Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 31, Number 10, Octobre 2015
Page(s) 821 - 823
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20153110002
Published online 19 October 2015

Chez les eucaryotes, la réplication de l’ADN est bidirectionnelle. Malgré la capacité des enzymes à répliquer l’ADN avec une grande fidélité et l’existence de mécanismes de réparation, des mutations peuvent être générées au cours de cette réplication. La progression de la fourche de réplication est réalisée dans la même direction que le brin d’ADN précoce, ce qui permet la synthèse de ce dernier de façon continue. En revanche, la synthèse du brin tardif se fait dans la direction opposée, imposant une synthèse discontinue en une série de fragments appelés fragments d’Okazaki [1]. Lors de la synthèse discontinue, le complexe ADN polymérase α (Pol-α)-primase synthétise une amorce d’ARN (grâce à la primase) et d’ADN (grâce à la Pol-α) pour chaque fragment. L’ADN polymérase δ (Pol-δ) est alors responsable de l’élongation de l’ADN jusqu’à la nouvelle amorce ARN, et du remplacement des amorces par de l’ADN [2]. Enfin, des ligases assurent les liaisons entre les fragments d’Okazaki adjacents.

Les fragments d’Okazaki interrompus par des protéines liées à l’ADN ?

Les histones, protéines liées à l’ADN au niveau des nucléosomes (Figure 1) [13], doivent être dissociées de l’ADN pour que la réplication puisse avoir lieu. Afin de dupliquer à la fois l’information génétique et l’information épigénétique (codée notamment par les modifications chimiques des histones), il est nécessaire que les histones soient redéposées rapidement à leur emplacement précis avec les modifications adéquates après le passage de la fourche de réplication. Smith et Whitehouse [3] ont récemment montré que les jonctions de fragments d’Okazaki se trouvent en majorité près du milieu des nucléosomes (appelé la dyade), plutôt que dans les régions internucléosomales. Ceci peut s’expliquer par la présence, dans ces régions internucléosomales, de barrières de protéines qui sont liées à l’ADN (comme les facteurs de transcription) et qui interrompent le traitement des fragments d’Okazaki réalisé par Pol-δ (Figure 2).

thumbnail Figure 1.

Structure des nucléosomes. Le nucléosome est l’unité fondamentale de la chromatine. Il est composé d’une particule cœur et d’une région internucléosomale (ou région de liaison) qui relie les particules cœurs adjacentes. L’ADN s’enroule autour d’un octamère d’histones et forme ainsi les particules cœurs. Le centre du nucléosome est appelé la dyade.

thumbnail Figure 2.

Des segments d’ADN synthétisés par Pol-α sont retenus à l’extrémité 5’ des fragments d’Okazaki après la réplication du brin tardif près des sites de liaison de protéines. Lors de la réplication du brin précoce, Pol-ε synthétise le nouveau brin d’ADN de manière continue. Lors de la réplication du brin tardif, le complexe Pol-α-primase démarre la synthèse des fragments d’Okazaki en synthétisant une amorce d’ARN (primase) puis une amorce d’ADN (Pol-α) (séquence en bleu). Pol-α étant dépourvue d’activité de relecture, son taux d’erreurs intrinsèque est élevé. Pol-δ synthétise ensuite le reste du fragment d’ADN et, lorsqu’elle rencontre le fragment d’Okazaki suivant, elle enlève l’amorce ARN-ADN synthétisée par le complexe Pol-α-primase et la remplace par de l’ADN synthétisé bien plus fidèlement par elle-même (séquence verte). Cependant, si des protéines, telles que les histones qui forment les nucléosomes, ou les facteurs de transcription, sont liées à l’ADN à l’extrémité 5’ du fragment d’Okazaki, le processus est interrompu et l’ADN synthétisé par Pol-α reste dans le génome après la réplication, causant alors une augmentation des taux de substitution à ces sites.

Les taux de substitution de nucléotides augmentent avec la fréquence des jonctions de fragments d’Okazaki et des sites de liaison de protéines

Dans une étude récente [4], nous avons utilisé les emplacements des jonctions de fragments d’Okazaki de Smith et Whitehouse [3], et nous avons établi que chez la levure, les taux de mutations par substitution nucléotidique et le nombre de jonctions de fragments d’Okazaki étaient fortement corrélés. Cette corrélation, observée à la fois à l’emplacement des nucléosomes et à celui des facteurs de transcription, n’est pas due à la composition nucléotidique. La synthèse et le traitement des fragments d’Okazaki sont directionnels. Aussi, si l’un de ces processus est responsable de la corrélation observée, lorsque les séquences sont orientées selon le sens de la synthèse, les taux de substitutions devraient être asymétriques par rapport à la dyade des nucléosomes, ou par rapport au site de liaison des facteurs de transcription. C’est en effet ce que nous avons observé, avec une augmentation des taux de substitution en position 5’ des fragments d’Okazaki.

Chez l’homme, les taux de substitution augmentent également au centre des nucléosomes, avec une distribution identique à celle que l’on observe chez la levure. Chez les deux espèces, nous avons également détecté une augmentation des taux de substitutions nucléotidiques à côté de sites de liaison pour de nombreux facteurs de transcription.

Nous avons étendu notre analyse à un large éventail de régions auxquelles les protéines régulatrices se lient. Ces régions ont été identifiées par la présence d’empreintes à la DNase I afin de déterminer si la même signature mutationnelle était présente. Chez les humains comme chez la levure, en alignant les régions contenant des empreintes à la DNase I, nous avons pu observer une augmentation considérable des taux de substitution de nucléotides en amont de l’empreinte. Cette augmentation était liée à la position plutôt qu’au contenu de la séquence. Cette signature mutationnelle n’est donc pas due à la rétention de séquences mutagènes au niveau de ces sites. Ce phénomène d’augmentation du taux de substitution est répandu dans le génome au niveau des sites de liaison de protéines, à la fois chez la levure et les humains.

Des segments d’ADN synthétisés par Pol-α seraient retenus dans le génome après la réplication

Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle cette augmentation des taux de substitution en position 5’ des fragments d’Okazaki provenait de la rétention d’ADN synthétisé par Pol-α (Figure 2). Quand le fragment d’Okazaki précédemment synthétisé est rencontré, il est traité par l’action coordonnée des nucléases FEN1 (flap endonuclease 1) et DNA2 [5, 6] avec la synthèse continue d’ADN par Pol-δ, avant la liaison finale des fragments d’ADN adjacents. Au cours de ce processus, il était généralement admis que la majeure partie, sinon la totalité, de l’amorce d’ADN synthétisée par Pol-α [7] était éliminée en même temps que l’amorce d’ARN, et remplacée par de l’ADN synthétisé par Pol-δ [8]. Ceci était une hypothèse intéressante car, contrairement aux autres polymérases de réplication, Pol-α ne présente pas d’activité de relecture 3’ à 5’, ce qui limite sa fidélité intrinsèque [9]. Cependant, des études réalisées chez la levure, utilisant un modèle de mutants de la polymérase à fidélité réduite, ont montré que l’ADN synthétisé par Pol-α contribue au génome entier [8]. Pol-α étant particulièrement susceptible d’engendrer des erreurs, la rétention de l’ADN synthétisé par celle-ci, à l’extrémité 5’ des fragments d’Okazaki, fournirait une explication simple pour comprendre l’augmentation des taux de mutation que nous avons observée. Puisqu’il a été montré que les barrières formées par les protéines influençaient le traitement des fragments d’Okazaki [3], nous proposons que l’ADN synthétisé par Pol-α est préférentiellement retenu au niveau des sites où les protéines se lient peu après la synthèse initiale d’ADN des fragments d’Okazaki.

L’incorporation de ribonucléotides pour suivre les polymérases de réplication

Pour déterminer le site de rétention de l’ADN synthétisé par Pol-α in vivo, nous avons utilisé la technique d’incorporation de ribonucléotides dans l’ADN génomique, afin de suivre l’activité des différentes polymérases ADN. Dans une levure à bourgeon dépourvue de RNase-H2, enzyme qui débute normalement le processus d’excision des ribonucléotides, nous avons étudié la contribution des différentes polymérases (Pol-α, Pol-δ et Pol-ε) en utilisant des enzymes mutantes qui intègrent les ribonucléotides à des taux plus élevés que leurs homologues de type sauvage. Nous avons développé une approche de séquençage de nouvelle génération, que nous avons appelée emRiboSeq (pour séquençage des ribonucléotides intégrés) [4]. Cette méthode détermine la distribution des ribonucléotides intégrés, pour chaque orientation de brin, dans tout le génome. Elle utilise un traitement de l’ADN génomique avec une RNase H2 recombinante qui génère des entailles aux extrémités 5’ des ribonucléotides intégrés, et la liaison d’un adaptateur de séquençage au groupe 3’-hydroxyle du désoxynucléotide situé immédiatement en amont du ribonucléotide. Le séquençage de semi-conducteur, qui mesure en temps réel l’émission de protons dégagés lors de la polymérisation de l’ADN, permet de cartographier les sites d’incorporation des ribonucléotides. EmRiboSeq a un grand potentiel pour l’étude in vivo du rôle des polymérases ADN dans la réplication et les mécanismes de réparation. Cette méthode pourra également être utile pour définir les origines de réplication et les sites de terminaison. Trois études [10-12] ont développé des méthodes similaires pour déterminer la répartition des ribonucléotides intégrés sur l’ensemble du génome, démontrant l’utilité des ribonucléotides en tant que marqueurs des enzymes de la réplication, dans la levure à bourgeon.

Pol-α synthétise 1,5% du génome de la levure

En utilisant notre méthode de séquençage, emRiboSeq, nous avons observé, avec une Pol-α mutante, une rétention accrue de ribonucléotides sur le brin tardif de l’ADN de la levure, démontrant que l’ADN synthétisé par Pol-α est retenu dans le génome après la réplication [4].

De façon à quantifier la contribution de l’ADN synthétisé par Pol-α dans le génome, nous avons utilisé des mesures de densitométrie de gels alcalins pour mesurer les taux d’incorporation de ribonucléotides. Nous avons ainsi estimé la contribution relative de Pol-α au génome à environ 1,5%.

Il apparaît donc que (1) les segments d’ADN Pol-α peuvent être identifiés dans tout le génome, et (2) le traitement par Pol-δ des fragments d’Okazaki est modifié par des protéines liées à l’ADN. Nous proposons donc que la rétention de l’ADN Pol-α est accrue au niveau des sites de liaison des protéines dans les fragments d’Okazaki, et qu’elle est responsable de l’augmentation du taux de mutation. Les processus de fidélité de la réplication, y compris la réparation efficace des défauts d’appariement à l’extrémité 5’ des fragments d’Okazaki, permettent d’atténuer les erreurs de réplication de Pol-α. Au final, l’ADN synthétisé par Pol-α ne forme qu’une petite fraction du génome, la majorité de l’ADN étant encore synthétisé par Pol-δ et Pol-ε. Cependant, à l’échelle du temps évolutif, il semble que ces processus soient insuffisants pour compenser intégralement le manque d’activité de relecture de Pol-α.

Quelles sont les conséquences de ces taux de mutation élevés ?

Essentielle pour le reconditionnement rapide du génome après la réplication, la formation des nucléosomes a un rôle clé pour assurer sa stabilité. Cependant, nous montrons que cela est réalisé au prix d’une augmentation des mutations au niveau de certains sites, détectable sur une échelle de temps évolutif. La mutagenèse associée aux fragments d’Okazaki pourrait avoir une importance en génétique humaine, car elle augmente les taux de mutation au niveau des sites fixant les facteurs de transcription et ceux impliqués dans la liaison des protéines régulatrices. Cette mutagenèse accrue a sans doute été obscurcie par une forte sélection purificatrice nécessaire au maintien de la fonction de ces sites. L’augmentation des mutations suggère cependant que ces sites pourraient être des points chauds évolutifs. Elle pourrait aussi permettre d’expliquer le renouvellement évolutif rapide des sites de fixation des facteurs de transcription et la difficulté de prédire, en se basant sur la conservation des séquences entre les espèces, les sites fonctionnels non codants.

Ces expériences démontrent que l’ADN synthétisé par Pol-α contribue au génome eucaryote, et augmente probablement les mutations au niveau des sites régulateurs.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Structure des nucléosomes. Le nucléosome est l’unité fondamentale de la chromatine. Il est composé d’une particule cœur et d’une région internucléosomale (ou région de liaison) qui relie les particules cœurs adjacentes. L’ADN s’enroule autour d’un octamère d’histones et forme ainsi les particules cœurs. Le centre du nucléosome est appelé la dyade.

Dans le texte
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Des segments d’ADN synthétisés par Pol-α sont retenus à l’extrémité 5’ des fragments d’Okazaki après la réplication du brin tardif près des sites de liaison de protéines. Lors de la réplication du brin précoce, Pol-ε synthétise le nouveau brin d’ADN de manière continue. Lors de la réplication du brin tardif, le complexe Pol-α-primase démarre la synthèse des fragments d’Okazaki en synthétisant une amorce d’ARN (primase) puis une amorce d’ADN (Pol-α) (séquence en bleu). Pol-α étant dépourvue d’activité de relecture, son taux d’erreurs intrinsèque est élevé. Pol-δ synthétise ensuite le reste du fragment d’ADN et, lorsqu’elle rencontre le fragment d’Okazaki suivant, elle enlève l’amorce ARN-ADN synthétisée par le complexe Pol-α-primase et la remplace par de l’ADN synthétisé bien plus fidèlement par elle-même (séquence verte). Cependant, si des protéines, telles que les histones qui forment les nucléosomes, ou les facteurs de transcription, sont liées à l’ADN à l’extrémité 5’ du fragment d’Okazaki, le processus est interrompu et l’ADN synthétisé par Pol-α reste dans le génome après la réplication, causant alors une augmentation des taux de substitution à ces sites.

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