Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 22, Number 12, Décembre 2006
Page(s) 1020 - 1022
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/200622121020
Published online 15 December 2006

Les nouveaux paradigmes de la biologie

La complexité du vivant a de tout temps fasciné le biologiste qui l’a décrite mais n’a pu la saisir dans sa globalité. La génomique n’a pas fait qu’apporter une connaissance des génomes complets d’organismes, elle a amené le biologiste à considérer l’organisme vivant comme un ensemble borné que l’on pouvait globalement quantifier et non pas seulement décrire. La génomique et la génomique fonctionnelle n’ont pas simplement construit un ensemble de techniques permettant d’appréhender une cellule dans son exhaustivité mais elles ont aussi changé les paradigmes de la biologie. Au dogme simplificateur de l’étude des objets « un gène, une protéine, une pathologie » se substitue le paradigme des relations entre objets « un module transcriptionnel, un réseau de régulation, un ensemble de symptômes ». Et grâce à l’apparition des techniques de l’-omique, nous sommes en train de passer d’une description qualitative à une prédiction quantitative de la complexité du vivant, en d’autres termes de la biologie à la biologie globale (system biology pour nos confrères anglo-saxons) [1].

Pour déchiffrer la complexité du vivant, nous pouvons suivre les pas de Jacques Monod et décrire quantitativement les différents niveaux de régulation du vivant, entre autres :

  • régulation de la quantité de protéines et des modifications covalentes via l’analyse protéomique ;

  • régulation de l’activité ou de la structure des complexes protéiques par des modulateurs allostériques.

Ces niveaux de régulation sont sous le contrôle de signaux (calcium, AMP cyclique…) activés par des stimulus externes ou internes à la cellule.

Le signal calcium, un point d’entrée pour déchiffrer le vivant

À partir des années 1950, des outils d’investigation remarquables ont été créés afin d’étudier le signal calcium, notamment les tampons calciques (EDTA, EGTA, BAPTA) puis les sondes calciques (Fluo3, Indo4) et enfin des systèmes permettant de le perturber à volonté (calcium libérable d’une molécule cagée) [2, 3].

La connaissance du génome humain permet un recensement quasiment exhaustif des gènes codant pour les canaux calciques (générateurs du signal), des pompes et des échangeurs (suppresseurs du signal) et des protéines de liaison du calcium (première étape de déchiffrage du signal calcium). Des bases de données nettoyées et annotées des gènes codant pour des protéines impliquées dans la signalisation calcique sont en train d’être constituées [4]. Elles sont des noyaux de nucléation et de structuration des connaissances nécessaires pour modéliser puis simuler les réseaux de régulation calcique dans une cellule à un moment donné et dans un état physiologique spécifique.

Comme en physique, nous pouvons confronter les simulations d’un modèle théorique avec les résultats expérimentaux obtenus en perturbant le système biologique et en regardant son retour à l’équilibre. Des outils ont ainsi été développés pour perturber un système biologique au niveau génétique (inactivation ou modification des gènes), au niveau transcriptionnel (modification du contenu en transcrits par l’utilisation d’ARN interférents par exemple) et au niveau protéique par l’utilisation d’outils pharmacologiques (petites molécules capables d’interagir spécifiquement avec une forme protéique précise). Ces outils agissent dans des domaines de temps différents allant de la génération pour l’inactivation génique à la minute pour l’outil pharmacologique. Ils sont indispensables pour mettre en place des modèles du vivant, d’abord pour aider à simuler, et donc à prédire la complexité du vivant, avant peut-être d’essayer de développer des théories explicatives du vivant.

Dès 1997, avec Marcel Hibert, nous nous sommes aperçus que si des efforts importants étaient consentis pour se donner les moyens de perturber le vivant au niveau des gènes et des transcrits, peu d’équipes travaillaient sur le développement d’outils pharmacologiques ayant pour but de perturber les protéines. Les technologies nécessaires pour le développement de petites molécules biologiquement actives sont plutôt l’apanage des grandes entreprises pharmaceutiques. De plus, une multidisciplinarité active entre pharmacochimistes et biologistes se doit d’exister, ce qui nécessite l’existence d’une masse critique de chimistes et de biologistes dans un même bâtiment (en 1997, seule la faculté de pharmacie de Strasbourg présentait en France cette caractéristique, fruit d’une histoire vieille de plus de vingt ans).

Des outils pour modéliser puis pour expliquer le vivant

Trouver et optimiser des molécules qui interagissent spécifiquement avec une conformation protéique nécessite trois unités fonctionnelles :

  • pour rassembler les molécules synthétisées dans les laboratoires publics afin de constituer une collection de molécules qui pourront ensuite être testées. En partant des molécules qui constituent le patrimoine du laboratoire de pharmacochimie de Strasbourg, une chimiothèque a commencé à être mise en place en utilisant les procédures et les formats en cours dans l’industrie pharmaceutique. Cette initiative a été étendue au niveau national et constitue aujourd’hui la chimiothèque nationale qui fédère les collections de molécules de plus de 17 laboratoires. Demain, cette collection devrait devenir une collection académique européenne de molécules (http://chimiotheque-nationale.enscm.fr/) ;

  • pour constituer la collection des parties codantes d’une famille de gènes (génothèque) d’intérêt dans un vecteur d’expression eucaryote ou procaryote afin de les exprimer et de les purifier pour constituer une ciblothèque. C’est ce travail qui a commencé et devrait être amplifié pour les gènes codant pour les protéines intervenant dans le signal calcium.

  • pour mettre en œuvre des essais génériques pour détecter les molécules de la chimiothèque qui interagissent spécifiquement avec les éléments de la ciblothèque. Nous avons utilisé les techniques de fluorescence pour réaliser ces types d’essai, le transfert d’énergie par résonance de fluorescence (FRET) pour les protéines membranaires et l’anisotropie de fluorescence pour les protéines solubles.

La plate-forme de chimie biologique intégrative de Strasbourg rassemble ces trois unités fonctionnelles et permet ainsi de mettre en place des essais de criblage à moyen et haut débit de la chimiothèque nationale en partant de cibles exprimées et purifiées. Les molécules ainsi trouvées sont alors optimisées afin de devenir des outils de recherche permettant, en perturbant la protéine visée, d’en déchiffrer son rôle fonctionnel. Après avoir validé cette approche sur des protéine kinases dont l’activité est dépendante de la calmoduline [5], nous sommes en train de généraliser cette approche à la famille des protéines liant le calcium et à la calmoduline en particulier. La disponibilité d’une famille de molécules capables d’interagir avec différentes conformations de la calmoduline, et ainsi de perturber de manière différentielle les diverses fonctions de cette protéine, devrait permettre de disséquer le rôle de la calmoduline (mais aussi à terme des différentes protéines de liaison du calcium) dans une cellule eucaryote dans un état physiologique défini.

La connaissance de la fonction des calciprotéines permet alors de valider leur rôle dans un état physiopathologique. Les molécules interagissant spécifiquement avec la cible thérapeutique validée deviennent alors des points de départ pour développer des candidats médicaments dans la pathologie étudiée. Nous savons que la calmoduline en particulier, et les calciprotéines en général, sont impliquées dans de nombreuses pathologies. Mais nous ne connaissons pas leurs rôles exacts et nous ne possédons pas encore de molécules avec une bonne spécificité d’action. Ainsi, si des inhibiteurs du signal calcique existent et sont utilisés pour valider le rôle de protéines impliquées dans cette signalisation dans diverses pathologies [6, 7], ceux-ci sont souvent peu spécifiques et ne permettent pas actuellement de développer des médicaments avec de bonnes chances de succès. Il y a fort à parier que les prochaines années verront se développer des molécules spécifiques des calciprotéines qui seront des outils de recherche importants pour la compréhension de la signalisation calcique. La France avec la création du GDR signal calcium a les compétences et les forces pour jouer un rôle important dans ce domaine.

Les thérapies de demain : une molécule pour la maladie et des biomarqueurs pour le malade

Par cette approche nouvelle qui met en synergie la quête de molécules (outils de recherche mais aussi candidats médicaments), nous pensons que les protéines impliquées dans la signalisation calcique, et en particulier les protéines capables de lier le calcium, sont en passe de devenir des cibles thérapeutiques importantes [8, 9]. Si, actuellement, la famille protéique, qui constitue le gisement le plus important de cibles thérapeutiques, est la famille des récepteurs couplés aux protéines G (en amont du signal calcium et du signal AMP cyclique), des médicaments agissant sur les protéines impliquées dans la transduction du signal calcium (en particulier les protéine kinases) sont en train d’apparaître dans les différentes phases d’essais cliniques. Le travail réalisé sur la famille des calciprotéines n’a pas seulement pour objectif de trouver des outils de recherche et des candidats médicaments, mais il permet aussi de suivre la régulation de l’expression génique de cette famille et de pouvoir l’utiliser comme biomarqueurs dans les pathologies cancéreuses et inflammatoires [1012]. Des éléments de la sous-famille S100 des protéines liant le calcium constituent déjà des biomarqueurs importants dans le mélanome et la maladie d’Alzheimer mais aussi dans la plupart des pathologies inflammatoires tant centrales que périphériques et dans le suivi thérapeutique de ces maladies, permettant ainsi une stratification des patients. La thérapie de demain associera une molécule ayant pour cible thérapeutique d’une pathologie, une protéine de liaison du calcium et des biomarqueurs utilisant le niveau d’expression d’un ensemble de calciprotéines afin de suivre l’évolution thérapeutique du malade.

Références

  1. Liew CC, Ma J, Tang HC, et al. The peripheral blood transcriptome dynamically reflects system wide biology: a potential diagnostic tool. J Lab Clin Med 2006; 147 : 126–32. [Google Scholar]
  2. Giepmans BN, Adams SR, Ellisman MH, et al. The fluorescent toolbox for assessing protein location and function. Science 2006; 312 : 217–24. [Google Scholar]
  3. Mank M, Reiff DF, Heim N, et al. A FRET-based calcium biosensor with fast signal kinetics and high fluorescence change. Biophys J 2006; 90 : 1790–6. [Google Scholar]
  4. Haiech J, Moulhaye SB, Kilhoffer MC. The EF-handome: combining comparative genomic study using FamDBtool, a new bioinformatics tool, and the network of expertise of the European calcium society. Biochim Biophys Acta 2004; 1742 : 179–83. [Google Scholar]
  5. Watterson DM, Haiech J, Van Eldik LJ. Discovery of new chemical classes of synthetic ligands that suppress neuroinflammatory responses. J Mol Neurosci 2002; 19 : 89–93. [Google Scholar]
  6. Haiech J, Cavadore JC, Le Peuch C. Calcium signal and calcium antagonists. J Pharmacol 1985; 16 : 215–25. [Google Scholar]
  7. Heizmann CW. The importance of calcium-binding proteins in childhood diseases. J Pediatr 2005; 147 : 731–8. [Google Scholar]
  8. Subramanian L, Polans AS. Cancer-related diseases of the eye: the role of calcium and calcium-binding proteins. Biochem Biophys Res Commun 2004; 322 : 1153–65. [Google Scholar]
  9. Braunewell KH. The darker side of Ca2+ signaling by neuronal Ca2+-sensor proteins: from Alzheimer’s disease to cancer. Trends Pharmacol Sci 2005; 26 : 345–51. [Google Scholar]
  10. Melle C, Ernst G, Schimmel B, et al. Different expression of calgizzarin (S100A11) in normal colonic epithelium, adenoma and colorectal carcinoma. Int J Oncol 2006; 28 : 195–200. [Google Scholar]
  11. Nielsen K, Vorum H, Fagerholm P, et al. Proteome profiling of corneal epithelium and identification of marker proteins for keratoconus, a pilot study. Exp Eye Res 2006; 82 : 201–9. [Google Scholar]
  12. Piazza O, Esposito G, De Robertis E, et al. S100B in Guillain-Barré syndrome. Br J Anaesth 2006; 96 : 141–2. [Google Scholar]

© 2006 médecine/sciences - Inserm / SRMS

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.