent sur des formes frontières d’une maladie liée à l’identification d’un gène spécifique ; on découvre par exemple des variants de signification inconnue, qu’on ne sait pas toujours classer en variants pathogènes ou bénins ; sur le plan clinique, on ne sait pas de façon toujours évidente dans quelle mesure une information est « utile » et bénéfique pour la prise en charge.

Les conditions du consentement, dans le domaine expérimental ou clinique, ont changé depuis 1947. En refonder la possibilité passe notamment par une action politique soutenue en faveur du partage démocratique du savoir médical et par la détermination collective de formes de décision en contexte d’incertitude. On peut donc appeler de nos vœux un travail de reformulation du Code de Nuremberg, à la suite du premier déplacement opéré en 1984 de la catégorie de « sujet humain » à celle de malade. Il convient en effet de trouver les moyens d’intégrer ces conditions renouvelées du consentement et un sujet acteur de sa santé, qui n’est pas toujours malade, mais auquel sont associées des données de santé susceptibles de circuler dans le temps long et de faire l’objet de multiples usages.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

l en est pour exemples : les Chroniques génomiques de Bertrand Jordan, les contributions des sciences humaines et sociales, le suivi de sujets qui concernent le champ sciences et société, tels que l’intégrité scientifique, et plus récemment, la série en lien avec la révision de la loi de bioéthique.

Références

  1. Amiel P. Code de Nuremberg : traductions et adaptations en français. In: Des cobayes et des hommes : expérimentation sur l’être humain et justice. Paris : Belles Lettres, 2011. Appendice électronique http://descobayesetdeshommes.fr/Docs/NurembergTrad. Accessible en ligne, consulté le 30 juin 2019. [Google Scholar]
  2. Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis sur les essais de nouveaux traitements chez l’homme. Réflexions et propositions, 2, 9 octobre 1984. https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis002.pdf. Accessible en ligne, consulté le 30 juin 2019. [Google Scholar]
  3. Étude du Conseil d’État, Sciences de la vie - De l’éthique au droit. Paris : La Documentation Française, Notes et études documentaires, no 4855, 1988. [Google Scholar]
  4. Balibar E.. Les frontières de la démocratie. Paris: La Découverte, 1992. [Google Scholar]
  5. Sen A. Democracy as a universal value. Journal of Democracy 1999; 10 (n° 3) : 3–17. [CrossRef] [Google Scholar]

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