Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 35, Number 8-9, Août–Septembre 2019
Page(s) 697 - 698
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2019137
Published online 18 September 2019

Vignette (Photo © OMS).

L’enquête réalisée en 2015 par l’anthropologue Heidi Larson (School of Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni), avec un questionnaire téléphonique et menée dans 67 pays, a frappé les esprits. La France, fille ainée de Pasteur, où les mouvements antivaccination n’ont jamais connu l’ampleur des pays anglo-saxons, se détache en noir sur la carte de l’Europe : un français sur deux déclarerait mettre en doute la sécurité des vaccins. Peut-on dire pour autant que la France bascule dans le camp de l’opposition aux vaccins ?

Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud ont remonté le temps pour inventorier la résistance à la vaccination [1]. C’est un phénomène très ancien, on peut même dire contemporain de la découverte de la vaccine par Edward Jenner (1749-1823), dans le Gloucestershire, à la fin du xviiie siècle. Si la vaccine a immédiatement enthousiasmé les chefs d’état et sauvé de nombreuses vies humaines, elle a suscité d’emblée (comme l’inoculation de la variole avant elle) des débats passionnés sur ses dangers et surtout ses échecs, la nécessité d’une revaccination mettant longtemps à s’imposer.

Mais c’est surtout l’obligation qui a hérissé une partie des populations. Quand les États sanctionnent les manquements à l’obligation, au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les mouvements antivaccinaux s’organisent et même s’unissent dans une Ligue internationale contre les vaccinations en 1880. L’Angleterre, confrontée à une résistance qui culmine avec les émeutes de Leicester en 1885, finit par lâcher l’obligation. À la veille de la Première Guerre mondiale, le généralissime Horatio Herbert Kitchener (1850-1916) rappelle fièrement que le soldat britannique est « libre de son corps » (sic) ! Chassé croisé : en 1902, après de longs débats, la France vote la grande loi de santé contenant l’obligation de la vaccine, quand l’Angleterre fait définitivement machine arrière.

Les auteurs ont compilé une énorme littérature pour dresser un tableau vivant de la résistance, qu’elle émane de plumitifs ou du populaire, comme ce groupe de femmes armées de battes de base-ball, de presse-purées et de couteaux de cuisine, qui manifeste à Milwaukee en 1894.

L’argumentaire des Antivax associe plusieurs thèmes dont beaucoup sont loin d’être passés de mode : la crainte des effets secondaires, la préférence donnée à l’opération de la nature quand la maladie procure l’immunité et, finalement, la mise en accusation des médecins qui se remplissent les poches (aujourd’hui elle vise plutôt les big pharma).

Avec la question récurrente des mécanismes par lesquels la vaccination déjoue la survenue ultérieure d’une maladie, on touche au cœur de la science : la vaccination est-elle oui ou non efficace, et quels sont ses dangers, au-delà d’incidents banaux comme une fébricule1 ou des douleurs locales ?

Il ne suffit pas de dire qu’on ignorait au début du siècle « les lois de l’immunologie ». Certes, l’immunologie comme discipline scientifique ne s’est développée qu’après la bactériologie des années 1880. Mais le véritable problème demeure. Les lois décrivant les réactions entre les antigènes microbiens et les cellules du système immunitaire chargé de défendre l’intégrité de notre corps, ne permettent toujours pas de prédire les variations individuelles du ballet des cellules2, à l’arrivée d’un nouveau vaccin. Or, depuis la décision par le ministère de la Santé d’adopter « onze vaccins obligatoires » en 2018, beaucoup de parents frémissent à l’idée de onze vaccins dans une seule seringue plantée dans le corps frêle de leur chérubin. En fait, il n’y a pas de tel vaccin et les onze qui étaient déjà plus ou moins en place sont échelonnés sur les deux premières années. Finalement, l’époque moderne nous ramène à des questions fondamentales formulées il y a deux siècles : est-il légitime d’intervenir, quels que soient les risques, sur un individu sain dont on ignore les chances de contamination ? Cela dit, la question du risque individuel se pose désormais différemment lorsque le péril mortel s’estompe (diphtérie, polio…) ou est oublié (rougeole). Il peut enfin paraître choquant de faire intervenir des considérations économiques (comme diminuer l’absentéisme professionnel, en particulier des infirmières ou des mères requises au chevet des enfants).

Tour de force de récapitulation des mouvements de résistance, l’ouvrage est riche en leçons. Pour finir, les Français n’apparaissent pas si résistants que cela ; au fond, leur réaction est plutôt celle d’un amour déçu et traduit la nostalgie de l’image pastorienne de vaccins efficaces à 100 %, sans danger et gratuits. Leur « hésitation » exprime une interrogation sur les vaccins, qui fait la preuve d’un esprit curieux et critique en quête d’information et ne signifie pas nécessairement une opposition à « la vaccination ».

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Fièvre légère.

2

Expression du biologiste Lewis Thomas.

Références

  1. Salvadori F, Vignaud LH. Antivax, la résistance aux vaccins du xviii e siècle à nos jours. Paris: Vendémiaire, 2019: 352 p [Google Scholar]

© 2019 médecine/sciences – Inserm

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