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Med Sci (Paris)
Volume 30, Number 1, Janvier 2014
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Page(s) | 107 - 108 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20143001022 | |
Published online | 24 January 2014 |
L’invasion des tests non invasifs
Chroniques génomiques
An invasion of non-invasive diagnostic tests
CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
*
bertrand.jordan@univ-amu.fr,
brjordan@orange.fr
Abstract
Non-invasive prenatal testing is becoming commonplace, but, in addition, other tests using only a blood sample are being developed and will have a significant impact, notably in oncology.
© 2014 médecine/sciences – Inserm
Le jeu de mots du titre est un peu facile mais c’est bien à une invasion que l’on assiste, et elle n’est sans doute pas près de s’arrêter. J’ai déjà présenté ici les tests prénataux qui exploitent la présence dans le sang maternel d’un peu d’ADN fœtal pour proposer un « test de paternité prénatal et non invasif » [1] assez problématique sur le plan sociétal. Plus sérieusement, un test de trisomie 21 fondé sur une telle analyse est déjà largement pratiqué aux États-Unis, et commence à apparaître en France [2]. Les avantages évidents de cette approche - précocité, absence de tout risque pour le fœtus - lui ont assuré une adoption très rapide (plus de cent mille tests vendus dès l’année 2013) en dépit de son coût assez élevé (de 1000 à 3000 dollars américains selon les fournisseurs). Mais il apparaît aujourd’hui que le « non invasif » n’est pas réservé aux femmes enceintes, et qu’il pourrait jouer un grand rôle dans le diagnostic et le suivi des cancers.
Suivi des cancers : des CTC au « ctDNA »
Les cellules tumorales circulantes (CTC) [3] ont suscité de grands espoirs lorsque leur existence et la possibilité de les isoler ont été connues il y a une bonne dizaine d’années. Elles ont même - s’en souvient-on ? - été au centre d’un conflit d’intérêt impliquant l’entreprise Metagenix, entraînant en octobre 2007 la démission du directeur de l’Inserm de l’époque. Mais il s’est avéré que leur isolement restait très délicat et que leur faible quantité limitait les analyses possibles. La seule utilisation clinique qui ait reçu un début de preuve dans un essai clinique concerne l’emploi du nombre de CTC comme élément de pronostic dans le cancer du sein métastatique [4] - et encore, même dans ce cas, on ne compte que quelques CTC (moins de cinq) dans le prélèvement sanguin, et aucune chez 20 % des patientes. On peut d’ailleurs faire le parallèle avec le diagnostic prénatal non invasif, où l’on a d’abord parié sur les rares cellules fœtales trouvées dans le sang maternel, avant de constater que l’ADN plasmatique donnait des résultats bien plus fiables.
L’ADN tumoral retrouvé dans le sang des patients (circulating tumor DNA, ctDNA) semble aujourd’hui nettement plus prometteur. Son isolement est facile - on ne cherche pas, pas plus que pour le diagnostic prénatal, à le séparer de l’ADN plasmatique « normal ». Il provient de la nécrose ou de l’apoptose de cellules cancéreuses, dans la tumeur et dans ses éventuelles métastases, et l’on peut ainsi espérer qu’il soit assez représentatif de l’ensemble de ces cellules. En tout cas, sa quantité est liée à la charge tumorale. On peut alors envisager différentes utilisations, présentées dans une revue récente [5] : suivi d’aberrations chromosomiques spécifiques découvertes dans le cancer primaire, détection de mutations prédéfinies, et même séquençage de l’ADN tumoral. Cela reste assez acrobatique, vu la faible quantité d’ADN disponible et la contamination par l’ADN normal, et impose un séquençage à haute redondance pour détecter des espèces minoritaires dans le mélange. Néanmoins, pour le suivi de cancers avancés, où l’on a déjà les informations sur la tumeur primaire et où la charge tumorale (donc la quantité de ctDNA) est relativement élevée, cela peut répondre au besoin de plus en plus clair d’un suivi détaillé de l’évolution moléculaire de la tumeur - suivi que l’on peut difficilement envisager d’assurer par des biopsies répétées. N’oublions pas que le diagnostic prénatal non invasif, dont les avantages sont indéniables, va se développer en parallèle, et que les améliorations techniques qui ne manqueront pas d’apparaître seront également applicables à l’analyse du ctDNA. On peut donc prédire un grand avenir à cette approche que certains qualifient déjà de « biopsie liquide en temps réel » [6].
Sans oublier les protéines !
Un autre article paru dans le même numéro de Science Translational Medicine présente, lui, une utilisation inédite d’une approche protéomique pour répondre à un besoin clinique précis, le classement des nodules pulmonaires de petite taille [7]. C’est un très beau travail mené à la pointe de la technologie - on n’est pas étonné de retrouver parmi les signataires Leroy Hood et son Institute for Systems Biology (Seattle, États-Unis). Il s’agit d’éviter les explorations invasives inutiles à la suite de la découverte de tels nodules (diamètre inférieur à 30 mm) dont 80 % s’avèrent être bénins après biopsie ou résection. Les auteurs sont partis d’un jeu de près de 400 protéines associées au cancer du poumon d’après la littérature ou d’après leurs propres analyses sur des pièces opératoires. Ils ont mis au point pour chacune d’elles un dosage performant par spectrométrie de masse. L’analyse de 143 plasmas provenant de patients qui avaient ensuite été opérés a permis de finalement retenir un jeu de 13 protéines donnant une bonne discrimination entre les personnes dont les nodules s’étaient avérés cancéreux et les autres. Le travail a été mené dans les règles de l’art, en évitant les errements souvent retrouvés dans l’établissement de profils d’expression à visée clinique [8] : après définition complète du « classificateur » sur la base de cette analyse, celui-ci a été testé sur un nouveau jeu indépendant d’une centaine d’échantillons validés cliniquement, avec pour résultat une sensibilité de 71 % et une spécificité de 44 %. Ces valeurs peuvent sembler basses, mais elles sont établies de manière rigoureuse et, compte tenu de la fréquence des nodules malins dans l’échantillon, elles correspondent à une valeur prédictive négative de 90 %, c’est-à-dire qu’un nodule classé comme bénin a 90 % de chances de l’être réellement. Ce test n’est sans doute pas encore assez performant pour une application clinique, mais ce travail montre la voie pour une application effective de la protéomique non invasive au diagnostic du cancer.
Des essais à transformer
Ces approches non invasives, qu’elles s’intéressent à l’ADN ou aux protéines, devront encore gagner en précision et en robustesse avant d’être réellement utilisables. Mais leurs avantages sont si évidents que l’on peut s’attendre à des progrès rapides, d’autant plus qu’elles bénéficieront des améliorations techniques que va entraîner la généralisation du diagnostic prénatal non invasif - qui est, lui, déjà opérationnel et largement pratiqué. Et ce ne sont pas les seules tentatives dans ce sens : d’autres chercheurs, d’autres industriels, s’intéressent de près au répertoire immunitaire des patients, que l’on peut appréhender en séquençant un pool de lymphocytes périphériques [9]. Comme le dit un des promoteurs de cette approche : « Dans la plupart des maladies humaines, quelque chose est endommagé ou quelque chose est en train de pousser - et notre système immunitaire a déjà fait le diagnostic pour nous »1. En tous cas, ces développements vont accentuer une tendance déjà visible, accroître le rôle et l’importance du diagnostic moléculaire en oncologie et permettre de s’approcher de l’idéal de la médecine personnalisée : « le bon traitement pour le bon malade au bon moment ».
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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- Jordan B. En route vers l’enfant parfait ! Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 665–668. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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- Jordan B. Des signatures sans valeur ? Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 547–550. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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