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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 27, Number 4, Avril 2011
Page(s) 359 - 361
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2011274009
Published online 28 April 2011

Le transcriptome d’une cellule représente l’ensemble des molécules d’ARN codant et ne codant pas pour des protéines. L’émergence des nouvelles techniques de séquençage à haut débit permet à présent d’appréhender la complexité d’un transcriptome entier. Ces études ont montré qu’une majeure partie du génome, chez l’homme, était transcrite [1] et que la proportion et le rôle des ARN ne codant (ncARN) pas pour des protéines étaient largement sous estimés [2].

La cellule, un monde ARN ?

Il est admis que de multiples classes d’ARN non codants (ncARN) participent aux mécanismes essentiels (voire primitifs) de la machinerie cellulaire. Ces ARN interviennent notamment lors de la traduction des ARN messagers (ARNm) en protéines grâce aux ARN ribosomaux et aux ARN de transfert. Le contrôle de l’épissage implique, entre autres, les petits ARN nucléaires (small nuclear). Plus récemment, l’inactivation spécifique de l’expression de certains gènes par les microARN (miARN) a été mise en évidence [3, 11] ().

(➜) Voir l’article de L. Amrouche et al., page 398 de ce numéro

Les connaissances sur le nombre, la localisation et le rôle des longs ARN non codants (lncARN) restent partielles, contrairement à celles sur les ncARN de petites tailles. On définit arbitrairement les lncARN comme ayant une taille supérieure à 200 nucléotides et ne codant pas pour des protéines [10]. Cette définition est généralement affinée en fonction de la localisation du lncARN, c’est à dire intergénique ou bien chevauchant (sens ou anti-sens) un (ou des) gène(s) codant(s) pour des protéines. De plus, la quantité de grands transcrits non codants annotés dans le génome humain est certes en constante expansion, mais reste assez variable selon les bases de données (de 4 000 à plus de 10 000 [4]).

Grâce à la mise à disposition croissante de séquences caractérisant des transcriptomes complets (RNA-Seq)1, on peut anticiper que ces estimations sont bien loin du nombre réel chez l’homme. Par exemple, une étude exhaustive visant à séquencer plusieurs transcriptomes de souris a démontré que le nombre de lncARN murins se situait autour de 35 000 [5].

À l’instar des 21 000 gènes humains environ codant pour des protéines et dont les fonctions biologiques ne sont pas encore toutes connues, le rôle spécifique du répertoire des lncARN reste à élucider. Cependant, des travaux pionniers sur quelques lncARN permettent de les impliquer dans une régulation de la transcription du génome [10], souvent par leur modification de la structure de la chromatine. Ainsi, le lncARN Xist, d’une taille d’environ 19 kb, contrôle l’inactivation d’un des deux chromosomes X durant la différenciation précoce des cellules souches embryonnaires chez les placentaires femelles [12] (). Plus récemment, une classe de lncARN intergéniques a été mise en évidence chez la souris par une approche de caractérisation des patrons de méthylation de la chromatine renforçant le lien entre lncARN, épigénétique et niveau d’expression [6]. Un autre exemple de lncARN concerne HotAIR qui peut réprimer la transcription du locus HOXD en modifiant l’état de méthylation de la chromatine et donc l’expression de ce locus.

(➜) Voir m/s juinjuillet 2008, page 584

Identifier et caractériser les longs ARN non codants

Dans le but d’analyser à grande échelle la fonction des lncARN, nous avons utilisé l’annotation Gencode [4] du génome humain, produite dans le cadre du projet ENCODE (Encyclopedia of DNA elements) [1], qui vise à identifier tous les éléments fonctionnels du génome. Pour cela, une combinaison d’outils bioinformatiques, de données expérimentales et de vérifications réalisées par des experts en annotation a permis d’identifier les régions transcrites du génome humain par l’alignement de séquences exprimées totales (ADNc) ou partielles (EST, expressed sequence tags) ou de transcriptomes complets. Ensuite, leur définition est affinée en les classant par catégories fonctionnelles : les gènes codant pour des protéines, les gènes non codants, les pseudogènes ou encore les gènes polymorphiques (dont la séquence codante varie en fonction des polymorphismes entre individus).

En utilisant cette annotation, nous avons identifié 3 019 nouveaux transcrits non codants ayant une taille moyenne de 800 nucléotides et exclusivement localisés entre les régions de gènes codant pour des protéines [7]. Ces lncARN ont certaines caractéristiques similaires aux gènes codant pour des protéines puisqu’ils sont épissés et que la moitié d’entre eux possèdent au moins un intron. Dans cette étude, seulement le tiers du génome couvert par l’annotation Gencode a pu être analysé, ce qui suppose, par projection, que le génome humain possèderait près de 10 000 longs ncARN intergéniques.

Contrairement aux petits ncARN (tels que les miARN), la conservation des séquences des lncARN mesurée grâce à des alignements multiples de 44 génomes de vertébrés [8] apparaît relativement faible ce qui rend leur identification par les approches de similitude de séquences (identification d’homologie) très délicate. Le faible niveau de conservation observé peut refléter une plus grande adaptabilité de ces séquences au cours de l’évolution par acquisition de mutations, à l’opposé des fortes contraintes sélectives qui s’exercent sur les séquences codant pour des protéines. Néanmoins, la conservation de séquences des lncARN, et plus particulièrement de celles de leurs promoteurs, est statistiquement plus forte que celle de régions du génome prises aléatoirement, ce qui renforce la probabilité d’un rôle fonctionnel de ces lncARN.

En utilisant des données de séquençage de 15 transcriptomes issus de 10 tissus et 5 lignées cellulaires [9], il s’avère que plus de 75 % des 3 019 lncARN sont exprimés dans au moins un tissu et cette expression semble spécifique du tissu analysé. Une caractéristique importante des lncARN concerne leur niveau d’expression qui est 10 à 20 fois plus faible que celui des transcrits produits à partir des gènes codant pour des protéines. Ceci souligne à nouveau la nécessité de séquençages en profondeur pour l’identification de transcrits faiblement exprimés.

Mise en évidence du rôle activateur de la transcription des longs ncARN.

La plupart des fonctions des lncARN décrites dans l’inactivation du chromosome X ou dans l’empreinte parentale (imprinting) ont mis en évidence leur rôle dans la répression de l’expression des gènes voisins codant pour des protéines. Afin de tester cette hypothèse, nous avons analysé la corrélation d’expression entre les lncARN et tous les gènes codants dans les 15 échantillons (provenant de tissus et cellules) mentionnés ci-dessus. De façon surprenante, nous avons trouvé que l’expression des lncARN est essentiellement corrélée positivement avec l’expression des gènes codant pour des protéines et que cette corrélation est plus forte avec des gènes voisins plutôt qu’avec des gènes distants sur le génome. Pour tester expérimentalement ces résultats, des petits ARN interférents (siARN) ciblant xclusivement les lncARN ont été utilisés. Un premier lncARN candidat (ncARN-a7) a été spécifiquement réprimé par l’utilisation de siARN. Nous avons ensuite évalué les conséquences de cette inactivation en mesurant le niveau d’expression des gènes situés dans une fenêtre de 1 Mb autour du lncARN (Figure 1). Comme prédit au niveau bioinformatique, l’inactivation du lncARN entraîne une répression concomitante de l’expression d’un gène voisin Snai1, ce qui implique un rôle activateur du ncARN-a7 sur la transcription du gène Snai1, dont l’expression a un rôle dans l’adhésion et la migration cellulaires. Nous avons répété ces expériences d’interférence pour plusieurs lncARN candidats et suggérons que ce mécanisme d’activation de la transcription serait généralisable. Les gènes activés par les lncARN ont des fonctions variées. Parmi ces gènes, ECM1 est impliqué dans la constitution de la matrice extra-cellulaire, KLHL12 (codant une E3 ubiquitine ligase) est un régulateur négatif de la voie Wnt bêta-caténine et SCL/TAL1 (stem cell leukemia, ou T cell acute leukemia) est un facteur important de la régulation de l’hématopoïèse.

thumbnail Figure 1

La région chromosomique du chromosome 20 humain (HSA20) aux environs de la position 48Mb est agrandie. (A) Ce locus, schématisé entre les pointillés en rouge, contient le long ARN non codant (LncARN-activateur (a) 7, ici en rouge) ainsi que cinq gènes codant pour des protéines (en orange). Les sens de transcription sont représentés par les flèches et par les brins plus et moins. (B) L’inactivation (knock-out) du ncARN-a7 par siARN provoque la répression spécifique du gène Snai1 dont la séquence codante est située en amont sur le brin opposé. L’expression des autres gènes n’est pas altérée. Six expériences indépendantes ont été réalisées ici; ** p < 0,01 (test de Student).

Le génome humain possède donc une forte proportion de longs ARN non codants pour des protéines. Une nouvelle classe de lncARN, certes modestement conservés et faiblement exprimés, régule l’activation de la transcription de gènes voisins au même titre que les régions activatrices de la transcription (enhancer). Cependant, à l’inverse des séquences enhancer qui activent la transcription par fixation de facteurs de transcription à l’ADN, c’est bien l’ARN qui est ici l’élément central de l’activation de la transcription même si le mécanisme d’activation reste à préciser. Une hypothèse intéressante serait que le lncARN servirait de plate-forme par similitude de séquence avec son gène cible pour favoriser le recrutement de protéines activatrices de la transcription. L’achèvement de l’annotation Gencode pour la totalité du génome humain permettra d’identifier l’ensemble du répertoire des lncARN et ainsi de préciser leurs rôles fonctionnels.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article


1

RNA-Seq : technique de séquençage haut-débit qui permet d’analyser qualitativement et quantitativement une population entière d’ARN dans un échantillon.

Références

  1. Projet Consortium ENCODE, BirneyE, StamatoyannopoulosJA, et al. Identification and analysis of functional elements in 1 % of the human genome by the ENCODE pilot project. Nature 2007 ; 447 : 799-816. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. AmaralPP, DingerME, MercerTR, MattickJS. The eukaryotic genome as an RNA machine. Science 2008 ; 319 : 1787-1789. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures

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La région chromosomique du chromosome 20 humain (HSA20) aux environs de la position 48Mb est agrandie. (A) Ce locus, schématisé entre les pointillés en rouge, contient le long ARN non codant (LncARN-activateur (a) 7, ici en rouge) ainsi que cinq gènes codant pour des protéines (en orange). Les sens de transcription sont représentés par les flèches et par les brins plus et moins. (B) L’inactivation (knock-out) du ncARN-a7 par siARN provoque la répression spécifique du gène Snai1 dont la séquence codante est située en amont sur le brin opposé. L’expression des autres gènes n’est pas altérée. Six expériences indépendantes ont été réalisées ici; ** p < 0,01 (test de Student).

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