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Med Sci (Paris)
Volume 20, Number 12, Décembre 2004
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Page(s) | 1161 - 1162 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/200420121161 | |
Published online | 15 December 2004 |
La grotte miraculeuse
A miraculous cave
9, rue Basse, 54330 Clerey-sur-Brenon, France
En Indonésie, sur la petite île de Flores, à l’est de Java, la grottes de Liang Bua intéresse depuis longtemps les paléontologues. Les premières fouilles, faites par des religieux hollandais, débutèrent en effet en 1965. Ceux-ci n’auraient jamais pu imaginer que sous leurs pieds gisaient de minuscules êtres du genre Homo ayant coexisté avec Homo sapiens et qui vivaient encore il y a 18 000 ans.
C’est en septembre 2003 que des chercheurs australiens et indonésiens ont fait cette extraordinaire découverte qui vient d’être publiée en deux articles complémentaires dans le numéro du 28 octobre dernier de la revue Nature [1, 2].
À 5,9 m de profondeur a été mis à jour un squelette presque complet, dont certaines articulations étaient encore en place, un tibia replié sous le fémur. L’aspect des dents et des épiphyses ainsi que l’anatomie pelvienne indique qu’il s’agit d’une femme adulte. Bipède, elle mesure approximativement 1 mètre, elle pèserait 25 kg et serait âgée d’une trentaine d’années. Sa capacité endocrânienne (après réparation du crâne endommagé car extrêmement friable) est de 380 cm3. Son appareil masticatoire est beaucoup plus proche de celui des humains modernes que de celui des australopithèques (Figure 1).
Figure 1. Crâne d’H. floresiensis. |
Toutes les techniques de datation utilisées (carbone14, luminescence, résonance magnétique…) concordent pour révéler cette donnée stupéfiante : la dame de Flores vivait encore il y a 18 000 ans.
Pour bien comprendre le caractère étonnant de cette découverte, il faut se remémorer l’odyssée des hominidés. On sait que les Australopithèques (dont la plus célèbre, Lucy) ont vécu il y a 3 millions d’années. Puis le genre Homo est apparu et s’est ramifié en diverses espèces parmi lesquelles H. habilis, H. erectus, H. neandertalensis et enfin H. sapiens. Le fait que l’homme de Néandertal ait coexisté avec l’homme moderne de 100 000 ans à 30 000 ans c’est-à-dire pendant près d’une dizaine de milliers d’années avait déjà été une surprise. Mais nous étions loin de nous douter que bien plus tard coexistait encore avec H. sapiens une autre espèce d’Homo. Les humains modernes se trouvaient en Asie du Sud-Est, il y a environ 100 000 ans (Figure 2).
Figure 2. Place d’Homo floresiensis dans l’évolution et la dispersion du genre Homo. A. H. floresiensis serait issu des descendants d’H. erectus. B. (1) H. ergaster, H. erectus ; (2) H. georgicus ; (3) H. erectus javanais et chinois ; (4) H. neandertalensis ; (5) H. sapiens ; (6) H. floresiensis (d’après [4]). |
Quelle est l’origine d’H. floresiensis ? Les anthropologues qui l’ont découvert estiment qu’il serait issu d’un groupe d’H. erectus. Ils se seraient répandus en Asie et auraient atteint l’île de Flores. Là, ils auraient évolué vers un « nanisme insulaire » fréquemment observé parmi les espèces animales [3] (et dont l’origine serait différente de la petite taille des pygmées). Du reste, dans la même zone de fouilles, se trouvent des stégodons nains. Par rapport aux autres stégodons fossiles (une espèce de la famille des proboscidiens apparentée à l’éléphant) ils ont eux aussi subi la réduction de taille. En revanche, des ossements de dragons de Komodo, un des plus gros lézards connus actuellement (‹) ainsi que des restes d’autres espèces de varans ont été retrouvés dans cette même zone.
Les autres sites de la grotte de Liang Bua recèlent aussi toute une industrie lithique qui aurait débuté il y a 800 000 ans et qui se serait poursuivie puisqu’on en trouve quelques spécimens autour d’H. floresiensis : grattoirs, tranchoirs bifaces, lames, microlames, poinçons…
(‹) m/s 2002, n° 2, p. 158
Le début de cette industrie pourrait correspondre à la date d’arrivée des premiers H. erectus dans la grotte. Elle se serait poursuivie dans le temps et serait donc l’œuvre d’H. floresiensis.
Il subsiste encore bien des interrogations, et certains errements de l’anthropologie dans le passé incitent à la prudence.
Comment et à quelle époque la ligne de Wallace1, - considérée comme extrêmement difficile à traverser pour des espèces terrestres -, a pu être franchie par les hommes de Flores et les stégodons ?
Y a-t-il eu contact entre ces hommes et les hommes modernes, au cours du pléistocène tardif ?
L’analyse de l’ADN de la dame de Flores semble indispensable pour valider les conclusions des chercheurs, mais malheureusement, les tentatives d’extraction de l’ADN des stégodons nains de l’île (dans le même état de conservation) ont été jusqu’à présent vouées à l’échec.
Il n’en reste pas moins que cette découverte va encourager les recherches dans cette île où d’autres ossements d’H. floresiensis ont été découverts cette année et dans d’autres îles de la région.
Elle montre en tout cas que le genre Homo a des possibilités de réponse adaptative beaucoup plus importante qu’on ne le croyait. Elle peut aussi remettre en cause la théorie de l’origine exclusivement africaine de l’homme moderne.
Elle rappelle enfin les vieilles « légendes » de l’île de Sumatra où l’on raconte que des petits hommes vivaient encore dans les bois il n’y a pas bien longtemps…
Références
- Brown P, Sutikna T, Porwood MJ, et al. A new small-bodied hominin from the Late Pleistocene of Flores, Indonesia. Nature 2004; 431 : 1055–61. [Google Scholar]
- Morwood MJ, Soejono RP, Roberts RG, et al. Archeology and age of a new hominin from Flores in eastern Indonesia. Nature 2004; 431 : 1087–91. [Google Scholar]
- Lomolino MV. Body size of mammals on islands : the island rule re-examined. Am Nat 1985; 125 : 310–6. [Google Scholar]
- Lahr MM, Foley R. Human evolution writ small. Nature 2004; 431 :1043–4. [Google Scholar]
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Liste des figures
Figure 1. Crâne d’H. floresiensis. |
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Dans le texte |
Figure 2. Place d’Homo floresiensis dans l’évolution et la dispersion du genre Homo. A. H. floresiensis serait issu des descendants d’H. erectus. B. (1) H. ergaster, H. erectus ; (2) H. georgicus ; (3) H. erectus javanais et chinois ; (4) H. neandertalensis ; (5) H. sapiens ; (6) H. floresiensis (d’après [4]). |
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