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Med Sci (Paris)
Volume 24, Number 6-7, Juin-Juillet 2008
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Page(s) | 575 - 576 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20082467575 | |
Published online | 15 June 2008 |
« Je te tiens, tu me tiens »… Dormance tumorale : un équilibre instable ?
Tumor dormancy: is adaptative immunity a key player ?
Inserm, U837, E3 « Facteurs de persistance des cellules leucémiques », Institut de Recherche sur le Cancer de Lille, Place de Verdun, 59045 Lille, France
Service des Maladies du Sang, Centre Hospitalier et Universitaire de Lille, Hôpital Huriez, Rue Polonovski, 59037 Lille, France
Le phénomène de dormance tumorale
On désigne sous le terme « dormance tumorale » la situation où un petit nombre de cellules tumorales persistent en équilibre avec l’hôte pendant une période prolongée, sans que la tumeur ne croisse. Ce phénomène peut exister au décours d’un traitement cytotoxique sous forme de maladie résiduelle et est objectivé par des rechutes survenant parfois plusieurs décennies après le diagnostic initial [1]. La détection des cellules tumorales dormantes chez les patients en rémission complète est extrêmement difficile, mais a pu être rapportée dans quelques travaux. Par exemple, des cellules néoplasiques circulantes ont été identifiées chez des patientes en rémission complète jusqu’à 22 ans après le diagnostic initial de cancer du sein [2]. Toutefois, la plupart de nos connaissances dans ce domaine proviennent de modèles expérimentaux où l’on s’efforce d’induire un état d’équilibre entre l’hôte et les cellules malignes. Ce peut être réalisé dans des modèles d’inhibition de l’angiogenèse, de déficits de facteurs du microenvironnement, et surtout d’induction de réponses immunes anti-tumorales [3]. Des dormances prolongées pendant plus d’un an ont ainsi pu être obtenues dans des modèles murins de lymphome B contrôlés par des anticorps anti-idiotypiques, et de leucémies aiguës dont l’évolution est contenue par des lymphocytes T cytotoxiques et natural killer [4–7]. L’intérêt de ces modèles est d’avoir démontré que les cellules tumorales dormantes pouvaient échapper aux réponses immunes, soit en inhibant activement les lymphocytes T par l’expression de molécules inhibitrice comme B7-H1 (PD-L1), soit en développant des mécanismes endogènes de résistance à l’apoptose comme des boucles autocrine de cytokines, la dérégulation des voies JAK/STAT, ou des mutations de p53.
Un autre aspect possible du phénomène de dormance tumorale est le maintien en situation d’équilibre de lésions néoplasiques infracliniques pendant des période prolongées avant le diagnostic. Par exemple, des cellules tumorales disséminées au niveau médullaire peuvent être détectées en proportion minime (1 par million) chez des patientes porteuses de cancers du sein peu évolués [8]. Ces cellules peuvent rester dormantes pendant des années, voire peut être indéfiniment chez certaines patientes. Ce phénomène d’équilibre prolongé avant le développement tumoral clinique avait été postulé de longue date, mais sa modélisation expérimentale n’avait encore jamais pu être établie.
Équilibre tumoral et immunité
L’équipe de Robert Schreiber a récemment rapporté dans la revue Nature le développement d’un modèle murin de dormance tumorale en apparence très simple [9]. Les souris sont injectées avec du méthylcholantrène, puissant carcinogène. Une première vague d’animaux (20 %) développe des sarcomes durant les 200 premiers jours et est éliminée de la cohorte. Les animaux restants ne développent pas de tumeurs, mais les cellules cancéreuses sont bel et bien là, leur développement étant bloqué par le système immunitaire ; mais, en cas de déficit immunitaire, induit par exemple par une déplétion des lymphocytes CD4 ou CD8, ou après l’administration d’anticorps bloquant l’interféron gamma ou l’interleukine 12 - deux cytokines impliquées dans l’immunité adaptative - la tumeur se développe. A contrario, la déplétion des animaux en cellules NK -actrices de l’immunité innée - n’a aucun effet. La même expérience réalisée dans des souris ayant un déficit de l’immunité adapative (invalidées pour Rag-1 or −2), montre que la plupart des sarcomes surviennent dans les 200 premiers jours. L’analyse histologique des sites d’injections du méthylcholantrène chez les souris immunocompétentes révèle la présence de micro-masses tumorales de quelques millimètres dont le volume ne varie pas pendant des mois. Les cellules qui composent ces masses « stables » sont clairement malignes puisqu’elles forment rapidement des sarcomes lorsqu’elles sont injectées à des souris déficitaires pour l’immunité adaptative. Le plus intéressant est que loin d’être quiescentes, ces cellules tumorales se divisent activement mais ont dans le même temps un taux d’apoptose élevé. Elles sont par ailleurs plus immunogènes que les cellules isolées de sarcomes prolifératifs puisqu’elles se développent difficilement une fois transplantées dans un hôte immunocompétent. La conclusion des auteurs de cet article est qu’il existe un équilibre prolongé entre la réponse immune adaptative et les populations de cellules tumorales dormantes ; la perte de l’immunogénicité des cellules tumorales ou la survenue d’un déficit immunitaire chez l’hôte, faisant basculer cet équilibre en faveur de la croissance tumorale.
Dormance tumorale et immunité : des conclusions dépendantes des modèles ?
Le modèle décrit par l’équipe de Robert Schreiber est important car il démontre que l’échappement du phénomène de dormance peut être induit assez facilement, ce qui n’était pas le cas dans les modèles rapportés jusqu’ici. Il faut toutefois le mettre en perspective. Comme indiqué plus haut, le phénomène de dormance tumorale (ou plutôt de tumeur asymptomatique) survenant au cours du développement initial d’une pathologie tumorale est probablement assez différent de celui qui prévaut lors de la persistance de cellules tumorales résiduelles après traitement. Dans ce dernier cas, les cellules résiduelles ont déjà subi une phase de sélection, éventuellement renforcée par les cytotoxiques reçus. L’équilibre s’établit donc entre une population de cellules tumorales fortement résistantes et la réponse immune. Par ailleurs, les cellules tumorales étudiées par l’équipe de R. Schreiber sont en quantité relativement abondante. En fait, il est probable que la « dormance » s’établit pour des quantités de cellules très faibles, comme nous l’avons montré dans le modèle DA1-3b [7]. Le rôle de l’immunité adaptative a déjà été mis en évidence dans d’autres modèles, mais les cellules NK contribuent à l’éradication des cellules dormantes dans le modèle DA1-3b [6]. Il est d’ailleurs un peu dommage que les travaux des équipes européennes soient peu ou pas cités dans l’article de R. Schreiber, ni d’ailleurs dans l’éditorial qui lui est associé et qui semble découvrir le sujet ; cela aurait aidé les lecteurs à identifier les éléments spécifiquement nouveaux apportés par ce modèle [10]. Il n’en reste pas moins que l’écho trouvé par ce travail va susciter la mise au point de nombreux nouveaux modèles de dormance tumorale, contribuer à l’expansion rapide de la thématique, comme en témoignent les excellentes revues générales récemment publiées [1], et conforter le dynamisme des recherches dans le domaine de l’immunothérapie [11, 12].
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