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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 26, Number 3, Mars 2010
Page(s) 223 - 224
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2010263223
Published online 15 March 2010

La première difficulté lorsque l’on aborde le vieillissement est d’en définir précisément le phénomène. Certaines, parmi les trois cent théories sur le sujet, distinguent vieillissement, fonction du temps chronologique, et sénescence, intrinsèque à l’organisme. Selon que l’on s’intéresse au vieillissement moléculaire ou cellulaire, on mettra en avant le raccourcissement des télomères ou le stress oxydatif. Si l’on est démographe, on ne manquera pas de mettre en avant la révolution que le monde vit actuellement. En effet le vieillissement de la population mondiale s’accélère ; ce que la vieille Europe a vécu en 150 ans, l’Asie, et plus particulièrement la Chine, sont actuellement en train de le réaliser en une génération [1].

Quoi qu’il en soit, le vieillissement se caractérise par une incapacité progressive à s’adapter aux conditions variables de l’environnement [2]. Pour une cellule, un individu ou même une société, il ne s’agit donc pas d’un phénomène « normal » à proprement parler, mais au contraire d’une incapacité plus ou moins grande à faire face en termes biologiques, psychologiques, sociologiques au temps qui passe. Le vieillissement est donc plus ou moins réussi selon la vitesse et le degré d’altération des capacités d’adaptation.

Les capacités de l’organisme humain à s’adapter aux conditions variables de l’environnement sont liées à de multiples facteurs, intervenant à tous les âges de la vie, permettant une régénération, une réparation ou une compensation selon que l’organe ou la fonction sont restaurés à l’identique ou qu’ils utilisent différentes stratégies pour obtenir in fine un équivalent de la fonction. Ce sont ces capacités d’adaptation ou de compensation qui permettent à l’organisme de répondre aux maladies neurodégénératives, elles-mêmes très liées au vieillissement [3]. Les lésions de la maladie d’Alzheimer dans les formes communes sporadiques (plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires) se développent de manière insidieuses dès l’âge de 30-40 ans. Détectées dans le cortex entorhinal dans plus de 40 % des cas entre 45 et 50 ans, les dégénérescences neurofibrillaires sont présentes dans cette même région dans 100 % des cas à l’âge de 80 ans [4]. Ces lésions sont d’abord cliniquement indétectables puis, au fur et à mesure de leur présence dans le lobe temporal puis les aires associatives, elles se manifestent par une atteinte subtile des fonctions cognitives ne conduisant pas à une plainte ou à un recours aux soins [5]. La maladie clinique n’apparaît que lorsque l’équilibre entre l’étendue et les effets des lésions et les capacités d’adaptation ou de compensation est rompu [3]. Cela explique, par exemple, qu’un grand nombre de sujets porteurs des lésions importantes de maladie d’Alzheimer dans le cerveau à l’autopsie ne présentaient pas de leur vivant de manifestations cliniques de la maladie [6] ; probablement parce que leurs capacités d’adaptation leur permettaient de compenser les effets de ces lésions. Ces capacités d’adaptation et de compensation sont constituées et entretenues tout au long de la vie. Elles se traduisent vraisemblablement au niveau de la structure du cerveau par des modification morphologiques cellulaires et tissulaires : les volumes de substances grises et blanches plus importants, les réseaux de connexions plus riches et plus efficaces [3]. Le niveau d’études, la profession, les activités de loisirs stimulantes, mais aussi le contrôle des facteurs de risque vasculaire, l’activité physique et la nutrition, l’humeur contribuent à renforcer et/ou à préserver ces capacités. Les travaux expérimentaux chez l’animal indiquent qu’un environnement enrichi, des activités stimulantes et des activités physiques renforçaient ces capacités de réserve. Elles induisent notamment une neurogenèse plus importante dans l’hippocampe [7], structure cérébrale essentielle dans les processus de mémoire épisodique et spécifiquement atteinte dans la maladie d’Alzheimer.

Dans ce numéro de Médecine/Sciences, Séverine Sabia et al. (→) [8] montrent que la profession et les comportements de santé entre 40 et 60 ans ont une influence sur les fonctions cognitives qui seront ultérieurement dégradées dans le cadre d’une maladie d’Alzheimer, notamment la mémoire épisodique. Ces recherches ont été réalisées sur la cohorte Whitehall II qui est constituée de fonctionnaires anglais. Elles renforcent d’autres travaux menés dans la même tranche d’âge, notamment en Suède et portant sur l’activité physique [9]. Des essais d’intervention sociale (on ne peut pas parler ici d’essais cliniques proprement dits) ont par ailleurs montré qu’il était possible d’améliorer les capacités fonctionnelles des sujets âgés de plus de 65 ans, notamment par des ateliers de stimulation cognitive [10]. Les résultats présentés par S. Sabia et al. plaident en faveur du développement d’action de prévention précoces dans la vie des gens, entre 40 et 60 ans, si l’on souhaite pouvoir préserver, voire enrichir, les capacités de réserve, et finalement « réussir » son vieillissement en favorisant l’adaptation aux effets du temps qui passe.

(→) voir l’article de S. Sabia et al., page 319 de ce numéro

Tout le monde n’est malheureusement pas logé à la même enseigne. Certains sujets ont la chance d’avoir une profession où ils s’épanouissent, peu ou pas de facteurs de risque vasculaire, une alimentation de type méditerranéen [11] (→), une activité physique régulière, un environnement affectif et familial favorable. Il leur suffit de continuer à vivre ainsi. D’autres n’ont pas cette chance, mais ils ont la capacité de réagir, et de modifier leurs comportements de santé et leurs activités de loisirs pour réussir leur vieillissement. D’autres, enfin, n’ont pas cette capacité. Ils sont alors particulièrement fragiles et c’est dans cette partie de la population que doivent se développer des essais de prévention.

(→) m/s 2007, n° 6-7, page 756

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Pison G. Tous les pays du monde. Population et Sociétés 2009 (juillet/août), n° 458. [Google Scholar]
  2. Robert L. Le vieillissement, faits et théories. Paris : Flammarion, 1995. [Google Scholar]
  3. Stern Y. Cognitive reserve. Neuropsychologia 2009; 47 : 2015–28. [Google Scholar]
  4. Braak H, Braak E. Frequency of stages of Alzheimer-related lesions in different age categories. Neurobiol Aging 1997; 18 : 351–7. [Google Scholar]
  5. Amieva H, Le Goff M, Millet X, et al. Prodromal Alzheimer’s disease: successive emergence of the clinical symptoms. Ann Neurol 2008; 64 : 492–8. [Google Scholar]
  6. Nelson PT, Braak H, Markesbery WR. Neuropathology and cognitive impairment in Alzheimer disease: a complex but coherent relationship. J Neuropathol Exp Neurol 2009; 68 : 1–14. [Google Scholar]
  7. Kempermann G. The neurogenic reserve hypothesis: what is adult hippocampal neurogenesis good for ? Trends Neurosci 2008; 31 : 163–9. [Google Scholar]
  8. Sabia S, Ankri J, Singh-Manoux A. Approche « vie entière » dans l’étude du vieillissement cognitif. Med Sci (Paris) 2010; 26 : 319–24. [Google Scholar]
  9. Andel R, Crowe M, Pedersen NL, et al. Physical exercise at midlife and risk of dementia three decades later: a population-based study of Swedish twins. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2008; 63 : 62–6. [Google Scholar]
  10. Willis SL, Tennstedt SL, Marsiske M, et al. Long-term effects of cognitive training on everyday functional outcomes in older adults. JAMA 2006; 296 : 2805–14. [Google Scholar]
  11. Puel C, Coxam V, Davicco MJ. Régime méditerranéen et ostéoporose. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 756–60. [Google Scholar]

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