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Med Sci (Paris)
Volume 35, Number 8-9, Août–Septembre 2019
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 705 - 708 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2019140 | |
Published online | 18 September 2019 |
Cellules souches leucémiques
Cibler leur quiescence afin d’optimiser les thérapies
Leukemic stem cells: targeting quiescence to optimize therapy
Master Biologie Moléculaire et Cellulaire-M2 Parcours Génopath, Université Claude Bernard Lyon 1, Université de Lyon, France.
Les CSL (cellules souches leucémiques) ont été identifiées pour la première fois en 1997 dans la LMA (leucémie myéloïde aiguë) [1]. Elles forment une petite population hétérogène de cellules leucémiques, provenant de la transformation de CSH (cellules souches hématopoïétiques) ou de cellules myéloïdes progénitrices [2]. Les CSL possèdent des propriétés d’autorenouvellement, de quiescence cellulaire et de chimiorésistance [2, 3]. L’hétérogénéité de cette population est marquée par l’expression différentielle de certains marqueurs à la surface des cellules qui la constituent. Cette hétérogénéité rend leur ciblage thérapeutique particulièrement difficile [2]. Les traitements standards cytotoxiques, qui visent les cellules fortement prolifératrices, ne sont pas efficaces contre les CSL quiescentes. Ainsi, les CSL peuvent persister dans l’organisme alors qu’un patient est en rémission, puis sortir de leur état de quiescence et se mettre à proliférer, ce qui peut mener à une rechute [3, 4]. Il est essentiel d’élucider les caractéristiques fonctionnelles des CSL, ainsi que leurs altérations intracellulaires, afin d’optimiser les approches thérapeutiques qui doivent avoir une toxicité minimale pour les cellules hématopoïétiques saines [5].
Les CSL sont essentiellement régulées par leur microenvironnement, des voies de signalisation intrinsèques et des ARN non codants [2]. Il a été observé que des voies de signalisation associées à la progression dans le cycle cellulaire, la survie et le métabolisme des cellules, comme, par exemple, la voie mTOR, étaient inhibées dans les CSL en comparaison avec les CSH saines [6, 7, 8]. L’inhibition de ces voies participe au maintien de la quiescence et ainsi à la résistance des CSL à la chimiothérapie. Deux molécules ont récemment été identifiées comme ayant un rôle important dans le maintien dans cet état des CSL: miR126 et GSK3.
Les régulateurs de la quiescence cellulaire
miR126
Les micro-ARN (ou miARN) sont de courts acides ribonucléiques simples brins synthétisés sous forme de pré-miARN dans le noyau, puis exportés dans le cytosol où ils sont clivés en miARN. Les miARN matures sont des régulateurs de l’expression des gènes: ils induisent une répression traductionnelle ou une dégradation des ARN messagers cible.
En 2014, l’équipe de de Leeuw a mis en évidence des différences d’expression de miARN entre CSL et CSH [7]. Les miARN concernés par ces différences sont, pour une partie d’entre eux, potentiellement oncogéniques, car surexprimés dans les CSL par rapport aux CSH. Les auteurs ont également identifié le miARN126 comme étant sous-exprimé dans les CSL par rapport aux CSH, mais avec une expression plus forte dans les CSL par rapport à des cellules progénitrices leucémiques [7]. Ces observations suggèrent que l’expression de ce miARN peut être associée à un phénotype «cellule souche». Les auteurs ont donc mené des études supplémentaires pour caractériser les fonctions et les cibles de miR126 [7]. L’inhibition de miR126 grâce à l’infection par un lentivirus KD (knock-down) de miR126 entraîne une réduction du taux de croissance et une apoptose des CSL et des cellules progénitrices leucémiques [7]. Les CSH saines transduites montrent, quant à elles, une légère réduction de prolifération cellulaire, mais pas d’augmentation de leur apoptose. Enfin, la greffe de CSL transduites dans des souris immunodéficientes induit une augmentation du temps de survie et un risque diminué de rechute des souris ayant développé une LMA par rapport à la greffe de CSL non transduites [7].
Ainsi, miR126 apparaît comme un miARN essentiel pour la survie cellulaire, quantitativement moins abondant dans les CSL que les CSH. Son ciblage dans la LMA devrait permettre d’induire une mort cellulaire des CSL, tout en épargnant les CSH saines.
Deux ans plus tard, Lechman et ses collaborateurs ont mis en évidence une signature de miARN exprimés dans les CSL associée à l’évolution clinique de la LMA. Ils ont observé que miR126 présente une activité plus forte dans les CSL que dans les CSH [6]. De plus, cette activité est associée à une atténuation de l’expression de CDK3, Sin1 et de composants de la voie PI3K/AKT/mTOR. La diminution de l’expression de CDK3 induit un blocage du cycle cellulaire, piégeant ainsi les CSL en phase G0, qui deviennent alors quiescentes. La voie PI3K/AKT/mTOR, activée par la phosphorylation de AKT de façon dépendante du complexe MTORC2, induit une signalisation intracellulaire essentielle à la prolifération et la différenciation des cellules. Sin1 est essentielle à la formation du complexe MTORC2. Ainsi, en induisant une diminution de l’expression de Sin1 dans les CSL, miR126 inhibe la voie PI3K/AKT/mTOR, ce qui participe également au maintien de la quiescence de ces cellules [6] (Figure 1).
Figure 1. Représentation schématique des effets de miR126 et GSK3 dans les cellules souches leucémiques et leur microenvironnement. miR126 peut être aussi bien généré intrinsèquement par les cellules souches leucémiques (CSL) qu’apporté par transport vésiculaire à partir de cellules endothéliales environnantes. Le miR126 inhibe l’expression de Sin1, CDK3, et SPRED1, ce qui aboutit au maintien de la quiescence des CSL, et permet un rétrocontrôle positif sur l’expression et la maturation de miR126. De plus, GSK3, constitutivement activé dans les CSL, promeut, en partenariat avec les translocations chromosomiques impliquant le gène MLL, le maintien de l’état «cellule souche» par la formation de complexes HOX-MEIS1-CREB. En rouge sont indiqués les inhibiteurs de miR126 et de GSK3, capables d’induire une sortie de quiescence des CSL (CpG miR126, NP-inhibiteur miR126 et GS87). N: noyau; C: cytoplasme; MLL*: protéine de fusion MLL; NP: nanoparticule; FT: facteur de transcription. |
D’autres travaux se sont également intéressés à la régulation de l’expression et de la maturation de miR126. La leucémique myéloïde chronique (LMC) est caractérisée par l’expression d’un gène de fusion, BCR-ABL, qui code une tyrosine kinase constitutivement active, induisant la transformation des CSH en CSL. L’équipe de Zhang a récemment constaté que l’expression la protéine de fusion BCR-ABL est associée à une réduction de l’expression de miR126 mature endogène [8]. En effet, lorsque BCR-ABL active, par phosphorylation, la kinase SPRED1, cette dernière empêche la formation du complexe assurant le transport de miR126 du noyau au cytosol. Ainsi, SPRED1, activé par BCR-ABL, inhibe la formation de miR126 mature. Cependant, ces auteurs ont également observé que miR126 avait un potentiel de rétrocontrôle positif sur sa propre maturation en inhibant SPRED1. De plus, ces chercheurs ont remarqué un taux élevé de miR126 dans les cellules endothéliales proches des CSL, suggérant un apport possible de miR126 exogène provenant des cellules endothéliales du microenvironnement vers les CSL via un transport vésiculaire (Figure 1).
GSK3
Initialement identifiée comme régulateur du métabolisme du glycogène, GSK3 (glycogène synthase kinase 3) est impliquée dans l’inflammation, le maintien de l’état «cellule souche», la prolifération cellulaire et la régulation de l’hématopoïèse [9].
Une surexpression et/ou activation constitutive de GSK3, observée dans de nombreux types de cancers, est généralement synonyme de résistance thérapeutique et associée à un mauvais pronostic pour les patients [9]. Dans les leucémies aiguës impliquant des translocations chromosomiques du gène MLL, l’expression des gènes HOX (homéobox) au sein des CSL est augmentée. GSK3 induit la formation du complexe HOX-MEIS1-CREB, impliqué dans la transcription de gènes responsables de l’état «cellule souche» et la prolifération des CSL [10] (Figure 1).
Plusieurs études montrent que l’inhibition pharmacologique de GSK3 permet l’induction de la différentiation cellulaire et l’arrêt de croissance des cellules leucémiques dans des modèles murins de LMA [9]. De même, en 2010, l’équipe de Birch a constaté que l’inhibition de GSK3 est associée à une augmentation de l’expression de p27Kip1, un inhibiteur de kinases dépendantes des cyclines, importantes pour la progression du cycle cellulaire [10].
Optimisation thérapeutique
Les traitements anti-leucémiques développés jusqu’à présent sont à base d’agents cytotoxiques visant principalement les cellules en train de proliférer activement [9]. Cependant, la quiescence des CSL les rendent résistantes à ces traitements. Par conséquent, des stratégies thérapeutiques visant à induire une différenciation et une prolifération des CSL pour les rendre sensibles à ces agents cytotoxiques sont à l’étude [9]. C’est dans ce contexte que des inhibiteurs de miR126 et GSK3 ont été identifiés et testés.
Des nanoparticules à base de lipopolyplex anionique comportant des antagonistes de miR126 ont été mises au point en 2015 [3]. Ces nanoparticules sont recouvertes d’un antigène ou d’un anticorps particulier qui assure le ciblage des cellules dans lesquelles elles vont être internalisées. Ainsi, les nanoparticules permettent l’absorption d’un inhibiteur de miR126 par les cellules hématopoïétiques, tout en contournant l’absorption hépatique et la dégradation [3]. Plus récemment, en 2018, Zhang et ses collaborateurs ont généré un oligodéoxynucléotide inhibiteur, CpG-miR126, pouvant être internalisé aussi bien par les cellules endothéliales de la niche des CSL que par les CSL elles-mêmes. L’efficacité et la spécificité de ce traitement sont rendues possibles grâce à une modification chimique de l’inhibiteur afin qu’il ne soit pas dégradé par les nucléases du sérum et lors de son couplage aux nanoparticules citées ci-dessus [8]. Son administration en combinaison avec un traitement standard par inhibiteur de tyrosines kinases induit une sortie de quiescence et une réduction du nombre de CSL [3,8].
Les inhibiteurs de GSK3, ont quant à eux une activité sub-optimale, notamment à cause de leur manque de spécificité. En 2016, Hu et son équipe ont néanmoins identifié GS87, un inhibiteur hautement spécifique de GSK3 [9]. Dans un modèle de souris atteintes de LMA, GS87 induit la différenciation des CSL sans affecter la prolifération des CSH saines [9].
L’émergence des combinaisons thérapeutiques a été un tournant dans l’optimisation des thérapies anti-cancéreuses. Dans le cas des leucémies, des combinaisons thérapeutiques ciblant les cellules leucémiques prolifératrices ainsi que les CSL permettraient une amélioration de la prise en charge des patients. Dorrance et Zhang ont ainsi tous les deux suggéré la combinaison de leurs inhibiteurs de miR126 et de thérapies standards ciblant les acteurs du cycle cellulaire [3, 8]. Une combinaison thérapeutique étant d’autant plus intéressante lorsqu’elle cible des voies de signalisation différentes, combiner l’inhibition de GSK3 à celle de miR126 ou des inhibiteurs de tyrosines kinases serait également une voie envisageable.
Conclusion
Caractérisées entre autre par leur quiescence, les CSL constituent une population cellulaire responsable de résistances thérapeutiques et de rechutes de la maladie chez les patients atteints de leucémie. C’est la raison pour laquelle elles sont devenues la cible de nouvelles thérapies visant à favoriser leur différenciation [1–5].
Suite aux observations que miR126 et GSK3 sont deux facteurs participant à la régulation du cycle cellulaire dans les CSL, des recherches se sont concentrées sur l’identification et le développement d’inhibiteurs de ces molécules [2, 6–8, 10]. Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, des nanoparticules de lipopolyplex anioniques conjugués à un inhibiteur du miR126 (le CpG-miR126) ont été développées. Combinée à des traitements standards, cette stratégie thérapeutique induit une réduction de la croissance des cellules leucémiques dans un modèle de souris [3, 8, 9]. De même, l’identification de la molécule inhibitrice, GS87, hautement spécifique de GSK3 a ouvert des perspectives thérapeutiques.
Dans l’optique d’optimiser les stratégies thérapeutiques utilisées dans le traitement des leucémies, le développement de combinaisons ciblant à la fois les CSL quiescentes et les cellules leucémiques fortement prolifératrices semble très prometteur [3, 8, 9].
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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© 2019 médecine/sciences – Inserm
Liste des figures
Figure 1. Représentation schématique des effets de miR126 et GSK3 dans les cellules souches leucémiques et leur microenvironnement. miR126 peut être aussi bien généré intrinsèquement par les cellules souches leucémiques (CSL) qu’apporté par transport vésiculaire à partir de cellules endothéliales environnantes. Le miR126 inhibe l’expression de Sin1, CDK3, et SPRED1, ce qui aboutit au maintien de la quiescence des CSL, et permet un rétrocontrôle positif sur l’expression et la maturation de miR126. De plus, GSK3, constitutivement activé dans les CSL, promeut, en partenariat avec les translocations chromosomiques impliquant le gène MLL, le maintien de l’état «cellule souche» par la formation de complexes HOX-MEIS1-CREB. En rouge sont indiqués les inhibiteurs de miR126 et de GSK3, capables d’induire une sortie de quiescence des CSL (CpG miR126, NP-inhibiteur miR126 et GS87). N: noyau; C: cytoplasme; MLL*: protéine de fusion MLL; NP: nanoparticule; FT: facteur de transcription. |
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