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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 29, Number 3, Mars 2013
Page(s) 325 - 328
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2013293020
Published online 27 March 2013

© 2013 médecine/sciences – Inserm / SRMS

On conçoit facilement qu’un stress grave durant ­l’enfance puisse entraîner une fragilité à l’âge adulte ; cette relation intuitivement plausible a été démontrée par de nombreuses études, malgré les difficultés méthodologiques que pose la définition précise du stress et de la fragilité. Le fait que des personnes exposées à des agressions apparemment équivalentes évoluent différemment, certaines restant indemnes malgré les traumatismes subis, a motivé le concept de résilience développé et popularisé par Boris Cyrulnik [1]. Depuis une dizaine d’années, on sait que cette capacité est modulée par la génétique : les individus porteurs de certains allèles de certains gènes sont plus ou moins (selon le cas) susceptibles de présenter ces séquelles que d’autres. Une des premières publications sérieuses sur ce sujet en 2003 [2] montrait que, parmi les personnes ayant subi un épisode de maltraitance infantile, les porteurs de la version « promoteur court » du gène codant pour transporteur de la sérotonine (SLC6A4, la protéine correspondante étant généralement appelée 5-HTT [5 hydroxytryptamine transporteur]) avaient à l’âge adulte un risque de dépression nettement plus élevé que ceux possédant l’allèle long. L’implication de ce gène apparaissait logique : les inhibiteurs de la réabsorption de la sérotonine sont efficaces dans le traitement de la dépression, et la protéine 5-HTT intervient dans ce phénomène au niveau des synapses. On avait donc là la démonstration d’une interaction entre génétique et environnement, certains génotypes favorisant l’apparition d’un syndrome à la suite d’un traumatisme infantile. Le variant de SLC6A4 ne suffit pas à lui seul à provoquer la dépression, mais il rend son porteur plus vulnérable, et il doit jouer un rôle important dans l’héritabilité modérée mais significative (30 %) de cette affection [3]. Néanmoins, même si l’intervention de ce gène semble raisonnable au vu de son rôle dans le fonctionnement cérébral, le mécanisme moléculaire par lequel un stress durant l’enfance favorise l’apparition d’une dépression vingt ans plus tard restait mystérieux. Une étude ­récemment publiée dans Nature Neuroscience [4] apporte un début de réponse à cette question, et met en cause un mécanisme épigénétique : une déméthylation de l’ADN provoquée par l’épisode traumatisant et ­persistant à l’âge adulte.

thumbnail Figure 1.

Niveau de méthylation dans deux zones de l’intron 7 du gène FKPB5 mesuré sur l’ADN extrait du sang périphérique. Les quatre niveaux de grisé, de gauche à droite, correspondent respectivement aux personnes sans traumatisme portant l’allèle de résilience (blanc) ou l’allèle de risque (gris clair), puis à celles qui ont subi un traumatisme infantile et portent l’allèle de résilience (gris moyen) ou l’allèle de risque (noir). La seule variation significative est observée en cas de traumatisme, entre les porteurs des deux allèles, et seulement dans la zone 2 de cet intron (extrait partiel et redessiné de la figure 3 du ­supplément de [4]).

Le récepteur des glucocorticoïdes et le gène FKBP5

Ces travaux sont centrés sur un autre système biologique, celui du récepteur des glucocorticoïdes (GR) et, plus particulièrement, sur la protéine FKBP5 (FK506 binding protein 5) qui agit comme régulateur du complexe du récepteur des glucocorticoïdes. Les récepteurs nucléaires agissent au sein d’un complexe comportant le récepteur et divers cofacteurs, l’ensemble étant activé par la fixation d’une hormone, le cortisol dans le cas présent. Le résultat final de l’activation du récepteur des glucocorticoïdes est la transcription de nombreux gènes, et la protéine FKBP5 inhibe le récepteur en diminuant son affinité pour le cortisol. Sans entrer dans le détail d’un mécanisme compliqué mais bien décrit dans une publication récente [5], FKBP5 est ainsi l’élément clef d’une boucle de régulation rétroactive qui diminue l’activité du récepteur des glucocorticoïdes lorsque la concentration du cortisol est élevée, boucle de régulation qui correspond au retour à la normale après activation lors d’une situation de stress. Et le gène correspondant présente des polymorphismes qui sont corrélés avec le niveau de risque d’un syndrome post-traumatique (PTSD, post-traumatic stress disorder). Ce syndrome, largement popularisé après la deuxième guerre du Golfe, mais connu en fait depuis longtemps, est un trouble anxieux sévère qui se manifeste à la suite d’une expérience traumatisante. Il est ­relativement bien codifié1, sans doute mieux que la schizophrénie ou la maladie bipolaire. Sa prévalence importante, estimée à 8 % aux États-Unis, facilite les études.

Traumatismes, PTSD et allèles de FKBP5

Plusieurs travaux cités dans cette publication (qui est une mise au point) [5] montrent que les allèles du gène FKBP5 qui provoquent une induction accrue par le cortisol et une moindre efficacité de la boucle de régulation négative sont corrélés avec la fréquence d’apparition du syndrome. Une des meilleures études [6] porte sur 900 personnes sans antécédent psychiatrique appartenant à la population à bas revenus (essentiellement Afro-américaine) de la ville d’Atlanta. Ce groupe est exposé à de fréquents traumatismes, et les chiffres rapportés laissent rêveur : près de 20 % de ces personnes ont subi des abus physiques ou sexuels dans leur enfance et, en tant qu’adultes, 50 % des hommes et 25 % des femmes ont été attaqués avec une arme, et près de 10 % ont été témoins du meurtre d’un ami ou d’un membre de leur famille. Les auteurs constatent que le niveau de PTSD, mesuré sur une échelle allant de 0 à 51, est corrélé à la fois avec les traumatismes subis en tant qu’adulte et avec ceux endurés durant l’enfance : sa valeur varie de 3, pour ceux qui ont échappé à ces agressions, à 24 en moyenne pour ceux qui les ont toutes subies. Si les traumatismes ont lieu uniquement à l’âge adulte, le score tombe à 14 : l’influence des évènements survenus durant l’enfance est donc très nette.

La nouveauté de cette étude consiste à montrer que la corrélation entre PTSD et traumatismes infantiles est fortement modulée par des allèles du gène FKBP5. Cette influence est manifeste pour quatre polymorphismes présents dans ce gène, l’un d’eux (par exemple), appelé rs1360780, correspond à la présence d’un A ou d’un G en un certain point du gène. Les homozygotes AA ont un score PTSD double de celui des homozygotes GG (31 au lieu de 15) en cas de traumatisme infantile ; par contre, s’ils ont échappé au traumatisme infantile, leur score est de 7 à 8 quel que soit l’allèle2. Une étude sur une partie de la population (80 personnes) montre que les allèles associés au risque correspondent aussi à des niveaux plus élevés de la protéine FKBP5 dans le sérum. Il apparaît donc que les variants génétiques du gène peuvent « sensibiliser » le circuit de réponse au stress durant l’enfance et avoir pour résultat un risque plus élevé de PTSD en cas de traumatisme ultérieur. La démonstration est solide ; la réalité du phénomène, le fait qu’il soit corrélé au niveau de FKBP5 et modulé par les allèles du gène correspondant ne fait pas de doute; mais le mécanisme moléculaire reste mystérieux. Comment un traumatisme infantile peut-il influencer l’activité du gène FKBP5 à l’âge adulte ?

On comprend donc l’enthousiasme avec lequel a été accueilli l’article intitulé Allele-specific FKBP5 DNA demethylation mediates ­gene-childhood trauma interactions paru en décembre 2012 dans Nature Neuroscience [4], et qui est le prétexte de cette chronique, car il apporte des éléments décisifs à ce niveau.

Allèle de résilience, de risque et conformation de la chromatine

Voyons donc ce que présente cette publication. Elle porte sur la même population de la ville d’Atlanta, dont l’effectif a été porté à près de deux mille personnes, et commence par confirmer la corrélation déjà rapportée en se focalisant sur le snip rs1360780 mentionné ci-dessus. Les porteurs homozygotes de l’allèle G de ce snip, que l’on pourrait appeler « allèle de résilience », montrent peu ou pas d’influence des traumatismes infantiles sur le risque de PTSD : une augmentation d’environ 20 %, non significative du point de vue statistique. En revanche, ceux qui ont l’allèle A (allèle de risque) voient leur taux de PTSD à l’âge adulte plus que doubler (x 2,4) s’ils ont subi abus physiques et sexuels dans leur enfance. Le snip en cause se trouve dans l’intron n° 2 du gène FKPB5, et les auteurs présentent des études réalisées en introduisant les différentes versions du gène dans des cellules en culture. Ils en concluent que cet allèle induit une conformation différente de la chromatine au niveau du gène, laquelle favorise une expression plus importante de ce dernier et une diminution d’efficacité de la boucle de régulation négative - donc un retour au niveau de base plus lent après une situation de stress. Il y a donc bien une influence de ce polymorphisme sur le fonctionnement cérébral, mais cela ne nous éclaire pas encore sur le mécanisme responsable de l’influence des ­traumatismes infantiles.

On en arrive (enfin) à l’épigénétique

À ce stade, on pense naturellement à des mécanismes de type épigénétique, et on sait que ceux-ci impliquent souvent des modifications dans la méthylation de l’ADN. Le fait qu’un traumatisme infantile puisse modifier de manière durable cette méthylation a déjà été rapporté [7] sans toutefois que cela ait été directement corrélé avec le phénotype des personnes en cause. Nos auteurs vont donc, très logiquement, aller rechercher des marques épigénétiques sur l’ADN de leurs sujets. Seul problème, ces modifications (généralement réversibles et non transmises, sauf exception, à la descendance) sont habituellement spécifiques d’un organe ou d’un tissu, où ils modulent le spectre ­d’expression des gènes sans interférer avec ceux d’autres parties du corps. Comme il n’est évidemment pas question de procéder à des prélèvements sur le cerveau des individus étudiés, l’étude a porté, faute de mieux pourrait-on dire, sur les cellules du sang périphérique. Et l’on trouve bien une différence, modeste mais significative, dans le taux de méthylation d’une zone du gène FKPB5 entre les porteurs des deux allèles. Plus précisément, ce taux baisse pour l’allèle de risque, si et seulement si la personne a subi un traumatisme dans l’enfance. Bingo ! C’est précisément ce que l’on attendrait s’il s’agit d’une marque épigénétique imprimée à la suite du stress initial, persistant jusqu’à l’âge adulte et conférant à la personne porteuse une vulnérabilité particulière.

Reste une difficulté, l’endroit du gène où l’on détecte cette diminution de la méthylation se situe dans l’intron n° 7 du gène, à des milliers de bases du polymorphisme (qui concerne l’intron n° 2 comme nous l’avons vu). Mais la configuration de la chromatine déduite des expériences précédentes amène justement en contact ces deux introns et le site d’initiation de la transcription du gène FKPB5 (du moins chez les porteurs de l’allèle de risque). On conçoit donc que la présence de cet allèle sur l’intron 2 puisse favoriser la déméthylation de l’intron 7 en conditions de forte concentration de cortisol (situation de stress). Cette déméthylation durable (puisqu’on la retrouve chez l’adulte) inhibe la boucle de régulation négative, prolongeant les réactions de stress et augmentant le risque d’apparition du syndrome post-traumatique. On tient donc bel et bien un mécanisme permettant de comprendre comment les porteurs de l’allèle de risque gardent une fragilité particulière à l’âge adulte s’ils ont subi un traumatisme dans leur enfance : pour la première fois, on a l’explication moléculaire d’une interaction entre génotype et environnement. C’est donc un résultat important, évoqué sous le titre Childhood trauma can alter DNA [8] ou, dans la section News and Views de Nature Neuroscience, comme A report (that) elucidates the […] concept of gene-environment interaction [9]. Comme l’indique leur titre, ces commentaires considèrent que la question est résolue : à mon sens, c’est aller un peu vite en besogne, même si ce travail présente un intérêt certain.

Quelques bémols

Car il reste néanmoins quelques points en suspens, qui font souhaiter que ces résultats soient rapidement confirmés par d’autres études. Tout d’abord, l’effet de déméthylation observé est, comme je le disais, modeste : dans la figure ci-contre, la baisse de méthylation (entre les deux dernières barres du deuxième histogramme) représente tout au plus 15 % du signal, ce qui n’est vraiment pas beaucoup.

Certes, au vu des barres d’erreur, cette différence est significative – mais elle reste bien faible, d’autant plus que, au niveau de l’ADN, une base donnée est méthylée ou ne l’est pas (à 100 % ou à 0 %). Le fait que la mesure soit effectuée sur le sang périphérique peut expliquer cela : en raison du renouvellement fréquent des cellules sanguines, il est même un peu étonnant que la déméthylation persiste sur une fraction notable de ces dernières.

Les auteurs testent bien leur mécanisme sur des cellules neuronales : dans des expériences que je n’ai pas décrites ici, ils montrent que l’exposition aux corticoïdes produit une déméthylation du gène FKBP5 dans l’intron 7, mais il s’agit là d’expériences sur des lignées cellulaires de type hippocampique, et non de résultats obtenus à partir des sujets de l’étude. D’un point de vue plus général, le résultat présenté correspond si bien à ce que l’on attendait (une altération épigénétique persistante et expliquant les influences observées) que cela peut inspirer une certaine réserve. Souvenons-nous, il y a quelques années, des travaux de Hwang, en Corée, qui annonçait ce que tous attendaient : l’établissement de lignées de cellules souches embryonnaires humaines par transfert nucléaire à partir de cellules de malades [10]. Enthousiasme général… jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que ces lignées n’existaient pas et que les résultats présentés avaient, pour l’essentiel, été inventés ! Je n’insinue certes pas que les données de Klengel et al. [4] soient frauduleuses, mais simplement que des résultats aussi importants et, en même temps, aussi conformes aux paradigmes régnants, méritent d’être vérifiés, surtout quand certains aspects manquent un peu de solidité.

Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir : ce nouveau mécanisme, s’il est confirmé (et il le sera sans doute) ouvre un nouveau champ à la génétique du comportement et doit permettre d’expliquer des corrélations jusque-là incompréhensibles (et parfois qualifiées d’anecdotiques). Notons que, comme le suggèrent les auteurs à la fin de leur article, l’allèle de risque pourrait en fait être un allèle de « réactivité » vis-à-vis de l’environnement et, de ce fait, présenter une certaine valeur évolutive : les porteurs de ce variant profitent peut-être mieux des expériences positives ! Et n’oublions pas non plus que toute élucidation d’un mécanisme moléculaire peut ouvrir la voie à une thérapie spécifique agissant précisément sur l’élément critique dans un tel processus complexe.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


2

 Les résultats sont équivalents pour les trois autres polymorphismes. Bien entendu, dans ce cas, les personnes étudiées sont celles qui ont subi le plus de traumatismes à l’âge adulte, d’où les scores élevés de PTSD observés.

Références

  1. Cyrulnik B. Les nourritures affectives. Paris: Odile Jacob, 1993: 244p. [Google Scholar]
  2. Caspi A, Sugden K, Moffitt TE, et al. Influence of life stress on depression: moderation by a polymorphism in the 5-HTT gene. Science 2003 ; 301 : 386–389. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Johnson W, McGue M, Gaist D, et al. Frequency and heritability of depression symptomatology in the second half of life: evidence from Danish twins over 45. Psychol Med 2002 ; 32 : 1175–1185. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Klengel T, Mehta D, Anacker C, et al. Allele-specific FKBP5 DNA demethylation mediates gene-childhood trauma interactions. Nat Neurosci 2013 ; 16 : 33–41. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Binder EB. The role of FKBP5, a co-chaperone of the glucocorticoid receptor in the pathogenesis and therapy of affective and anxiety disorders. Psychoneuroendocrinology 2009 ; 34 : S186–S195. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Binder EB, Bradley RG, Liu W, et al. Association of FKBP5 polymorphisms and childhood abuse with risk of posttraumatic stress disorder symptoms in adults. JAMA 2008 ; 299 : 1291–1305. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Murgatroyd C. Patchev AV, Wu Y, et al. Dynamic DNA methylation programs persistent adverse effects of early-life stress. Nat Neurosci 2009 ; 12 : 1559–1566. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Childhood trauma can alter DNA. Genetic Engineering News December 3, 2012. [Google Scholar]
  9. Szyf M. How do environments talk to genes? Nat Neurosci 2013 ; 16 : 2–4. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Hwang WS, Roh SI, Lee BC, et al. Patient-specific embryonic stem cells derived from human SCNT blastocysts. Science 2005 ; 308 : 1777–1783. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Niveau de méthylation dans deux zones de l’intron 7 du gène FKPB5 mesuré sur l’ADN extrait du sang périphérique. Les quatre niveaux de grisé, de gauche à droite, correspondent respectivement aux personnes sans traumatisme portant l’allèle de résilience (blanc) ou l’allèle de risque (gris clair), puis à celles qui ont subi un traumatisme infantile et portent l’allèle de résilience (gris moyen) ou l’allèle de risque (noir). La seule variation significative est observée en cas de traumatisme, entre les porteurs des deux allèles, et seulement dans la zone 2 de cet intron (extrait partiel et redessiné de la figure 3 du ­supplément de [4]).

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