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Med Sci (Paris)
Volume 26, Number 4, Avril 2010
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Page(s) | 339 - 341 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2010264339 | |
Published online | 15 April 2010 |
L’oncogenèse entretenue par une boucle de transformation autocrine
Transient transformation as a permanent oncogenic loop
Centre de lutte contre le cancer Paul Papin, Inserm U892, 2, rue Moll, 49033 Angers, France
La notion d’« addiction oncogénique »
À la suite de mutations ou de réarrangements chromosomiques, les protéines impliquées dans les processus de division cellulaire acquièrent la capacité de transformer les cellules et d’induire un processus de cancérisation [1]. Dans la plupart des cas, cette activité anormale se traduit par une activation excessive des complexes cyclines/cdk qui induisent la progression vers la phase S. En réponse à la phosphorylation de la protéine Rb (rétinoblastome), les facteurs de transcription E2F sont activés de manière anormale, aboutissant à un déclenchement inapproprié de la réplication de l’ADN. Face à cette activité oncogénique, la cellule dispose de mécanismes de protection qui induisent la mort cellulaire via l’induction de la sénescence, de l’autophagie ou de l’apoptose [2–4]. Ces mécanismes sont déclenchés soit par le stress réplicatif consécutif à un fonctionnement anormal des fourches de réplication, soit par les produits du locus INK4/Arf [5, 6]. Ces évènements aboutissent à l’activation des suppresseurs de tumeurs Rb et p53 et à l’induction de p21waf1 ou de la voie Puma-Bax. Dans des conditions normales, le déclenchement d’une activité oncogénique est donc un évènement contrôlé qui aboutit à la mort cellulaire [7]. La progression du processus de transformation implique donc l’inactivation de ces mécanismes de protection. On pense généralement que l’échappement tumoral repose sur une pression oncogénique constante permettant l’acquisition de modifications génétiques additionnelles et l’acquisition d’avantages sélectifs. Cette influence continuelle a abouti à la notion d’« addiction oncogénique » selon laquelle la viabilité d’une cellule tumorale dépend de l’activation continuelle d’une voie oncogénique alors que celle-ci n’est pas forcément nécessaire à la viabilité d’une cellule normale. La caractérisation pour chaque tumeur de ce mécanisme d’addiction permettrait au niveau clinique de cibler la voie essentielle à la survie des cellules tumorales. Si elle se révèle applicable, cette notion sera un enjeu majeur pour rationaliser l’utilisation des thérapies ciblées.
La compréhension des mécanismes de transformation cellulaire vient d’être approfondie de manière importante par le laboratoire de Kevin Struhl [8]. Ces travaux ont caractérisé le processus de transformation induit par l’oncogène Src. Cette kinase sous membranaire est connue pour être suractivée dans de nombreux cancers et sa capacité à transformer les cellules repose en partie sur l’activation directe des facteurs de transcription STAT3 [9, 10]. Ces protéines, une fois activées, migrent dans le noyau pour induire une expression anormale des gènes impliqués dans le cycle cellulaire, la survie et le processus métastatique [11]. La caractérisation initiale de ce processus a montré que la transformation cellulaire induite par v-Src repose sur une suractivation des gènes Myc et Cycline D par STAT3, aboutissant à une progression anormale de la phase G1. Dans ce modèle, il était supposé que cette voie oncogénique était induite de manière constante et que la phosphorylation de STAT3 par Src était un phénomène direct et initiateur.
Une petite « pincée » de src suffit à enclencher un processus tumoral
Les travaux d’Iliopoulos et al. montrent de manière surprenante qu’une induction courte de src est suffisante pour induire la transformation de cellules mammaires [8]. Cinq minutes d’expression permettent la formation et le maintien de mammosphères1 qui témoignent d’un processus cellulaire tumoral. Ces résultats indiquent également que l’activation de STAT3 par Src n’est probablement pas directe mais que cet effet repose sur l’activation du facteur de transcription NF-κB et sur l’induction d’une boucle autocrine de production d’IL(interleukine)-6 (Figure 1). Cette cytokine est induite en réponse à l’expression du micro(mi)ARN LIN28B qui permet la dégradation de let7. Le miARN let7 inhibe normalement la production d’IL-6 en se fixant sur la partie 3’UTR de l’ARNm de cette cytokine. La dégradation de let7 permet donc une production autocrine d’IL-6 qui va ensuite induire l’activation de STAT3 et l’expression des gènes nécessaires à la transformation cellulaire. L’IL-6 étant éκB, sa production autocrine réactive le facteur de transcription et l’expression du miARN LIN28B et, par voie de conséquence, maintient la perte de let7 et la boucle autocrine d’IL-6. Selon ce modèle, l’activation de STAT3 n’est plus une conséquence directe de l’activation de src mais elle est plutôt due à une production secondaire d’IL-6.
Figure 1. La voie oncogénique STAT3-NF-κB comme boucle de transformation. Un événement déclenchant transitoire par un oncogène (ici Src) induit NF-κB, qui induit le miARN LIN28B, qui à son tour lève l’inhibition de la transcription du gène de l’IL-6 par let7. La cytokine est alors sécrétée et elle active la voie STAT-3, en même temps qu’elle entretient via NF-κB une boucle autocrine d’inhibition de let7. |
Ce travail présente des perspectives cliniques intéressantes. D’une part, les conclusions obtenues semblent en partie généralisables puisque la transformation par l’oncogène ras s’appuie également sur une activation de la voie IL-6-NF-κB et sur la perte de let7. Ces résultats pourraient donc également concerner des tumeurs addictives à l’oncogène ras qui n’étaient pas vraiment connues pour reposer a priori sur l’activation de la voie IL-6-STAT3. D’autre part, en mesurant l’expression d’ARN messagers dans les tissus sains ou cancéreux, les auteurs montrent que les quantités de let7 dans différents types tumoraux sont inversement proportionnelles aux taux d’IL-6 détectés. La signature NF-κB+STAT3+LIN28B+let7- pourrait donc être caractéristique de l’agressivité tumorale et pourrait également définir une population tumorale qui serait particulièrement sensible à des thérapies ciblées dirigées contre la voie IL-6-STAT3. Cependant, ces résultats pourraient compliquer l’utilisation des thérapies ciblées. En effet, ces dernières reposent pour la plupart sur l’idée de caractériser et d’inhiber l’oncogène addictif d’une tumeur. Selon cette étude, l’utilisation de médicaments dirigés contre src comme le dasatinib ne présenterait que peu d’intérêt dans une tumeur exprimant des formes actives de cette kinase, puisqu’elle serait devenue dépendante de NF-κB-STAT3.
Autonomisation du processus cancéreux vis-à-vis de l’oncogène déclenchant
Ces travaux montrent donc que la transformation cellulaire induite par les oncogènes ras ou src induit une boucle d’activation NF-κB-LIN28B-IL-6-STAT3 et un état de transformation cellulaire qui devient indépendant de l’induction oncogénique initiale (Figure 1). Ce travail conforte des observations récentes montrant que la coopération STAT3-NF-κB joue un rôle essentiel dans la transformation cellulaire [12]. Il est probable que l’association entre ces deux facteurs de transcription soit également un élément clef dans ce modèle. Ces résultats suggèrent également que l’activation de STAT3 par l’oncogène Src pourrait être indirecte alors qu’on pensait que cette interaction entre la kinase et le facteur de transcription était un évènement précoce et initiateur. La nécessité d’un lien direct entre STAT3 et Src devient alors moins évidente, puisque en réponse à une boucle autocrine de production d’IL-6, la phosphorylation du facteur de transcription repose normalement sur les kinases de type JAK (Janus kinase).
Il est important de noter que cette boucle d’activation permet manifestement à la cellule d’échapper aux mécanismes la protégeant d’une activité oncogénique. Comme nous le décrivons ci-dessus, une activation anormale de la voie NF-κB-STAT3 devrait se traduire par l’activation des suppresseurs de tumeurs p53 et Rb via le locus INK4-Arf ou par une induction du stress réplicatif. Le modèle cellulaire utilisé par les auteurs ne correspond pas à des cellules primaires mais à des cellules immortalisées présentant une délétion du chromosome 9 entraînant une inactivation du locus INK4/Arf. Si les protéines p14Arf et p16INK4 ne sont plus fonctionnelles dans ce modèle, il est probable que les cellules ayant la signature NF-κB+STAT3+LIN28B+let7- ont une forte instabilité génétique due au maintien du stress réplicatif. Il sera donc particulièrement intéressant de répéter cette induction transitoire de src dans des cellules primaires pour déterminer si cette voie oncogénique peut se mettre en place dans des conditions normales ou si son apparition repose au préalable sur un évènement initial de transformation.
Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
Les mammosphères sont des cellules de glande mammaire proliférant sous la forme d’agrégats cellulaires (sphères). Beaucoup de cellules de différents tissus peuvent croître sous cette forme (neurosphères, colonosphères, etc.), généralement favorisée par un milieu sans sérum et l’ajout de cytokines de type FGF et EGF.
Références
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Figure 1. La voie oncogénique STAT3-NF-κB comme boucle de transformation. Un événement déclenchant transitoire par un oncogène (ici Src) induit NF-κB, qui induit le miARN LIN28B, qui à son tour lève l’inhibition de la transcription du gène de l’IL-6 par let7. La cytokine est alors sécrétée et elle active la voie STAT-3, en même temps qu’elle entretient via NF-κB une boucle autocrine d’inhibition de let7. |
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