Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 27, Number 10, Octobre 2011
Page(s) 823 - 825
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20112710010
Published online 21 October 2011

L’anaphylaxie est une réaction allergique hyperaiguë pouvant être mortelle, dont l’incidence augmente en parallèle avec celle des maladies allergiques. Les anaphylaxies les plus fréquentes sont dues à des allergies alimentaires [1], médicamenteuses ou aux venins [2]. Il s’agit d’une manifestation d’hypersensibilité immédiate due à la libération de médiateurs vasoactifs chez un sujet au préalable sensibilisé. Ces médiateurs induisent une vasodilatation des vaisseaux, une augmentation de la perméabilité vasculaire et une constriction bronchique qui concourent à induire une chute de la pression artérielle, des troubles respiratoires ainsi que la mort par arrêt circulatoire ou par un spasme majeur au niveau des bronches [3]. Le traitement du choc consiste en l’emploi d’antihistaminiques et de bronchodilatateurs, suivi, le cas échéant d’une injection intramusculaire d’adrénaline pour contrer la constriction bronchique et la vasodilatation des vaisseaux. Malgré ces traitements, le choc anaphylactique reste mortel dans certains cas.

L’anaphylaxie : une histoire uniquement d’IgE et de mastocytes ?

Les conditions d’urgence dans lesquelles surviennent les chocs anaphylactiques limitent considérablement leur étude en clinique chez l’homme, et les mécanismes conduisant à l’induction du choc restent spéculatifs. Deux grands modèles d’anaphylaxie expérimentale chez l’animal ont été développés pour identifier des mécanismes. L’anaphylaxie active est induite en réponse à l’injection d’allergène chez des souris préalablement immunisées avec cet allergène. L’anaphylaxie passive est induite dans des souris naïves auxquelles on administre des anticorps spécifiques de l’allergène, puis une injection de l’allergène. Les modèles passifs ont permis de proposer les immunoglobulines E (IgE) et l’agrégation de leurs récepteurs de forte affinité FcεRI à la surface des mastocytes comme voie d’induction du choc anaphylactique [4]. Des modèles passifs dans lesquels des immunoglobulines G (IgG), et non plus des IgE, sont injectées ont ensuite suggéré que l’agrégation de récepteurs activateurs de faible affinité pour les IgG (FcεRIIIA) pouvait constituer une voie d’induction de l’anaphylaxie [5]. Les FcεRIIIA sont exprimés par de multiples cellules chez la souris, dont les mastocytes, basophiles et monocytes/macrophages. Récemment, ce sont les basophiles qui ont été identifiés comme responsables du choc induit par les IgG chez la souris, grâce à l’emploi d’anticorps déplétant les basophiles [6]. Ce même travail a démontré que la déplétion des basophiles n’affectait pas le choc anaphylactique passif à IgE, qui, lui, est dépendant des mastocytes (ce que montre l’étude des souris déficientes en mastocytes, W/Wv ou Wsh). En conclusion, dans les modèles d’anaphylaxie passive à IgE, l’activation des seuls mastocytes serait responsable du choc, par la libération de médiateurs dont l’histamine, et dans les modèles d’anaphylaxie passive à IgG, l’activation des seuls basophiles serait responsable du choc, par la libération de médiateurs dont le platelet activating factor (PAF) [7].

De façon surprenante, les résultats obtenus dans des modèles d’anaphylaxie passive ne corrèlent pas avec les modèles d’anaphylaxie active, qui sont plus proches de la physiologie du choc allergique chez l’homme. En effet, ni les IgE [8], ni les FcγRI [9], ni les mastocytes [4], ni les basophiles ne sont nécessaires à l’induction du choc anaphylactique actif. Même l’absence de ces deux populations cellulaires en même temps n’abolit pas le choc anaphylactique actif [6]. D’autres anticorps que les IgE, et d’autres populations cellulaires que les mastocytes et les basophiles seraient donc capables, elles aussi, d’induire un choc anaphylactique.

Le choc anaphylactique « neutrophilique » dévoilé

Notre étude publiée récemment dans The Journal of Clinical Investigation démontre que les neutrophiles, les récepteurs activateurs aux IgG (FcγR), les IgG et le PAF jouent un rôle majeur dans l’anaphylaxie systémique active [10]. Ce modèle d’anaphylaxie est létal pour des souris sauvages, mais pas pour des souris n’exprimant pas de récepteurs activateurs pour les anticorps. En revanche, ni l’absence des FcεRI, ni celle des FcγRIIIA, ni même l’absence cumulée des deux récepteurs pour les IgE (FcεRI et FcεRII) et de trois récepteurs pour les IgG (FcεRI, FcγRIIB et FcγRIIIA) n’affecte la sévérité ou la mortalité induites par le choc. Ces souris, déficientes pour 5 récepteurs aux IgE et IgG (souris 5KO), expriment un seul récepteur activateur pour les IgG, le FcγRIV [11]. L’injection d’anticorps anti-FcγRIV bloquants abolit le choc dans les souris 5KO. Le FcγRIV est exprimé uniquement par les monocytes/macrophages et les neutrophiles qui ne sont pas, a priori, des effecteurs du choc allergique. Cependant, le choc anaphylactique est aboli chez les souris 5KO lorsqu’on déplète les neutrophiles (mais pas les monocytes/macrophages). Les neutrophiles sont donc responsables du choc anaphylactique induit par les FcγRIV. Les neutrophiles activés libèrent différents médiateurs après activation, dont la myéloperoxidase (MPO). L’injection de luminol, un composé libérant des photons en présence de MPO [12], à des souris 5KO nous a permis de suivre en temps réel l’activation des neutrophiles durant le choc anaphylactique in vivo par la technique de bioluminescence (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Cinétique d’activation de neutrophiles in vivo durant le choc anaphylactique actif. Des souris 5KO immunisées avec l’allèrgene ont été anesthésiées, injectees avec l’allergène par voie intraveineuse et 5 mn plus tard avec du luminol par voie intrapéritonéale. Les images représentent l’accumulation de photons libérés par la dégradation du luminol pendant l’intégralité de la duree de l’expérience (grande image de gauche) ou à des intervalles successifs d’acquisition de photons de 2 min (cinetique) ordonnées de haut (t=0) en bas, et de gauche à droite, sur un total de 20 min (petites images de droite). La quantité de photons, proportionnelle à l’activité de la MPO (myéloperoxydase) et donc à l’activation des neutrophiles in vivo, est représentée par un code couleur (du moins intense [jaune pâle] au plus intense [rouge vif] surimposé à une photographie en noir et blanc de la souris).

Nous avons cherché à savoir si, chez des souris sauvages aussi, les neutrophiles contribuent au choc anaphylactique actif. La déplétion de neutrophiles chez des souris sauvages inhibe fortement le choc. Les neutrophiles contribuent donc au choc anaphylactique actif chez les souris sauvages. Alors que la déplétion des basophiles n’affecte pas le choc, la déplétion cumulée de neutrophiles et de basophiles l’abolit chez des souris sauvages. Les basophiles contribuent donc aussi à cette réaction, mais de manière plus modeste. Finalement, notre étude démontre que le transfert de neutrophiles murins ou de neutrophiles humains restaure le choc anaphylactique chez des souris résistantes au choc anaphylactique actif, n’exprimant pas de FcR activateurs [10]. Les neutrophiles sont donc suffisants pour induire un choc anaphylactique actif.

IgE ou IgG ? Histamine ou PAF ?

L’utilisation de souris 5KO a permis de démontrer la capacité du FcγRIV à déclencher un choc anaphylactique actif, mais ne démontre pas sa participation au choc dans des souris sauvages. Grâce à l’utilisation d’anticorps bloquants, nous avons démontré que ce sont deux récepteurs aux IgG, FcγRIIIA et FcγRIV, qui sont responsables du choc dans des souris sauvages. Et pourtant, dans ces conditions où le choc est aboli, des IgE anti-allergène sont présentes et les FcεRI sont exprimés et fonctionnels à la surface des mastocytes et des basophiles. Les IgG, et non les IgE, contribuent donc de manière prédominante au choc anaphylactique actif. Le FcγRIIIA est exprimé, comme le FcγRIV, à la surface des neutrophiles et des monocytes/macrophages, mais également à la surface des mastocytes, basophiles, et éosinophiles. Toutes ces cellules sont capables de libérer du PAF après activation [13], et les mastocytes et les basophiles également de l’histamine. L’utilisation d’antagonistes démontre que le PAF, mais pas l’histamine, contribue de manière prépondérante au choc anaphylactique actif chez les souris sauvages. De plus, des souris déficientes en phospholipase-A2 et qui ne produisent pas de PAF [14], sont peu sensibles à l’induction du choc anaphylactique actif [10]. Le PAF a aussi été incriminé dans les manifestations anaphylactiques en clinique, et la concentration sérique de PAF corrélée avec la gravité du choc anaphylactique chez l’homme [15].

Ces résultats divergent du dogme [allergène + IgE + mastocytes → histamine = anaphylaxie] et proposent plutôt que les neutrophiles et les basophiles soient principalement à l’origine du choc, en libérant du PAF suite à l’agrégation de leurs récepteurs aux IgG, les FcγRIIIA et les FcγRIV. Les neutrophiles étant la population leucocytaire humaine majoritaire, et des IgG anti-allergène étant présents chez les allergiques, ce nouveau mécanisme de l’anaphylaxie, décrit pour l’instant uniquement chez la souris, pourrait contribuer au choc anaphylactique chez l’homme. Ce mécanisme « alternatif » dépendant des IgG et des neutrophiles pourrait être responsable de cas d’anaphylaxie indépendants des IgE, et même contribuer, avec les mécanismes « classiques » faisant intervenir des IgE et des mastocytes, à la gravité des chocs anaphylactiques.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Montage photo : M. J.M. Panaud, Image et reprographie, Institut Pasteur, Paris, France.

Références

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© 2011 médecine/sciences – Inserm / SRMS

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Cinétique d’activation de neutrophiles in vivo durant le choc anaphylactique actif. Des souris 5KO immunisées avec l’allèrgene ont été anesthésiées, injectees avec l’allergène par voie intraveineuse et 5 mn plus tard avec du luminol par voie intrapéritonéale. Les images représentent l’accumulation de photons libérés par la dégradation du luminol pendant l’intégralité de la duree de l’expérience (grande image de gauche) ou à des intervalles successifs d’acquisition de photons de 2 min (cinetique) ordonnées de haut (t=0) en bas, et de gauche à droite, sur un total de 20 min (petites images de droite). La quantité de photons, proportionnelle à l’activité de la MPO (myéloperoxydase) et donc à l’activation des neutrophiles in vivo, est représentée par un code couleur (du moins intense [jaune pâle] au plus intense [rouge vif] surimposé à une photographie en noir et blanc de la souris).

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