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Med Sci (Paris)
Volume 28, Number 11, Novembre 2012
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Page(s) | 934 - 937 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20122811011 | |
Published online | 12 November 2012 |
Télécommander l’activité des canaux ioniques endogènes par la lumière
Optical remote control of native ion channels
1
Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire, CNRS, Université de Nice Sophia-Antipolis, Sophia-Antipolis, 06560 Valbonne, France
2
Department of Molecular and Cell Biology, Helen Wills Neuroscience Institute, 271 Life Sciences Addition, University of California, Berkeley, CA 94720, États-Unis
3
Biophysics Graduate group, University of California, Berkeley, CA 94720, États-Unis
4
Physical Bioscience Division, Lawrence Berkeley National Laboratory, Berkeley, CA 94720, États-Unis
Nous avons récemment développé une stratégie qui permet de télécommander l’activité de canaux ioniques et de récepteurs natifs avec la lumière. Ces travaux ont permis de mettre en évidence la contribution des canaux potassiques TREK1 (Twik-related K+ channel 1) dans la signalisation GABAB (acide γ-aminobutyrique) hippocampique.
Les canaux potassique à deux domaines pores
Les canaux ioniques génèrent les signaux électriques qui permettent au système nerveux de percevoir le monde, d’intégrer l’information, de créer la mémoire et de contrôler le comportement. Une des familles de canaux les plus importantes et diversifiées est la famille des canaux potassique à deux domaines pores (K2P) [15]. Les canaux K2P ont une fonction clé dans l’établissement du potentiel de membrane cellulaire et dans le contrôle de l’excitabilité neuronale. Ils jouent aussi un rôle central dans la réponse de la cellule à divers signaux intracellulaires et extracellulaires aussi divers que la variation de pH, l’étirement membranaire ou encore la signalisation intracellulaire induite par l’activation des récepteurs couplés aux protéines G. Nous avons développé une variante des canaux K2P dépendante de la lumière, ainsi qu’une nouvelle méthode qui rend possible de doter les canaux ioniques natifs d’une sensibilité à la lumière.
Les canaux K2P sont formés de deux sous-unités qui contiennent deux paires de segments transmembranaires (TM) accompagnés chacun d’une boucle P (dans l’ordre TM1, P1, TM2, TM3, P2, TM4) [1]. Au repos, l’activité de ces canaux conduit le potentiel de membrane de la cellule à des valeurs proches du potentiel d’équilibre des ions potassium (environ -90 mV). Ainsi, ces canaux réduisent fortement l’excitabilité cellulaire. Chez les mammifères, 15 gènes codant pour des canaux à deux domaines P ont été identifiés. Ces gènes peuvent être divisés en six sous-familles en fonction des homologies de séquence et des propriétés fonctionnelles des protéines pour lesquelles ils codent. Les membres de la sous-famille TREK, TREK1, TREK2 et le plus distant TRAAK, sont fortement exprimés dans le système nerveux central. Ces canaux TREK présentent une faible activité de base, mais peuvent être activés par différents stimulus : physiques comme l’augmentation de la température, le stress mécanique et le gonflement cellulaire; chimiques comme l’acidification intracellulaire, l’alcalinisation du milieu extracellulaire [2]; les phospholipides [3]; l’acide arachidonique et autres acides gras polyinsaturés, et les agents pharmacologiques tels que le riluzole ou les anesthésiques volatils [4].
Le canal potassique TREK1 : une cible pharmacologique pour les antidépresseurs
L’invalidation du gène Trek1 (souris knock-out Trek1-/-) chez les souris entraîne une sensibilité réduite aux anesthésiques volatiles, une réduction de l’effet neuroprotecteur des acides gras polyinsaturés lors d’une ischémie [5] et une altération de la sensation douloureuse [6]. D’autre part, la perte de la fonction du canal TREK1 rend les souris résistantes à la dépression, ce qui suggère que ce canal peut être une cible dans le traitement de la dépression [7]. En accord avec cette hypothèse, la spadine, un peptide dérivé de la sortiline qui inhibe TREK1, a un effet antidépresseur [8]. Chez l’homme, une étude a également rapporté un rôle de TREK1 dans la régulation de l’humeur et dans la résistance au traitement antidépresseur. TREK1 est inhibé par des doses thérapeutiques d’inhibiteurs de la recapture de sérotonine (SSRI) comme par exemple la fluoxétine (connue sous le nom de Prozac®), une drogue antidépressive actuellement très utilisée. Ces propriétés semblent donc indiquer que TREK1 constitue une cible pharmacologique attractive pour le développement de nouvelles molécules antidépressives ce qui motive l’étude plus approfondie de ses fonctions.
Contrôle optique des canaux TREK1 endogènes : TREKlight
Principe d’optogénétique
L’étude des canaux ioniques et des récepteurs membranaires requiert l’utilisation d’agents pharmacologiques ou de souris knock-out (souris dont le gène d’intérêt est invalidé). Cependant, comme de nombreuses protéines, les canaux K2P n’ont pas de ligands sélectifs. De ce fait, l’invalidation génique constitue l’approche principale pour étudier leur fonction. Toutefois, les souris knock-out, bien qu’utiles pour la caractérisation globale de la fonction d’un gène, présentent de nombreuses limitations lorsqu’il s’agit de déterminer le rôle précis d’un gène; citons la compensation génique (redondance) ou les problèmes développementaux. Il serait donc intéressant de disposer d’un système dans lequel la fonction de la protéine d’intérêt pourrait être instantanément bloquée de façon réversible avec une précision spatiale et temporelle.
Au cours des huit dernières années, l’optogénétique a été initialement développée pour télécommander à distance l’activité neuronale via la lumière. Deux approches ont été utilisées : l’une est fondée sur des canaux, des pompes et des récepteurs à base d’opsine, issus d’organismes simples qui sont naturellement sensibles à la lumière grâce au rétinal qui est disponible dans les cellules de vertébrés [9]. L’autre consiste à modifier des protéines natives avec des molécules chimiques synthétiques sensibles à la lumière. Ces molécules chimiques, qu’on appelle ligands photomodulables attachés (LPA), permettent un contrôle rapide et réversible des canaux ioniques de mammifères [10] et rendent possible le contrôle optique de l’activité neuronale [10]. Sur la base de cette stratégie, nous avons développé TREKlight, un canal TREK1 qui est régulé par la lumière. Dans ce système, le LPA est le MAQ, une molécule chimique qui contient : une fonction maléimide (M) qui permet d’attacher de façon covalente la molécule sur une cystéine introduite dans la séquence du canal; une fonction azobenzène photoisomérisable (A); et un groupe ammonium quaternaire (Q) qui bloque le pore des canaux potassiques (Figure 1A) [11]. Une brève impulsion de lumière de longueur d’onde 380 nm induit une photoisomérisation (d’une conformation trans vers une conformation cis) du MAQ. Le goupe Q entre alors dans le pore du canal TREKlight et, ainsi, induit son blocage. Ce blocage peut être rapidement levé par une impulsion de lumière de longueur d’onde 500 nm (Figure 1B). TREKlight constitue de ce fait un outil très utile pour contrôler le potentiel de membrane à distance et pour étudier les relations structure/fonction des canaux TREK. Cette technique impose l’expression dans la cellule du canal TREK1 porteur de la mutation cystéine (TREKlight). Mais le niveau d’expression est difficilement contrôlable et le courant n’atteint pas son niveau physiologique. Or l’étude précise de la fonction du canal TREK1 nécessite d’exprimer le canal à son niveau physiologique (Figure 2A).
Figure 1. TREKlight : un canal TREK1 controlé par la lumière. A. Le MAQ est une molécule contenant une fonction maléimide (M) qui permet d’attacher de façon covalente la molécule sur une cystéine introduite sur le canal, une fonction azobenzène photoisomérisable (A) et un groupe ammonium quaternaire (Q) qui est un bloqueur de pore. B. Représentation schématique de TREKlight. TREKlight est actif à une longueur d’onde de 500 nm et une brève impulsion de lumière à 380 nm induit une obstruction réversible du canal TREKlight. C. Courants enregistrés à différents potentiels de membrane sur des cellules HEK transfectées avec TREKlight. L’illumination à 500 nm (verte) ou 380 nm (violette) débloque ou bloque le courant sortant TREKlight (adapté de [14] avec la permission de Elsevier, © 2012). |
Figure 2. Développement d’une stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable. A. La surexpression de TREKlight induit une densité de canaux TREKlight à la membrane largement supérieure à la densité de canaux TREK1 observée en conditions physiologiques. Afin de limiter l’expression au niveau physiologique, nous avons utilisé la stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable (SCP). B. Représentation schématique de la stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable. La délétion de l’extrémité carboxy-terminale de TREKlight (SCP-TREK1) induit sa rétention dans le réticulum endoplasmique (RE). SCP-TREK1 associé au RE ne produit pas de courant et reste donc silencieux. La coexpression de SCP-TREK1 avec le canal TREK1 sauvage (WT-TREK1) induit la formation d’un canal hétéromérique (WT-TREK1/SCP-TREK1) qui sera adressé à la membrane plasmique (MP) par la sous-unité sauvage WT-TREK1 et qui est photosensible grâce à la sous-unité SCP-TREK1 (adaptée de [14] avec la permission de Elsevier, © 2012). |
Contrôle optique à distance de protéines natives
Afin de contrôler optiquement les canaux TREK sans les surexprimer, une possibilité est d’introduire la mutation dans la protéine native via un knock-in génétique : la mutation pour rendre le TREK1 endogène sensible à la lumière est alors introduite directement dans le génome de la souris. Cependant, la génération d’un animal knock-in est laborieuse et coûteuse.
Nous avons donc développé une nouvelle stratégie pour le contrôle optique à distance de protéines natives en utilisant une sous-unité conditionnelle photomodulable (SCP). SCP-TREK1 contient le site d’ancrage du ligand photomodulable attaché ainsi qu’une mutation supplémentaire qui empêche le canal d’atteindre la membrane plasmique. Dans les cellules n’exprimant pas naturellement TREK1, la SCP-TREK1 reste non fonctionnelle à l’intérieur de la cellule au niveau de son site de production, le réticulum endoplasmique. En revanche, dans les cellules qui expriment le canal TREK1 sauvage endogène (WT-TREK1), les sous-unités WT-TREK1 et SCP-TREK1 s’associent et le complexe WT-TREK1/SCP-TREK1 accède à la membrane plasmique. La protéine native WT-TREK1 passe alors sous le contrôle optique de la SCP-TREK1 qui lui est associée (Figure 2B). On peut ainsi télécommander l’activité du canal TREK1 endogène avec une résolution spatiale de l’ordre du micromètre et temporelle de l’ordre de la milliseconde.
TREKlight révèle que TREK1 est impliqué dans le courant GABAB
Nous avons utilisé cette approche pour déterminer le rôle de TREK1 au niveau de l’hippocampe, structure cérébrale impliquée notamment dans la mémoire. Dans l’hippocampe, les récepteurs GABAB postsynaptiques sont impliqués dans l’activation de courants potassiques (courant GABAB) décrits il y a 30 ans par Newberry et Nicoll [12]. Ce courant GABAB est à l’origine des potentiels postsynaptiques inhibiteurs lents (PPSI-lents) et il résulte du seul couplage GABAB-GIRK (GIRK étant un canal potassium d’une autre famille) [13]. En comparant les courants ioniques obtenus lors d’impulsions lumineuses à des longueurs d’onde de 500 nm (canal TREK1 actif) et 380 nm (canal TREK1 non fonctionnel), nous avons pu établir que TREK1 est également impliqué dans le courant GABAB. Ainsi, TREK1, jusqu’à présent considéré comme un canal de fuite, contribue activement à la réponse GABAB hippocampique, ce qui rompt avec l’idée classique selon laquelle la réponse GABAB hippocampique implique seulement le couplage GABAB-GIRK [14].
Notre approche expérimentale offre donc un moyen facile et attractif pour caractériser, à l’échelon moléculaire, les canaux ioniques et les récepteurs impliqués dans des réponses biologiques variées (courant, élévation du calcium intracellulaire, etc.), et ainsi pallier l’absence d’outils pharmacologiques pour une telle étude.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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© 2012 médecine/sciences – Inserm / SRMS
Liste des figures
Figure 1. TREKlight : un canal TREK1 controlé par la lumière. A. Le MAQ est une molécule contenant une fonction maléimide (M) qui permet d’attacher de façon covalente la molécule sur une cystéine introduite sur le canal, une fonction azobenzène photoisomérisable (A) et un groupe ammonium quaternaire (Q) qui est un bloqueur de pore. B. Représentation schématique de TREKlight. TREKlight est actif à une longueur d’onde de 500 nm et une brève impulsion de lumière à 380 nm induit une obstruction réversible du canal TREKlight. C. Courants enregistrés à différents potentiels de membrane sur des cellules HEK transfectées avec TREKlight. L’illumination à 500 nm (verte) ou 380 nm (violette) débloque ou bloque le courant sortant TREKlight (adapté de [14] avec la permission de Elsevier, © 2012). |
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Figure 2. Développement d’une stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable. A. La surexpression de TREKlight induit une densité de canaux TREKlight à la membrane largement supérieure à la densité de canaux TREK1 observée en conditions physiologiques. Afin de limiter l’expression au niveau physiologique, nous avons utilisé la stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable (SCP). B. Représentation schématique de la stratégie de sous-unité conditionnelle photomodulable. La délétion de l’extrémité carboxy-terminale de TREKlight (SCP-TREK1) induit sa rétention dans le réticulum endoplasmique (RE). SCP-TREK1 associé au RE ne produit pas de courant et reste donc silencieux. La coexpression de SCP-TREK1 avec le canal TREK1 sauvage (WT-TREK1) induit la formation d’un canal hétéromérique (WT-TREK1/SCP-TREK1) qui sera adressé à la membrane plasmique (MP) par la sous-unité sauvage WT-TREK1 et qui est photosensible grâce à la sous-unité SCP-TREK1 (adaptée de [14] avec la permission de Elsevier, © 2012). |
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