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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 23, Mars 2007
Protéomique clinique en oncologie
Page(s) 9 - 12
Section M/S revues
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2007231s9
Published online 15 March 2007

© 2007 médecine/sciences - Inserm / SRMS

L’utilisation de nouveaux biomarqueurs identifiés par les technologies de protéomique nécessite la maîtrise des facteurs de variations biologiques, pré-analytiques et analytiques afin qu’ils soient interprétables à des fins de diagnostic, de prédiction de risque ou de suivi thérapeutique. Il est important de suivre les stratégies proposées en biochimie clinique par les instances nationales [1] et internationales [2]. La maîtrise des facteurs de variations analytique et biologique intra- et inter-individuelles permet l’obtention de valeurs de référence et de limites de décision, qui sont des données incontournables pour déterminer la spécificité et la sensibilité de chaque marqueur protéique et peptidique dans une application donnée.

Les procédures de standardisation et de validation ont permis d’améliorer l’exactitude et la précision des méthodes de dosage. Cependant, il persiste beaucoup d’incertitudes dues aux paramètres pré-analytiques, principalement par manque de protocoles standardisés. La raison majeure est qu’il est très difficile de maîtriser toutes ces variables car beaucoup d’entre elles restent encore inexplorées. Le pourcentage d’erreur peut atteindre plus de 70 %. L’hémolyse, par exemple, peut être à elle seule responsable d’une inexactitude de près de 50 %.

Il existe plusieurs types de facteurs de variation. Certains sont plus facilement contrôlables que d’autres. Parmi ces derniers, il y a ceux concernant le protocole de prélèvement et de stockage avant l’analyse : type de tube de prélèvement, présence d’inhibiteur de protéases, durée de stockage avant centrifugation et stockage après traitement, mode de transport, etc. En dehors des paramètres individuels (sexe et âge) qui devraient être connus, mais qui ne sont pas toujours pris en compte pour l’interprétation des résultats, d’autres données sont à recueillir lors du prélèvement : régime alimentaire, grossesse, cycle menstruel pour la femme, activité sportive, position lors du prélèvement, durée de maintien du garrot.

Facteurs de variations biologiques à collecter lors du prélèvement

Ce sont ceux qu’il faut citer en premier et qui concernent l’état du patient. Son statut hormonal peut influer sur les résultats de dosages protéiques. Il peut exister des variations au cours du cycle menstruel. La grossesse et la ménopause influencent le taux de nombreuses substances, particulièrement les protéines de l’inflammation et celles régulées par les hormones concernées. Parmi les autres facteurs importants, il faut citer : la durée du jeûne, la consommation de tabac et d’alcool, de caféine ou de narcotiques. En effet, ces produits peuvent créer des modifications d’ordre métabolique et modifier certaines protéines enzymatiques ou les apolipoprotéines [3]. Le prélèvement doit être effectué 12 h après le dernier repas, de préférence le matin. Le taux de protéines augmente de quelques pour cent après un repas classique [4].

Les variations circadiennes peuvent être importantes également. Si l’on prend l’exemple de sICAM-1, l’heure du prélèvement, la prise alimentaire et le stress peuvent occasionner des erreurs pré-analytiques de 10 %. Un autre paramètre important difficile à maîtriser est l’état du patient et la prise de médicaments : les médicaments peuvent influer les résultats des analyses biologiques, soit par un effet sur le métabolisme (induction par exemple), soit en interférant avec les méthodes de dosage. La prise d’anticoagulant peut modifier la vitesse de formation du caillot et favoriser la présence de fibrine. Des auto-anticorps et anticorps hétérophiles peuvent perturber les dosages immunologiques. L’activité sportive est elle-même un facteur de variation : après un effort, les activités de la créatine kinase peuvent être augmentées de 4 fois, celles la de pyruvate kinase de 2,6 fois. Un entraînement prolongé de 3 mois fait baisser le taux de BNP [5].

Facteurs de variation liés à la conduite du prélèvement

Lors du prélèvement, il faut tenir compte des conditions de réalisation et tous les paramètres devraient pouvoir être standardisés.

La position du patient est importante : en position debout, les taux de la plupart des analyses macromoléculaires augmentent jusqu’à 15 %. C’est le cas, entre autres, pour l’albumine, les apolipoprotéines et tout particulièrement la rénine [6].

La durée de maintien du garrot est souvent inconnue et pourtant cette donnée est très utile. Lors de la pose du garrot, un effet comparable à celui de la position est observé, les macromolécules sont bloquées et la période de maintien ne doit pas excéder une minute. Le taux de protéines et de substances liées aux protéines ainsi que les facteurs de coagulation sont augmentés, même pour des périodes courtes entre 1 et 3 minutes. L’hémolyse est une cause très importante d’er-reurs. Elle peut être due à une conservation trop longue du sang avant centrifugation, une aspiration à l’aiguille, une agitation violente, un tube sous vide mal rempli ou à un stockage trop long dans un tube de prélèvement sous vide. Les interférences optiques dues à la couleur de l’hémoglobine sont alors possibles et dépendent de la longueur d’onde de détection. De plus, la rupture de la paroi cellulaire libère, en plus de l’hémoglobine, des composes cellulaires qui peuvent être source d’erreurs. Il existe des facteurs de corrections, mais ceux ci n’ont qu’une valeur relative.

En ce qui concerne le choix du matériel de prélèvement, il faut savoir qu’il existe des effets dus à la composition du plastique du tube, ainsi qu’au type d’anticoagulant utilisé : le tube de prélèvement peut provoquer un relargage de composants interférant avec l’identification des macromolécules. Ceci est facilement observé en spectrométrie de masse, avec l’apparition de polymères parasites [7]. Les tubes doivent donc être testés pour leur interférence potentielle avec la mesure. Une évaluation systématique des matériaux de collecte est indispensable en vue d’une standardisation.

Le choix du tube de prélèvement et de l’anticoagulant est fondamental : l’héparinate de lithium est le plus utilisé. Il inhibe l’activité de la phosphatase alcaline, pourtant c’est lui qui provoque le moins d’interférences. Il peut cependant causer des problèmes en spectrométrie de masse : c’est une molécule fortement chargée qui peut empêcher la liaison des molécules à la surface des chips fonctionnalisées utilisées lors de profiling de type SELDI-TOF [8]. De plus, pour certains coffrets de dosage de TNFα et d’IL-6 par technique ELISA, il n’est pas recommandé d’utiliser l’héparine. Par ailleurs, l’EDTA qui inhibe la phosphatase alcaline et la créatine kinase, interfère avec le dosage de nombreuses enzymes. En effet, il fixe les cations divalents, ce qui n’est pas souhaitable lorsque l’on veut quantifier des molécules liées à ces cations (E-selectine par exemple). En revanche, l’insuline est stable à température ambiante pendant 24 h dans un tube contenant de l’EDTA, alors qu’elle ne l’est pas dans le sérum. Les délais concernant l’ajout d’EDTA sont également importants à connaître, par exemple, des concentrations 10 fois plus importantes ont été trouvées lors du dosage du récepteur soluble de l’IL-2, lorsque le prélèvement a été réalisé sur tube contenant de l’EDTA par rapport à l’ajout d’EDTA au sérum après centrifigation du sang. Le citrate se lie au calcium et peut donner des valeurs faussement basses par un effet de dilution.

L’emploi d’inhibiteurs de protéases est très utile : alors que leur stabilité est relativement importante dans le sérum ou le plasma, les protéines présentes dans les extraits cellulaires sont détruites en quelques heures voire en quelques minutes, ceci à 4°C et parfois même à − 20°C. Les extraits cellulaires devraient, pour cette raison, être stockés en présence d’inhibiteurs de protéases, sauf lorsqu’il est nécessaire de réaliser une digestion trypsique. L’utilisation d’un inhibiteur de protéases est bénéfique lorsqu’il est apporté initialement dans le tube de prélèvement. Il est préférable d’utiliser un inhibiteur qui produise des liaisons non-covalentes afin de ne pas modifier les protéines.

Le prélèvement sans anti-coagulant est souvent recommandé pour le dosage des protéines. Cela est vrai pour les molécules d’adhérence comme la E-sélectine, mais pas pour la P-sélectine. Le fait de prélever sur tube sans additif peut provoquer un relargage de P-sélectine provenant des plaquettes. En spectrométrie de masse, le fait d’utiliser le sérum plutôt que le plasma fait perdre environ 40 % des signaux. Il n’y a donc pas de choix absolu valable pour toutes les protéines.

Actuellement, un gel de séparation est souvent utilisé. Son emploi suppose une centrifugation rapide et des conditions parfaitement maîtrisées. Des dysfonctionnements analytiques ont été observés en particulier pour le dosage d’hormones libres [9].

En résumé, vu la nécessité de standardiser, le plasma EDTA est conseillé par le groupe de travail HUPO. Un travail récent sur les métalloprotéases [10] a montré une différence entre le sérum et différentes préparations de plasma affectant la sensibilité et la spécificité de la mesure de la concentration en MMP-9 auprès de sujets atteints de carcinome rénal (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Effet du traitement de l’échantillon sur la concentration en MMP-9 dans le sérum et le plasma. Conséquences sur la valeur du diagnostic. A. Mesure de la concentration de MMP-9 auprès de 8 témoins adultes en bonne santé : sérum+ : avec activateur de coagulation, sérum− : sans activateur de coagulation, héparinate de lithium, citrate de sodium, EDTA. B. Mesure dans le plasma et le sérum auprès de 78 témoins et de 33 patients atteint de carcinome rénal. C. Courbes de ROC en tant qu’indicateur de diagnostic. Les aires sous les courbes sont significativement différentes (p<0001) entre sérum et plasma

Facteurs de variation post-prélèvements

Il existe des paramètres incontrôlés dans la plupart des cas par manque de standardisation. Il s’agit des modalités de manipulation des échantillons. La période entre le prélèvement et l’analyse doit être réduite au minimum. Il faut éviter le stockage du sang total, agiter immédiatement après prélèvement, même pour les tubes « sérum » qui contiennent un activateur de coagulation, et centrifuger dans un rotor à tubes verticaux à + 20°C (sauf pour les échantillons fragiles qui doivent être traité à + 4°C).

Des molécules de nature ou de structure proche peuvent ne pas avoir la même stabilité : c’est le cas pour sVCAM-1 dont la concentration diminue lorsque les périodes avant centrifugation et congélation sont supérieures à 15 minutes chacune. Au contraire, nous avons constaté que sICAM-1 reste stable lorsque ces périodes n’excèdent pas chacune 1 heure (non publié). Ces exemples montrent que pour chaque nouvelle molécule à étudier, il est indispensable de réaliser une mise au point en fonction des conditions particulières rencontrées. Le taux circulant de TNFα augmente et celui d’IL-6 diminue dans des échantillons avec EDTA non centrifugés pendant 4 h [11].

La durée de transport et la température ont un effet considérable sur les échantillons. Le plasma et le sérum doivent être séparés du sang en moins de 2 h. Dans le cas contraire, il est recommandé que les échantillons de sang total soient conservés à température ambiante, plutôt qu’à + 4°C, afin éviter l’hémolyse. La stabilité maximale du plasma ou du sérum peut être obtenue dans des tubes fermés à 4°C ou − 20°C lorsque le matériel biologique n’est pas stable à cette température, voire − 80°C ou dans l’azote liquide. Les cycles de congélations/décongélations successifs doivent être évités. Afin de supprimer des résidus de fibrine dans les échantillons, une nouvelle centrifugation avant l’analyse ou l’utilisation de filtres séparateurs est recommandée.

Les mauvaises conditions de conservation des échantillons à température ambiante peuvent faire apparaître ou disparaître des signaux de protéines détectables en spectrométrie de masse. Cependant, il n’est pas possible de généraliser car certaines molécules sont moins stables lorsqu’elles ont été stockées congelées que celles conservées à température ambiante. C’est en particulier le cas pour l’activité de la phosphatase alcaline. En revanche, le taux d’IL-6 est stable après 6 cycles de congélation/décongélation, alors que celui du TNFα augmente de 17 % après 3 cycles [11].

Lorsque le contact avec le caillot est trop long, il se produit un relargage plaquettaire provoquant une augmentation d’environ 15% des taux de protéines. Il est recommandé, en fonction des analyses, de procéder à l’élimination des plaquettes avant congélation, en utilisant une centrifugation à grande vitesse pendant 20 minutes ou une combinaison centrifugation-filtration. Par ailleurs, l’effet de la turbidité ne doit pas être négligé : les lipides en trop forte concentration peuvent produire une turbidité qui peut induire des interférences optiques avec les analyses. Les triglycérides en concentrations trop importantes doivent être éliminés par ultracentrifugation ou précipitation. Enfin, certaines molécules sont photosensibles et il faut en tenir compte lors des manipulations.

Conclusions

Il est impossible de produire des recommandations universelles pour toutes les espèces protéiques et pour toutes les situations pré-analytiques. Chaque protéine particulière devrait pouvoir faire l’objet d’une standardisation des différentes étapes, avec le recueil d’un maximum d’informations concernant les individus. La stabilité de toutes les molécules doit être vérifiée, afin de travailler dans les conditions les moins dénaturantes possibles. Cette étape est d’autant plus complexe que les techniques actuelles permettent de mesurer en même temps un nombre important de molécules. S’il est facile de rendre un résultat, il est également facile aussi d’être à l’origine d’une donnée incorrecte. Des nouvelles techniques non invasives (iontophorèse) sont prometteuses. Elles permettront, si elles sont applicables aux protéines de grande taille, de diminuer considérablement les variations pré-analytiques dues aux prélèvements sanguins.

Références

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  4. Steinmetz J, Panek E, Souriau F, Siest G. Influence of food intake on biological parameters. In : Siest G, ed. Reference values in human chemistry. Basel : Karger, 1973 : 195–200. [Google Scholar]
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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Effet du traitement de l’échantillon sur la concentration en MMP-9 dans le sérum et le plasma. Conséquences sur la valeur du diagnostic. A. Mesure de la concentration de MMP-9 auprès de 8 témoins adultes en bonne santé : sérum+ : avec activateur de coagulation, sérum− : sans activateur de coagulation, héparinate de lithium, citrate de sodium, EDTA. B. Mesure dans le plasma et le sérum auprès de 78 témoins et de 33 patients atteint de carcinome rénal. C. Courbes de ROC en tant qu’indicateur de diagnostic. Les aires sous les courbes sont significativement différentes (p<0001) entre sérum et plasma

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