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Med Sci (Paris)
Volume 28, Number 11, Novembre 2012
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Page(s) | 1009 - 1011 | |
Section | M/S Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20122811024 | |
Published online | 12 November 2012 |
Chroniques génomiques
Le bonheur est dans le gène
The happiness gene
CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
La déclaration d’indépendance des États-Unis (4 juillet 1776) affirme que les droits inaliénables de tout être humain sont « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » (Life, liberty and the pursuit of happiness). Le bonheur fait donc en quelque sorte partie des droits constitutionnels de tout citoyen de cette nation… et il est l’objet de recherches assidues mobilisant les techniques de la génomique et publiées dans des revues tout à fait sérieuses. C’est ainsi qu’un article récent [1] soutient que « Le gène MAOA prédit le bonheur chez les femmes » (The MAOA gene predicts happiness in women).
De quoi s’agit il ?
Situons d’abord le gène MAOA : il code pour l’isoenzyme A de la monoamine oxydase, une enzyme qui inactive l’adrénaline, la sérotonine et la dopamine en les déaminant1. L’isoenzyme MAOA, codée par un gène situé en Xp11.3, présente un polymorphisme du type VNTR qui aboutit à deux génotypes : MAOA-L, dans lequel l’activité de l’enzyme est faible, et MAOA-H qui correspond à une forte activité. Les auteurs ont trouvé, dans leur échantillon de population, une corrélation entre « le bonheur » chez les personnes de sexe féminin et la présence de l’allèle le moins actif du gène MAOA. Mais comment est quantifié le bonheur2 ? La mesure est fondée sur les déclarations des participants à l’étude, selon une méthodologie apparemment bien établie, l’échelle en quatre points de Lyubomirsky [2]3, qui est censée mesurer la sensation subjective de bonheur - nous y reviendrons. Quant à l’échantillon de population, il provient d’une étude de cohorte dans la population générale (www.nyspi.org/childcom) et comprend 345 sujets « caucasiens » (blancs), soit 193 femmes et 152 hommes, âgés en moyenne de 33 ans.
Quels sont donc les résultats ? L’échelle de mesure s’étend de 1 (pas du tout heureux) à 7 (parfaitement heureux), les scores observés au sein de l’échantillon vont de 2,25 à 7, et la valeur moyenne est de 5,37 avec une déviation standard de presque une unité (0,97) : les sujets se déclarent en général plutôt heureux, comme dans la plupart des études de ce type. L’influence de l’allèle du gène MAOA s’avère inexistante chez les hommes, puisque la valeur moyenne pour ceux qui possèdent la version MAOA-H est de 5,24, et de 5,23 s’il s’agit de MAOA-L. Chez les femmes, en revanche, on passe de 5,30 pour celles qui n’ont aucun allèle MAOA-L à 5,50 pour un allèle et à 5,83 pour deux4. Cette différence persiste après que l’on ait corrigé les résultats pour une série de facteurs influençant le bonheur, dont l’impact est estimé d’après les travaux précédents des mêmes auteurs. Un intéressant tableau (Tableau 1 de [1]) indique, par exemple, que le fait d’être marié ajoute 0,187 points de bonheur (toujours sur une échelle de 1 à 7), qu’avoir un emploi en apporte 0,344, et qu’être atteint d’une maladie mentale en enlève 0,749, tandis que le niveau de revenus n’a aucun impact. Après ces corrections (qui tiennent aussi compte de la santé physique, de l’âge et même de la « religiosité »), l’effet reste nul chez les hommes et notable chez les femmes : plus 0,261 pour un allèle MAOA-L et 0,522 pour deux5. Le bonheur, tel qu’ilest mesuré dans cette étude, apparaît donc lié de manière significative aux allèles du gène MAOA portés par les sujets féminins, et les auteurs terminent en souhaitant la poursuite de ces travaux sur des échantillons de population plus importants.
Quels sont donc les résultats ? L’échelle de mesure s’étend de 1 (pas du tout heureux) à 7 (parfaitement heureux), les scores observés au sein de l’échantillon vont de 2,25 à 7, et la valeur moyenne est de 5,37 avec une déviation standard de presque une unité (0,97) : les sujets se déclarent en général plutôt heureux, comme dans la plupart des études de ce type. L’influence de l’allèle du gène MAOA s’avère inexistante chez les hommes, puisque la valeur moyenne pour ceux qui possèdent la version MAOA-H est de 5,24, et de 5,23 s’il s’agit de MAOA-L. Chez les femmes, en revanche, on passe de 5,30 pour celles qui n’ont aucun allèle MAOA-L à 5,50 pour un allèle et à 5,83 pour deux4. Cette différence persiste après que l’on ait corrigé les résultats pour une série de facteurs influençant le bonheur, dont l’impact est estimé d’après les travaux précédents des mêmes auteurs. Un intéressant tableau (Tableau 1 de [1]) indique, par exemple, que le fait d’être marié ajoute 0,187 points de bonheur (toujours sur une échelle de 1 à 7), qu’avoir un emploi en apporte 0,344, et qu’être atteint d’une maladie mentale en enlève 0,749, tandis que le niveau de revenus n’a aucun impact. Après ces corrections (qui tiennent aussi compte de la santé physique, de l’âge et même de la « religiosité »), l’effet reste nul chez les hommes et notable chez les femmes : plus 0,261 pour un allèle MAOA-L et 0,522 pour deux5. Le bonheur, tel qu’ilest mesuré dans cette étude, apparaît donc lié de manière significative aux allèles du gène MAOA portés par les sujets féminins, et les auteurs terminent en souhaitant la poursuite de ces travaux sur des échantillons de population plus importants.
Indépendamment de la question de la mesure du bonheur, sur laquelle je vais bien sûr revenir, le résultat de ces travaux semble assez paradoxal puisque l’allèle en cause a été relié, dans des études précédentes, à l’agression et à des comportements antisociaux [3] : dans la base de données OMIM (On-line mendelian inheritance in man, http://omim.org.entry/309850), le phénotype correspondant est Antisocial behavior following childhood maltreatment… Plusieurs articles décrivent diverses corrélations entre allèles du gène MAOA et comportement (voir l’article [1] pour les références), et l’on peut échafauder des hypothèses biologiques pour concilier ces différents résultats, ce dont les auteurs ne se privent pas.
L’héritabilité et les locus génomiques du bonheur
Pour en revenir au bonheur, il existe toute une littérature portant sur son héritabilité, et des balayages du génome ont été pratiqués à la recherche des gènes correspondants. Voyons les résultats présentés par un article récent [4], qui rapporte une étude de jumeaux de grande ampleur. Les auteurs ont rassemblé un échantillon de près de dix mille jumeaux dont la sensation de bonheur (cette fois on précise bien, contrairement à l’article déjà cité [1], qu’il s’agit du bonheur subjectif, Subjective Happiness, abrégé en HAP) a été mesurée, toujours avec l’échelle de Lyubomirsky mais selon une version dont le score s’étale de 4 à 28. La valeur moyenne de HAP tourne autour de 23 et varie peu selon le sexe ou l’âge; la concordance entre jumeaux monozygotes est de 0,42 pour les femmes, 0,19 pour les hommes, et elle tombe, pour les faux jumeaux, à 0,17 pour les femmes et 0,08 pour les hommes. Rappelons que ce qui signe le plus directement une influence génétique est la différence de concordance entre vrais et faux jumeaux, plus que sa valeur absolue. Les auteurs arrivent ainsi à une héritabilité de 0,22, donc assez faible, pour les hommes, et de 0,41 pour les femmes, du même ordre que ce que l’on observe pour la maladie de Crohn ou le diabète de type 2. Les auteurs ont ensuite tenté un balayage du génome, fondé sur un maillage de 3 600 minisatellites, assez lâche par rapport aux GWAS récents qui examinent 500 000 snip. Celui-ci n’a fourni que deux localisations potentielles sur les chromosomes 1 et 19, mais avec un Lod score inférieur à 36 qui n’incite pas à les prendre très au sérieux. La seule conclusion relativement solide est donc une héritabilité marginale chez les hommes mais notable chez les femmes, ce qui peut inciter à la recherche de « gènes du bonheur ».
Que mesure-t-on ?
Il est temps, évidemment, de s’interroger sur la caractéristique que sont censées quantifier, avec trois ou quatre chiffres significatifs (!), ces différentes études. Caractéristique que l’article de Chen et al. [1] appelle « Bonheur » (Happiness) sans aucune réserve, tandis que Bartels et al. [4] prennent au moins la précaution de préciser « bonheur subjectif » (Subjective happiness). Il est clair en effet que l’on ne mesure pas le bonheur « en soi », mais l’impression subjective de bonheur ressentie par les personnes que l’on interroge - il ne peut guère en être autrement, à moins de découvrir des biomarqueurs qui objectiveraient cette sensation. Mais, plus grave, aucun de ces chercheurs ne semble s’être interrogé sur le fait que l’on mesure, non le bonheur subjectif, mais ce qu’en disent les personnes interrogées. La nuance est de taille, car il est certain que des facteurs culturels interviennent puissamment à ce niveau. Aux États-unis, où le bonheur fait partie des droits constitutionnels, où le sourire automatique est de mise dans toute rencontre et où la question rituelle « How are you today ? » appelle la non moins rituelle réponse « Fine ! », on peut penser qu’il est difficile de se dire (de s’avouer) peu heureux. Il serait intéressant de savoir quelle serait la valeur obtenue sur la même échelle de bonheur subjectif en France. Et une telle mesure n’aurait probablement eu aucun sens au Japon il y a encore quelques décennies, dans une culture où l’individu avait fort peu de place en dehors de son réseau social et de son faisceau d’obligations. À la limite, la tendance héréditaire liée à l’allèle MOA-L chez les femmes pourrait être celle du conformisme plutôt que celle du bonheur subjectif.
Des travaux bâtis sur du sable ?
Il est assez impressionnant de constater l’abondance des travaux sur « le bonheur », déployant un important appareil expérimental et statistique à partir d’une variable dont la mesure est aussi contestable. Une rapide interrogation de PubMed (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed) montre plus de trois mille articles dont le titre ou l’abstract contiennent Happiness, et encore 765 où il figure dans le titre (dont 73 en 2011). Notons toutefois que cette littérature scientifique ne fait pas toujours montre de la naïveté qui (me semble-t-il) caractérise l’article de Chen et al. [1]; une intéressante étude intitulée Explaining happiness [5], publiée il y a une dizaine d’années dans Proc Natl Acad Sci USA, fait preuve de bien plus de recul et, tout en utilisant le concept, examine de manière détaillée et critique les différentes théories à ce sujet et les confronte aux abondantes données expérimentales disponibles. Elle mérite d’être lue pour relativiser le jugement peu flatteur que l’on pourrait porter sur ce domaine de recherche si l’on se limitait à la lecture de travaux comme celui qui a motivé cette chronique.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Rappelons que le Lod score (Logarithm of the odds) est une évaluation statistique de la probabilité que le résultat obtenu soit dû au hasard. On considérait, dans les années 1990, qu’un Lod score supérieur à 3 était assez concluant, mais lorsque le nombre de paramètres mesurés est très grand (comme dans les balayages du génome), ce critère n’est pas assez restrictif.
Références
- Chen H, Pine DS, Ernst M, et al. The MAOA gene predicts happiness in women. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry 2012 ; 4 août (online). [Google Scholar]
- Lyubomirsky S, Lepper HS. A measure of subjective happiness: preliminary reliability and construct validation. Social Indicators Research 1999 ; 46 : 137–155. [Google Scholar]
- McDermott R, Tingley D, Cowden J, et al. Monoamine oxidase A gene (MAOA) predicts behavioral aggression following provocation. Proc Natl Acad Sci USA 2009 ; 106 : 2118–2123. [CrossRef] [Google Scholar]
- Bartels M, Saviouk V, de Moor MH, et al. Heritability and genome-wide linkage scan of subjective happiness. Twin Res Hum Genet 2010 ; 13 : 135–142. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Easterlin RA.. Explaining happiness. Proc Natl Acad Sci USA 2003 ; 100 : 11176–11183. [Google Scholar]
© 2012 médecine/sciences – Inserm / SRMS
Liste des figures
© Charles M. Schulz (1922-2000). |
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