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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 30, Number 6-7, Juin–Juillet 2014
Page(s) 608 - 610
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20143006003
Published online 11 July 2014

Accidents vasculaires cérébraux : des progrès dans la prise en charge mais peu de solutions thérapeutiques

L’accident vasculaire cérébral (AVC) est une cause majeure de morbi-mortalité dans le monde : 15 millions de personnes souffrent d’AVC chaque année, cinq millions en meurent et cinq millions en gardent des séquelles handicapantes. Dans les pays civilisés, malgré une nette amélioration de la santé générale de la population, observée aussi bien chez les hommes que les femmes, ayant permis de réduire de 35,8 % le taux relatif de mortalité suite à un accident vasculaire cérébral et de 22,8 % le nombre total de morts, environ 795 000 personnes souffrent d’un AVC ischémique (occlusion d’une artère cérébrale) ou hémorragique chaque année aux États-Unis, soit un AVC toutes les 40 secondes et un mort toutes les 4 minutes [1]. Chez 610 000 de ces patients, il s’agit d’un premier événement, mais chez 185 000 d’un événement récurrent. Toujours aux États-Unis, l’AVC est la 4e cause de mortalité, responsable d’un décès sur 19 en 2013 [1].

Malgré (1) des progrès considérables dans le contrôle des facteurs de risque vasculaire (hypertension artérielle principalement mais aussi diabète, taux élevé de cholestérol et tabac [2]) et la prise en charge des patients, et (2) les efforts pour développer de nouveaux agents pharmacologiques pour le traitement de l’AVC ischémique, la seule thérapeutique actuelle est la thrombolyse par voie intraveineuse [22, 23]. Son efficacité est démontrée depuis 1976, date des premiers essais de l’urokinase [3]. Le premier essai randomisé positif de thrombolyse utilisant l’activateur tissulaire du plasminogène (tissue plasminogen activator recombinant, rtPA) a été publié en 1995 ; l’analyse des résultats montrait une augmentation de 12 % en valeur absolue (32 % en valeur relative) du nombre de patients n’ayant que peu ou pas de séquelles neurologiques dans le groupe rtPA par rapport au groupe ayant reçu un placebo [4, 5]. Depuis 2006, le rtPA est toujours la seule molécule approuvée par la food and drug administration (FDA) pour le traitement de l’AVC ischémique. Idéalement, il doit être administré dans les trois heures suivant l’apparition des symptômes, avec une extension possible jusqu’à quatre heures et demie [6, 7]. Cependant, l’accès au rtPA est limité par de nombreuses contre-indications – peu de patients peuvent en bénéficier –, et par le risque de complications hémorragiques [8].

En dépit d’essais cliniques encourageants, les dernières études ne montrent pas de bénéfices à administrer de manière concomittante plusieurs agents anti-thrombotiques, ni à coupler la thrombolyse à une procédure de reperfusion mécanique [9]. En effet, malgré l’accord exceptionnel de la FDA pour l’utilisation de dispositifs de thrombectomie, il n’existe pas à l’heure actuelle suffisamment d’arguments pour modifier les recommendations officielles, ce qui nécessiterait des résultats positifs dans deux essais cliniques randomisés. De nouvelles stratégies de prévention et de traitement sont donc essentielles [5].

L’effet protecteur de l’angiopoïétine-like 4 sur l’intégrité vasculaire lors de la reperfusion

Au cours de l’AVC, l’occlusion d’une artère cérébrale conduit, via la réduction du flux artériel qui en résulte, à l’ischémie du territoire cérébral vascularisé par cette artère et à la nécrose de ce territoire si la reperfusion vasculaire (et donc le flux) n’est pas rapidement restaurée. Si l’ischémie cérébrale conduit à la rupture de la barrière hémato-encéphalique (BHE), la reperfusion brutale entraîne elle aussi des lésions (dites lésions d’ischémie-reperfusion) dont l’une des conséquences est la perte d’intégrité de cette BHE. L’altération de la BHE favorise l’infiltration de cellules pro-inflammatoires délétères, l’afflux d’espèces réactives de l’oxygène et la survenue d’un oedème cérébral et de complications hémorragiques cérébrales secondaires, causes majeures de morbi-mortalité. La préservation de la BHE est donc un enjeu médical important qui doit inciter au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Dans ce contexte, nous avons récemment montré que l’angiopoïétine-like 4 (ANGPTL4) module la perméabilité endothéliale après ischémie-reperfusion myocardique ou cérébrale [10, 11] et représente donc une nouvelle cible thérapeutique pour le traitement de l’AVC. L’ANGPTL4 appartient à la superfamille des angiopoïétines et son récepteur est à ce jour toujours inconnu. Son expression est induite par l’hypoxie lors des accidents vasculaires ichémiques [10, 11] et en pathologie tumorale [1214]. C’est une protéine de 55 kDa contenant un domaine coiled-coil amino-terminal (CCD) et un domaine fibrinogène-like (FLD) carboxy-terminal. ANGPTL4 interagit avec la matrice extracellulaire [15] et est protéolysée par des enzymes de type furine, ce qui génère deux fragments de 20 kDa et 35 kDa contenant le CCD et le FLD respectivement [16]. Son rôle dans la modulation de la perméabilité vasculaire semble dépendre du contexte [17, 18]. ANGPTL4 joue aussi un rôle important de régulation du métabolisme par inhibition de la lipoprotéine lipase ancrée à la surface des cellules endothéliales, selon un mécanisme lui aussi débattu [19, 20, 24] ().

(→) Voir la Nouvelle de C. Macé et L. Clément, page 605 de ce numéro

Mécanismes d’action de ANGPTL4

Chez la souris, dans un modèle d’ischémie transitoire (une heure) de l’artère cérébrale moyenne suivie de 24 heures de reperfusion, nous avons récemment montré un effet protecteur d’ANGPTL4. Le maintien de l’intégrité vasculaire, régulée par les protéines des jonctions serrées (Claudine-5) et adhérentes (VE-cadhérine), est en effet un enjeu majeur au cours des pathologies ischémiques car elle prévient la fuite vasculaire, l’oedème et les dommages tissulaires [21]. L’injection de la protéine recombinante ANGPTL4 à la phase aiguë de l’AVC inhibe l’atteinte de ces jonctions et diminue la formation d’oedème. Cette protection s’accompagne d’une diminution de la taille de l’infarctus cérébral et du déficit neurologique à 24 h [11].

Sur le plan mécanistique, ANGPTL4 agit comme un frein sur la signalisation de la kinase Src en aval du récepteur de type 2 du VEGF (vascular endothelial growth factor). Le VEGF est le facteur de croissance principal du réseau vasculaire, mais aussi un fort agent perméabilisant : il participe en effet à la désorganisation des jonctions endothéliales, via la cascade de signalisation Src kinase. Or, le VEGF est produit à la phase aiguë de l’AVC et induit la fuite vasculaire et ses conséquences néfastes. Nous montrons que le traitement par ANGPTL4 permet de séquestrer la kinase Src, d’inhiber la signalisation VEGFR2 et ainsi de prévenir la déstructuration des jonctions inter-endothéliales et la formation d’œdème [11].

Par ailleurs, la migration de cellules inflammatoires du compartiment sanguin vers le tissu ischémié, contrôlée par l’expression de molécules d’adhésion endothéliales telles que ICAM-1 (intercellular adhesion molecule-1) est aussi une étape fondamentale conduisant aux dommages tissulaires. Notre étude montre qu’ANGPTL4 réduit l’expression d’ICAM-1 dans la région lésée et inhibe ainsi l’afflux de cellules inflammatoires [11].

ANGPTL4 : quelle perspective pharmacologique ?

Ainsi, ANGPTL4 aurait un potentiel thérapeutique original au cours de l’AVC par protection de l’intégrité vasculaire au cours de la reperfusion. Cette étude a néanmoins des limites : (1) ces résultats ont été obtenus chez la souris saine, alors que l’AVC se produit essentiellement dans le contexte de différents facteurs de risque, et donc de pathologies et traitements complexes ; (2) la taille de l’infarctus cérébral et les déficits neurologiques n’ont été évalués qu’après 24h de reperfusion.

Néanmoins, ANGPTL4 constitue la première cible pharmacologique intervenant dans la protection de l’intégrité vasculaire lors de la reperfusion au cours de l’AVC. Rappelons que le coût total (direct et indirect) des maladies cardiovasculaires et de l’AVC aux États-Unis a été estimé à 315,4 milliards US$ pour l’année 2010. Ce chiffre comprend les dépenses de santé (coûts directs : médecins et autres professionnels, les services hospitaliers, les médicaments prescrits, les soins de santé à domicile) et la perte de productivité qui résulte de la mortalité prématurée (coûts indirects). Par comparaison, le coût estimé de tous les cancers et tumeurs bénignes était de 201,5 milliards US$ (77,4 milliards US$ en coûts directs, et 124 milliards US$ en coûts indirects) [1]. Ces chiffres soulignent que nous avons désespérément besoin de nouvelles thérapies pour combattre l’AVC, dont la prévalence pourrait augmenter à nouveau avec le vieillissement de la population.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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