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Med Sci (Paris)
Volume 34, Number 12, Décembre 2018
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Page(s) | 1038 - 1041 | |
Section | Le Magazine | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2018288 | |
Published online | 09 January 2019 |
Le purpura fulminans méningococcique, une énigme partiellement résolue
Meningococcus purpura fulminans, a partially solved mystery
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Institut Necker Enfants Malades, Université Paris Descartes, Inserm U1151, CNRS UMR 8253, 14, rue M.H. Vieira Da Silva, CS61431, 75993 Paris, France
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Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Hôpital Universitaire Necker Enfants Malades, Service de Microbiologie clinique, Paris, France
Neisseria meningitidis, plus communément appelé méningocoque, est une bactérie de la flore normale du nasopharynx, totalement inféodée à l’être humain (elle ne colonise que l’homme et ne survit pas dans l’environnement extérieur). Cet hôte intime fait très rarement parler de lui. Cependant, dans de très rares cas, le méningocoque traverse l’épithélium du pharynx et se retrouve dans la circulation sanguine. Comme d’autres pathogènes extracellulaires cette bactérie possède une capsule polysacccharidique et exprime plusieurs facteurs de virulence qui la protègent de l’action bactéricide du complément et qui limitent sa phagocytose.
Une caractéristique fondamentale le distingue cependant des autres bactéries : il est capable d’adhérer aux cellules endothéliales, de s’y développer sous forme de microcolonies, et ce y compris en dépit des forces de cisaillement générées par le flux sanguin à la surface des cellules. La bactérie est ainsi capable de littéralement coloniser l’endothélium [1, 2]. Ce sont les pili de type IV, fibre protéique bactérienne, qui permettent son adhérence aux cellules endothéliales et sont à l’origine de signaux intracellulaires. Notre équipe a montré que l’adhérence aux cellules endothéliales des microvaisseaux cérébraux et l’activation par les pili du récepteur bêta-2 adrénergique induisait la délocalisation des protéines de jonction serrées et le franchissement de la barrière hémato-encéphalique (BHE) [3-5] (→).
(→) Voir la Nouvelle de M. Coureuil. et X. Nassif, m/s, n° 1, janvier 2010, page 15
Ces résultats expliquent ainsi la faculté étonnante du méningocoque à traverser la BHE, avec pour conséquence l’apparition d’une méningite chez environ 60 % des patients infectés.
La complication la plus redoutable de l’infection est le développement d’un syndrome de purpura fulminans (PF). Il associe un choc septique très sévère à des nécroses cutanées extensives, touchant notamment les membres, et qui nécessitent souvent d’avoir recours à une chirurgie « délabrante » allant jusqu’à l’amputation. D’autres organes, comme les glandes surrénales, peuvent être également affectées. Les nécroses sont la conséquence de thromboses massives de la microcirculation. Environ 25 % des patients développent un PF et une grande majorité de ceux qui ne développent pas de PF présente un purpura cutané a minima, ce qui révèle le caractère pro-thrombotique exceptionnel de l’infection [6].
La physiopathologie du PF et la raison pour laquelle ce syndrome est essentiellement lié aux infections invasives à méningocoque sont longtemps restées un mystère jusqu’à ce qu’un modèle de souris humanisées (des souris SCID [severe-combined immunodeficiency] greffées avec de la peau humaine) permette d’étudier in vivo l’interaction du méningocoque avec l’endothélium humain. Dans ce modèle, seule l’infection par une souche exprimant des pili de type IV et capable d’adhérer à l’endothélium entraîne le développement de thromboses de la microcirculation [7], révélant un lien direct entre colonisation des cellules endothéliales par la bactérie et développement d’un purpura fulminans. Mais quel est le rôle de la cellule endothéliale dans ce processus ?
La cascade de coagulation, initiée notamment par la reconnaissance du lipopolysaccharide (LPS) bactérien par les monocytes, conduit à la génération exponentielle de thrombine, l’enzyme clé de l’hémostase qui clive le fibrinogène en fibrine pour former le thrombus. Cette génération de thrombine doit être contrôlée pour éviter toute coagulation intravasculaire qui serait délétère. C’est l’endothélium qui joue ce rôle de contrôle, grâce à deux récepteurs exprimés par les cellules endothéliales : la thrombomoduline (TM) et l’endothelial protein C receptor (EPCR). Lorsqu’elle se fixe sur la TM, la thrombine devient capable de cliver et d’activer la protéine C (PC) qui est liée à l’EPCR. La PC est une pro-enzyme circulante secrétée par le foie qui, lorsqu’elle est activée, clive les facteurs V et VIII de la cascade de coagulation, limitant ainsi la génération de thrombine. La cellule endothéliale, au travers de la TM et de l’EPCR, assure donc, via l’activation de la PC, un rétrocontrôle négatif de la cascade exponentielle de la coagulation (Figure 1). Il est facile d’illustrer le rôle fondamental de ce système anticoagulant : tout déficit sévère constitutionnel ou acquis en PC est associé au développement d’un purpura fulminans comparable à celui qui se développe lors de l’infection méningococcique [8].
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Figure 1. Schéma simplifié de la cascade de la coagulation et de son rétrocontrôle négatif par la cellule endothéliale au travers du système de la protéine C (figure adaptée de [6]). EPCR : endothelial protein C receptor ; PC : protéine C ; PCa : PC activée ; TM : thrombomoduline. |
Nous avons émis l’hypothèse que l’adhérence du méningocoque aux cellules endothéliales, une étape nécessaire au développement de thrombose dans le modèle animal, était à l’origine d’un défaut du système anticoagulant de la PC, dont l’activation dépend des deux récepteurs endothéliaux, TM et EPCR.
L’infection de cellules endothéliales primaires par une souche piliée et adhérente de méningocoque n’entraîne pas de modification de l’expression de la TM. En revanche, cette infection induit une diminution très rapide et très intense de l’expression de l’EPCR à la membrane des cellules : après 4 heures d’infection, près de la moitié des cellules endothéliales n’expriment plus l’EPCR membranaire, et son expression globale au niveau de la monocouche cellulaire est diminuée de 80 % (Figure 2A).
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Figure 2. Infection par le méningocoque. Des cellules endothéliales primaires de microvaisseaux de derme ont été infectées par une souche de méningocoque pendant 4 heures. A. L’expression de l’EPCR (endothelial protein C receptor) membranaire par les cellules a été analysée en cytométrie en flux avec un anticorps spécifique couplé à la phycoérythrine (EPCR-PE). L’histogramme vert correspond aux cellules non infectées et le rouge aux cellules infectées. Le signal du contrôle isotype est en gris. B. Analyse par immunofluorescence : l’EPCR est visualisé en vert et la VE-cadhérine, protéine des jonctions intercellulaires, en rose. L’ADN cellulaire et bactérien est en cyan. Les microcolonies bactériennes apparaissent sous la forme d’agrégats de coques. Seule la cellule centrale, non infectée (absence de marquage de l’ADN bactérien au pôle apical) exprime l’EPCR. Échelle : 50 µm (figure adaptée de [10]). |
Comme indiqué précédemment, une spécificité du méningocoque est sa capacité d’adhérence aux cellules endothéliales par l’intermédiaire des pili de type IV. Ceux-ci permettent l’adhérence proprement dite de la bactérie, mais ils sont également capables d’initier une réponse cellulaire. Afin de vérifier si la disparition de l’EPCR que l’on observe lors de l’infection était spécifiquement liée à l’adhérence du méningocoque aux cellules, une souche mutante de la bactérie n’exprimant pas de pili et donc incapable d’adhérer aux cellules endothéliales a été utilisée. Dans ce cas, l’expression de l’EPCR par les cellules endothéliales infectées par cette souche mutante est parfaitement conservée. Des expériences d’immunofluorescence ont par ailleurs permis de démontrer définitivement que la disparition de l’EPCR membranaire est spécifiquement liée à l’adhérence de la bactérie (Figure 2B). La disparition de l’EPCR à la membrane est très rapide (observée dès la deuxième heure post-infection) et s’accompagne d’une diminution globale de l’expression de la protéine (estimée par western-blot). Nous avons donc émis l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’une régulation transcriptionnelle ou d’une internalisation du récepteur, mais plutôt d’un clivage protéolytique à la surface de la cellule. L’EPCR est en effet la cible d’une protéase membranaire, ADAM-17 (a disintegrin and metalloprotease 17), qui, après activation, clive des protéines de la membrane via un processus appelé shedding1 [9] (→).
(→) Voir la Synthèse de F. Peiretti et al., m/s n° 1, janvier 2009, page 45
Cette hypothèse s’est vérifiée par l’abondance des formes solubles d’EPCR observées dans le surnageant des cellules infectées, en comparaison de cellules contrôles. Pourtant ni un petit ARN interférant (siRNA) dirigé contre ADAM-17 ni l’invalidation complète (knock-out) de l’expression du gène par la technique Crispr/Cas9 ne permettent d’inhiber le processus de shedding de l’EPCR induit par l’infection méningococcique. En réalité, nous avons pu montrer pour la première fois que l’EPCR est également la cible d’une autre protéase membranaire, ADAM-10. L’activité protéolytique d’ADAM-10 est induite par l’adhérence, via ses pili, du méningocoque aux cellules endothéliales. Au final, la perte de l’EPCR ainsi induite a une conséquence pathologique puisqu’elle diminue la génération par l’endothélium de la PC activée (PCa), l’anticoagulant majeur permettant de lutter contre le développement d’un PF.
Ce travail met en lumière pour la première fois une dérégulation importante de l’hémostase spécifique induite par le méningocoque [10]. Il révèle un défaut d’activation de la PC dans l’infection méningococcique, suggérant que les malades souffrant de purpura fulminans pourraient bénéficier d’une thérapeutique supplétive en PCa. Cette molécule a été disponible pendant près de 10 ans en réanimation avant d’être abandonnée en raison de son inefficacité pour réduire la mortalité par choc septique. Mais elle n’a jamais été évaluée spécifiquement dans la prévention des complications thrombotiques d’une infection méningococcique. Notre travail identifie également ADAM-10 comme une nouvelle cible thérapeutique potentielle dans cette infection : son inhibition précoce permettrait de limiter le développement des thromboses et les conséquences souvent dramatiques du purpura fulminans.
Nous avons également pu mettre en évidence une autre conséquence de la perte de l’expression de l’EPCR par les cellules endothéliales. Fixée à l’EPCR, la PCa peut en effet cliver le récepteur PAR-1 (protease-activated receptor-1), initiant une réponse endothéliale anti-inflammatoire, anti-apoptotique et conduisant à une diminution de la perméabilité de l’endothélium [11]. En plus de son rôle important d’anticoagulant, la PCa possède donc de multiples effets protecteurs qui dépendent de la présence de l’EPCR. Pour étudier la perméabilité de l’endothélium, nous avons utilisé un système de mesure continue de l’impédance, c’est-à-dire de la résistance de la monocouche cellulaire au passage des électrons d’un courant électrique (système iCELLigence). Sous l’effet de certains agents physiologiques ou pharmacologiques, les jonctions intercellulaires s’ouvrent et l’impédance chute, mais ce phénomène peut être limité grâce à la PCa. Avec ce système de mesure, nous avons montré que l’infection méningococcique supprime cette action protectrice de la PCa vis-à-vis de la perméabilité endothéliale. La perte de l’EPCR induite par le méningocoque est donc doublement délétère : elle diminue l’activation de la protéine C, limitant le rétro-contrôle négatif de la coagulation, et elle empêche l’action protectrice résiduelle du peu de PCa généré, en supprimant le récepteur indispensable à son action sur la cellule endothéliale.
Si la physiopathologie du PF méningococcique est complexe et certainement multifactorielle, il est très probable que l’atteinte de la voie anticoagulante de la protéine C que nous avons décrite joue un rôle important dans la formation des thromboses. Ce travail ouvre ainsi de nouvelles voies de recherche pour l’élaboration de thérapeutiques innovantes pour ce syndrome qui est encore aujourd’hui associé à une mortalité élevée et à des séquelles importantes chez les survivants.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
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Figure 1. Schéma simplifié de la cascade de la coagulation et de son rétrocontrôle négatif par la cellule endothéliale au travers du système de la protéine C (figure adaptée de [6]). EPCR : endothelial protein C receptor ; PC : protéine C ; PCa : PC activée ; TM : thrombomoduline. |
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Figure 2. Infection par le méningocoque. Des cellules endothéliales primaires de microvaisseaux de derme ont été infectées par une souche de méningocoque pendant 4 heures. A. L’expression de l’EPCR (endothelial protein C receptor) membranaire par les cellules a été analysée en cytométrie en flux avec un anticorps spécifique couplé à la phycoérythrine (EPCR-PE). L’histogramme vert correspond aux cellules non infectées et le rouge aux cellules infectées. Le signal du contrôle isotype est en gris. B. Analyse par immunofluorescence : l’EPCR est visualisé en vert et la VE-cadhérine, protéine des jonctions intercellulaires, en rose. L’ADN cellulaire et bactérien est en cyan. Les microcolonies bactériennes apparaissent sous la forme d’agrégats de coques. Seule la cellule centrale, non infectée (absence de marquage de l’ADN bactérien au pôle apical) exprime l’EPCR. Échelle : 50 µm (figure adaptée de [10]). |
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