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Med Sci (Paris)
Volume 26, Number 4, Avril 2010
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Page(s) | 343 - 346 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2010264343 | |
Published online | 15 April 2010 |
Les polyphosphates
Nouveaux acteurs plaquettaires qui associent thrombose et inflammation
Platelet polyphosphates: new mediators linking thrombosis with inflammation
Médecine/Sciences, ADR Inserm, Paris 5, 2, rue d’Alésia, 75014 Paris, France
Les polyphosphates (polyP) sont des polymères linéaires de phosphate inorganique (Figure 1A) dont la présence a été initialement observée dans des organismes procaryotes ou eucaryotes unicellulaires. Dans ces organismes, les polyP sont séquestrés dans des vésicules acides riches en calcium et pompes ioniques appelées acidocalcisomes, qui ont notamment pour rôle de maintenir le pH intracellulaire et la régulation osmotique [1].
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Figure 1. Les polyP plaquettaires sont activateurs de la phase contact de la coagulation et de la libération de bradykinine. A. Un polyP est un polymère d’unités orthophosphate liées par des liaisons phosphoanhydride. B. Au cours de leur activation, les plaquettes sécrètent de nombreux constituants, dont le contenu des granules denses contenant les polyP. C. Les polyP font partie des composants anioniques (considérés ici comme des « surfaces » négativement chargées) capables d’activer la voie intrinsèque (phase contact) de la coagulation (voir aussi la Figure 2). Le FXIIa, produit initialement par l’auto-activation du FXII au contact de la surface, active protéolytiquement la prékallicréine plasmatique en kallicréine, ce qui nécessite la présence de kininogène de haut poids moléculaire (KHPM). Celui-ci assure le contact du FXIIa et de la prékallicréine avec la surface. En présence de la surface et du KHPM, la kallicréine active d’autres molécules de FXII et libère le nonapeptide bradykinine par deux clivages protéolytiques à l’intérieur du KHPM (schéma inspiré de Kaplan et al. [13]). |
Les plaquettes sanguines contiennent des structures de type acidocalcisomes
Chez l’homme, l’existence d’acidocalcisomes n’avait pas été observée jusqu’à ce qu’intervienne la démonstration, en 2004, de fortes similitudes morphologiques et de composition entre ces structures et les granules denses, vésicules intracytoplasmiques des plaquettes sanguines [2]. Ainsi, les granules denses plaquettaires, du fait notamment de leur contenu important en polyP de longueur de chaîne autour de 80 unités phosphate (polyP80), représentent les seuls organites connus à ce jour qui auraient été conservés de la bactérie à l’homme au cours de l’évolution. Les granules denses jouent un rôle essentiel dans les fonctions des plaquettes activées, grâce à la sécrétion de leur contenu (calcium, sérotonine, ADP, ATP…) susceptible d’agir sur la vasodilatation, sur l’activation d’autres plaquettes, et sur les mécanismes procoagulants. À ces composants, il a donc fallu ajouter les polyP sécrétés, comme cela a été démontré in vitro sur les plaquettes isolées, sous l’effet d’agonistes activateurs tels que la thrombine (Figure 1B), le collagène ou le peptide 6 activateur du récepteur de thrombine (Trap6) [2, 3]. En corollaire, les polyP de longueur de chaîne supérieure à 45 unités phosphate (polyP45) modulent la coagulation et la fibrinolyse (lyse du réseau de fibrine, Figure 2) dans du plasma dépourvu de plaquettes, car ils activent la voie intrinsèque, dite phase contact, de la coagulation (voir ci-dessous et Figure 1), potentialisent l’activation du Facteur V1 de coagulation (Figure 2) [4], et solidifient la structure du caillot de fibrine [5]. Enfin, une étude collaborative internationale vient d’être publiée dans la revue Cell, démontrant que les polyP sécrétés par les plaquettes activées sont des modulateurs non seulement procoagulants mais aussi pro-inflammatoires in vivo dans un modèle murin [3], ce qui ajoute un mécanisme nouveau à ceux déjà connus associant thrombose et inflammation [6]. Ces résultats mettent aussi l’accent sur un nouveau rôle physiologique de la voie intrinsèque de la coagulation, considérée comme mineure in vivo, situation où prévaut une autre voie, dite extrinsèque (Figure 2). Ci-dessous, après une brève description non exhaustive de la voie extrinsèque, j’exposerai la manière dont les polyP plaquettaires sont impliqués à la fois dans la coagulation, par l’activation de la phase contact, et dans l’inflammation.
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Figure 2. Schéma simplifié des activations enzymatiques conduisant à la formation de thrombine et de fibrine. Les deux voies intrinsèque et extrinsèque sont schématisées. Les facteurs de coagulation sont indiqués par la lettre F suivie d’un chiffre romain et de la lettre a s’ils sont activés. PK : prékallicréine ; KHPM : kininogène de haut poids moléculaire ; les cofacteurs FVa et FVIIIa résultent de l’activation des FV et FVIII par la thrombine (présente à l’état de trace dans la circulation, puis nouvellement formée). Le FXIII activé par la thrombine (FXIIIa) rend le polymère de fibrine insoluble et stable, ce qui constitue le caillot de fibrine. PL : phospholipides (notamment les phosphatidylsérines présentes à la surface membranaire des plaquettes activées, voir la Figure 1B). |
Voie extrinsèque, ou du Facteur Tissulaire, initiatrice majeure de la coagulation sanguine
Selon le schéma classique, la coagulation qui est enclenchée au niveau d’une blessure résulte d’une cascade d’activations, par protéolyses enzymatiques, de zymogènes dits Facteurs de coagulation, qui pour la plupart d’entre eux circulent dans le sang où ils ont été sécrétés par les cellules productrices, majoritairement les hépatocytes. Ce processus très rapide qui conduit à la formation de thrombine puis d’un caillot de fibrine (Figure 2) est localement associé à d’autres évènements tout aussi essentiels parmi lesquels l’adhésion, l’activation et l’agrégation plaquettaires [7]. La coagulation est initiée au niveau de deux voies distinctes, qui convergent au niveau de l’activation du FIX (Figure 2). L’élément principal déclenchant la coagulation in vivo (selon la voie dite extrinsèque) résulte de l’expression de la glycoprotéine membranaire Facteur Tissulaire (FT) par des cellules présentes au niveau de la blessure, suivie de la formation de complexes entre le FT et le FVII activé (a) présent en petite quantité dans le sang circulant. Les complexes FT-FVIIa activent d’autres molécules de FVII et les FIX (le FIXa catalyse la formation de FXa) et FX, essentiels à la transformation protéolytique massive de prothrombine en thrombine (Figure 2). Cette cascade de protéolyses est amplifiée par d’autres protéines qui jouent le rôle de cofacteurs et régulée par des inhibiteurs [8].
Voie intrinsèque (ou phase contact) : un lien entre coagulation et inflammation
Activation du FXII et libération de la bradykinine
La voie intrinsèque de la coagulation est induite lorsque du sang est mis in vitro au contact d’une surface chargée négativement. Une surface anionique (le kaolin est généralement utilisé dans les analyses standard en laboratoire), provoque un changement de conformation du FXII favorisant son (auto)activation protéolytique en FXIIa. Dans une réaction qui implique un cofacteur, le kininogène de haut poids moléculaire (KHPM), le FXIIa formé protéolyse la prékallicréine (PK) plasmatique en kallicréine active, qui réciproquement active d’autres molécules de FXII [9] (Figures 1C et 2). Ce processus déclenche la cascade de la coagulation par activation par le FXIIa du FXI en FXIa (lui-même activateur du FIX, Figures 1C et 2). Nous avons montré en outre que la kallicréine formée clive le kininogène pour en libérer le nonapeptide médiateur d’inflammation bradykinine (BK) [10]. Bien que les réactions de la voie intrinsèque soient nécessaires, en tube à essai, pour une coagulation normale, les personnes ayant un déficit dans l’un des trois facteurs de la phase contact ne manifestent généralement pas de syndrome hémorragique. L’observation des patients présentant un déficit en FXII, dont le cas princeps, Mr Hageman [11], indiquerait même une légère augmentation du risque thrombogène. Pour cette raison, la phase contact est communément considérée comme ayant peu d’importance pour la coagulation in vivo, bien qu’elle puisse jouer un rôle dans l’inflammation, car la BK, en se liant à son récepteur, le récepteur B2 (B2R), active divers signaux à l’origine de la vasodilatation, du chimiotactisme des polynucléaires neutrophiles, et de l’augmentation de la perméabilité vasculaire. Au bout de plus de 40 ans de recherche, il est démontré que le FXII est activé au contact des plaquettes activées [12] et des cellules endothéliales, mais les mécanismes mis en jeu et la nature des molécules activatrices de la phase contact in vivo demeurent hypothétiques. Une variété de surfaces polyanioniques physiologiques (collagène, glycosaminoglycanes, acide ellagique…) activent le FXII in vitro, mais leur rôle in vivo reste à démontrer.
Les PolyP provoquent l’activation du FXII et la production de BK
Le travail de Müller et al. [3] a d’abord confirmé que les polyP (100 µg/ml) activent la phase contact dans les plasmas humain et murin en interagissant fortement avec le FXII, l’hydrolyse préalable des polyP avec la phosphatase abolissant l’activation. Les auteurs ont ensuite pertinemment montré non seulement que les polyP induisent la génération de BK dans les plasmas in vitro, mais aussi que leur injection intradermique induit la formation, BK-dépendante, d’œdèmes sur la peau de souris sauvages. Les œdèmes ne sont pas observés si les souris sont invalidées pour les gènes codant pour B2R ou pour le FXII. L’effet prothrombotique des polyP in vivo a été ensuite démontré par injection intraveineuse de polyP (300 µg/g de poids corporel) chez la souris. Au bout de 5 min, presque toutes les souris sauvages (14/15) meurent par embolie pulmonaire, alors que les souris FXII−/− sont protégées, 12 d’entre elles (sur 15) survivant au-delà de 30 min. Cette protection contre la thrombose est abolie chez les animaux FXII−/− lorsque l’administration intraveineuse de FXII humain est effectuée avant le traitement par les polyP. Enfin, une dernière illustration de l’importance des polyP pour l’hémostase a été fournie par l’étude des plaquettes isolées de patients souffrant du syndrome Hermanski-Pudlak (HPS), syndrome hémorragique dû à la réduction ou à l’absence des granules denses plaquettaires dans lesquels sont stockés les polyP. In vitro, le potentiel procoagulant fortement altéré des plaquettes HPS activées (analysées dans du plasma normal dépourvu de plaquettes) est restauré après addition de polyP. Ainsi, les polyP d’origine plaquettaire paraissent être des inducteurs physiologiques de l’activation de la thrombose par la phase contact de coagulation, et stimulent les processus inflammatoires dépendants de la BK. Dans leur article, Müller et al. émettent l’idée que les polyP pourraient donc constituer une nouvelle cible pharmacologique dans les maladies inflammatoires et les thromboses, sans pourtant donner la preuve que la concentration locale en polyP sécrétés par les plaquettes au cours de ces évènements chez l’homme le justifie. Les effets clairement démontrés dans la publication l’ont été à l’aide de quantités substantielles de polyP, très importantes comparé à celles qui peuvent être estimées dans les plaquettes2.
Conflit d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
108 plaquettes contiennent ~ 0, 9 nmoles de polyP [2], soit 5,7 µg de polyP80 (PM : 6336).
Références
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Figure 1. Les polyP plaquettaires sont activateurs de la phase contact de la coagulation et de la libération de bradykinine. A. Un polyP est un polymère d’unités orthophosphate liées par des liaisons phosphoanhydride. B. Au cours de leur activation, les plaquettes sécrètent de nombreux constituants, dont le contenu des granules denses contenant les polyP. C. Les polyP font partie des composants anioniques (considérés ici comme des « surfaces » négativement chargées) capables d’activer la voie intrinsèque (phase contact) de la coagulation (voir aussi la Figure 2). Le FXIIa, produit initialement par l’auto-activation du FXII au contact de la surface, active protéolytiquement la prékallicréine plasmatique en kallicréine, ce qui nécessite la présence de kininogène de haut poids moléculaire (KHPM). Celui-ci assure le contact du FXIIa et de la prékallicréine avec la surface. En présence de la surface et du KHPM, la kallicréine active d’autres molécules de FXII et libère le nonapeptide bradykinine par deux clivages protéolytiques à l’intérieur du KHPM (schéma inspiré de Kaplan et al. [13]). |
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