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Med Sci (Paris)
Volume 19, Number 11, Novembre 2003
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Page(s) | 1161 - 1164 | |
Section | Repères : Perspectives/Horizons | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/200319111161 | |
Published online | 15 November 2003 |
SRAS : 2. La modélisation de l'épidémie
SARS-Cov: 2. Modeling SARS epidemic
Inserm U.444, 27, rue Chaligny, 75571 Paris Cedex 12, France
En juillet 2003, plus de 8000 cas de SRAS avaient ete rapportes a l’OMS sans que l’on sache comment et pourquoi cette affection avait diffuse en Asie et dans le reste du monde. On ignorait en particulier la duree d’incubation du SRAS, et le nombre de sujets contamines par un malade semblait varier beaucoup selon les situations. On ne savait pas non plus comment la maladie allait se propager. Les modeles mathematiques pouvaient apporter des elements de reponse a ces questions. Deux etudes publiees sur le SRAS ont utilise des modeles de type stochastique (prenant en compte les phenomenes aleatoires) et deterministe (traçant une trajectoire unique de l’epidemie pour un jeu de parametres et de conditions initiales fixes). Ils ont permis d’estimer que le taux de reproduction de base, ou nombre de cas secondaires pour un individu contagieux lorsque l’ensemble de la population est susceptible a l’agent viral, serait pour le SRAS compris entre 2 et 4 (voisin, mais plutot plus faible, que celui de la grippe, et bien inferieur a celui de la rougeole ou de la rubeole). Ces travaux suggerent cependant que le potentiel epidemique (voire pandemique) du SRAS pourrait etre redoutable en l’absence de mesures de prevention, et que celles qui ont vise a freiner sa transmission au printemps 2003 en limitant les contacts ont pu expliquer le controle efficace de l’epidemie. Si ces etudes aident a mieux comprendre et a reconstituer la transmission du SRAS a Hong Kong et Singapour, et contribuent a l’evaluation des mesures de maitrise du risque prises au niveau international, aucun des modeles proposes ne permet encore de prevoir le devenir de cette maladie emergente.
© 2003 médecine/sciences - Inserm / SRMS
Le 15 mars dernier, l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) a lance une alerte mondiale concernant la propagation du syndrome respiratoire aigu severe (SRAS), incitant les Etats membres a la plus grande vigilance sanitaire et recommandant la notification immediate des cas aux autorites internationales. Le 11 juillet 2003, 8437 cas de SRAS, issus de 32 pays ou regions administratives, dont 813 ayant entraine un deces, avaient ete rapportes a l’OMS (http://www.who.int/csr/sarscountry/). Si les biologistes moleculaires ont propose des le 13 avril 2003 la sequence complete du nouveau coronavirus ARN (→), les epide-miologistes, comme le rapportait un recent editorial de la revue Science[1], n’arrivaient pas a repondre a des questions apparemment simples, telles que : « Comment et pourquoi le SRAS cause par ce coronavirus a-t-il diffuse au sein des populations d’Asie et du reste du monde ? Quelle est la duree de la periode d’incubation ? Combien de temps les malades restent-ils contagieux ? Combien de personnes sont-elles contaminees par un malade ? Les methodes de maitrise de l’epidemie seront-elles suffisantes pour garder l’epidemie sous controle ? Le SRAS va-t-il persister, disparaitre ou revenir ? ».
(→ ) m/s p.885 2003, n°8-9
Face a ces questions cruciales, seuls les modeles mathematiques peuvent apporter des elements de reponse, parfois predictifs. En effet, les donnees epidemiologiques sont encore eparses, eminemment variables, et le recul sur cette nouvelle maladie est tres insuffisant pour permettre la comprehension de ses mecanismes.
Modelisation mathematique des maladies transmissibles
Un modele est une representation simplifiee de la realite. Il repose donc sur des paradigmes et sur une theorie. Pour les maladies transmissibles, le paradigme central est celui de la contagion inter-humaine. Depuis les annees 1920, toute la theorie mathematique des epidemies de maladies transmissibles repose sur les travaux de W.O. Kermack et A.G. McKendrick, c’est-a-dire sur des modeles de type SEIR, qui partagent la population en sujets susceptibles de contracter la maladie (S), sujets exposes (E), sujets infectieux (I) et sujets retires de la chaine de transmission (R) [2]. Il s’agit de modeles compartimentaux, initialement de nature deterministe (reposant sur des systemes d’equations qui tracent des trajectoires determinees et non variables pour decrire les nombres de sujets susceptibles, exposes, infectieux et retires de la chaine de transmission). Ces modeles reposent sur la loi d’action de masse qui indique que la vitesse de survenue des sujets infectieux dans la population est proportionnelle au produit du nombre des sujets infectieux par celui des sujets susceptibles a un instant donne. Ces modeles, dans leur forme initiale, font l’hypothese d’un risque de transmission homogene dans la population (panmixie). Par la suite, ces modeles ont ete affines en fonction des specificites de chaque maladie d’etude. Ils ont ete adaptes a l’etude des epidemies de rougeole, en tenant compte de la protection conferee par les anticorps maternels jusque vers l’âge de six mois. Ils ont ete appliques a la grippe, en considerant l’heterogeneite geographique et des epidemies. Ces modeles ont permis d’explorer - et le caractere saisonnier de mieux comprendre -les dynamiques epidemiques du Sida dans certaines populations et ont ete developpes et adaptes a la variole dans le contexte recent de la menace bioterroriste. Chez l’animal, le meme type de modeles a ete applique a l’etude de la fievre aphteuse. Pour le SRAS, les epidemiologistes modelisateurs ont applique les memes techniques apres quelques adaptations.
Il existe deux grands types de modeles mathematiques pour l’etude de la dynamique epidemique d’une maladie t r a n s m i s s i b l e: les modeles deterministes et les modeles stochastiques. Les modeles deterministes, que l’on vient de decrire a propos du modele SEIR, reposent sur des systemes d’equations differentielles non lineaires dont la programmation et la resolution, devenues aisees grâce a l’informatique, permettent de disposer tres rapidement de resultats. Ils presentent cependant le grand inconvenient de ne pas prendre en compte des evenements aleatoires ineluctables lors des demarrages epidemiques, comme les evenements a tres haut potentiel de contagion (super-spread events) qui ont eu une importance toute particuliere dans le cas du SRAS. A Hong Kong, le premier cas recense a l’Hotel Prince de Galles semble avoir contamine 125 personnes et le foye r initial du A m oy Gardenaurait entraine 300 cas secondaires dont on suspecte toujours, sans l’avoir formellement demontre, une origine environnementale et une contamination feco-orale. L’impact de tels evenements aleatoires sur les courbes epidemiques peut etre evalue a l’aide d’une autre methodologie appelee « stochastique ». Nous ne detaillerons pas ici les nombreuses techniques de modelisation stochastique, mais elles reposent toutes sur des simulations effectuees sur de puissants calculateurs où l’on peut programmer les contacts entre chaque individu d’une population avec un maximum de precision sur les probabilites de contacts inter-individuels. Ces probabilites ainsi que d’autres parametres du modele (duree d’incubation, duree des symptomes, delais de prise en charge par le systeme de soin) sont souvent variables et les programmes permettent pour chaque simulation de tenir compte de cette variabilite en la modelisant. Ainsi, chaque parametre ne prend pas une valeur constante comme c’est le cas dans les modeles deterministes, mais prend une valeur differente a chaque simulation, cette valeur fluctuant a l’interieur d’une loi de distribution qui reproduit au mieux la realite des fluctuations de ce parametre dans la nature. Chaque simulation reproduit donc le cours d’une epidemie avec ce jeu de parametres. On peut alors reiterer sur l’ordinateur plusieurs centaines ou milliers de simulations, toutes avec des jeux de parametres differents, et l’on obtient alors des intervalles de confiance autour des projections du modele. Ces modeles sont donc particulierement adaptes a l’etude d’epidemies de nouveaux agents infectieux pour lesquels on connait encore peu l’impact des evenements aleatoires initiaux. Ils sont cependant dependants de la precision des lois de distribution des parametres, comme nous l’avons explique ci-dessus, mais dans le cas des phenomenes emergents, on ne connait pas toujours exactement ces lois de distribution. Par exemple, dans le cas du SRAS, la loi de distribution de la duree de la periode d’incubation n’est pas connue avec precision. Par ailleurs, ces modeles sont souvent d’un maniement tres lourd et necessitent des heures, voire des journees de temps-calcul sur les ordinateurs les plus rapides.
Modeles mathematiques et SRAS
A ce jour et a notre connaissance, seules deux etudes de modelisation ont ete publiees concernant le SRAS. Nous n’evoquerons pas ici un travail de modelisation statistique qui a ete contributif au debat qui nous interesse [3], comme l’avaient ete les modeles de retrocalcul dans l’estimation de la duree d’incubation du Sida ou de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Les deux articles publies en juin 2003 par la revue Science[4, 5] concernent des modeles de type stochastique et deterministe. Ces deux travaux s’interessent a une notion centrale dans la theorie des epidemies, le theoreme du seuil, qui repose sur l’evaluation de la valeur du taux de reproduction (Rt) tout au long de l’epidemie. Le taux de reproduction est le nombre de cas secondaires engendres a partir d’un individu contagieux. Au demarrage epidemique, lorsque toute la population est susceptible, cette valeur se denomme R0. Des que Rt est superieur a la valeur 1, les conditions epidemiques sont reunies, alors qu’au-dessous de 1, le processus est sous controle. Les epidemiologistes classent le potentiel infectieux des maladies transmissibles selon la valeur du R0. Ainsi, pour la rougeole, qui avant la vaccination, presentait un haut potentiel epidemique, la valeur du R0etait voisine de 15, celle de la grippe etant de 4 a 5. Selon ces deux articles, si l’on enleve les evenements a tres haut potentiel de contagion (super-spread events), l’estimation du R0 p o u r le SRAS serait comprise entre 2 et 4. Cette estimation a ete faite en ajustant les modeles sur les series de donnees issues de Hong Kong et Singapour qui sont parmi les plus fiables et les plus nombreuses actuellement disponibles sur cette maladie. Le taux de reproduction de base (R0) est une quantite tres accessible aux decideurs en matiere de sante publique. En effet, dans un modele SEIR simple, R0 est egal au nombre de contacts des individus contagieux par unite de temps (disons par jour), multiplie par la probabilite de transmission du coronavirus par unite de temps, multiplie par la duree moyenne de la periode infectieuse. L’ajustement du modele aux donnees observees permet alors d’estimer ces trois parametres. En l’absence de super-spread events, Rtest simplement le produit de R0 par la proportion de sujets susceptibles de contracter la maladie restant dans la population. Au cours de l’epidemie, Rtdecroit du fait de la diminution du nombre de sujets susceptibles de contracter la maladie et de la mise en place des mesures de maitrise de l’epidemie. Comme nous l’avons vu, pour arreter l’epidemie, Rt doit etre maintenu au-dessous de 1. On comprend ainsi que des mesures comme la restriction des contacts ou le port de masques peuvent diminuer respectivement le nombre de contacts et la probabilite de transmission, la reduction du delai entre le debut des symptomes et l’hospitalisation permettant de reduire la duree de la periode contagieuse des cas, de meme que l’efficacite des mesures d’isolement a l’hopital. L’absence de mesures de maitrise de l’epidemie aurait conduit a des nombres de victimes considerables, puisque avec un R0de 2 ou de 3, en l’absence de mesures de controle et meme sans faire intervenir de super spread events, presque toute la population aurait ete atteinte [4, 5]. S. Riley et al. ont montre par simulation que la diminution de deux jours du delai entre le debut des symptomes et l’hospitalisation, des le 30e jour de l’epidemie, n’a pas d’effet sur l’evolution epidemiologique [4]. Ils ont alors ajoute a la mesure precedente la simulation d’une reduction de 50% des contacts intrahospitaliers et ont observe un inflechissement des courbes epidemiques simulees comparable a ce qui s’est produit dans la realite. La simulation de l’arret des transports interurbains a l’interieur de la province de Hong Kong a produit des effets similaires sur les courbes epidemiques.
Les deux equipes [4, 5] suggerent ainsi que le potentiel epidemique (et pandemique) du SRAS est redoutable en l’absence de mesures de prevention, et que la combinaison des mesures qui ont vise a freiner la transmission en limitant les contacts et en diminuant la periode de contagiosite a pu expliquer le controle efficace de l’epidemie. M. Lipsitch et al. [5] ont indique qu’une proportion de super spread eventssuperieure a 1 pour 300 cas de SRAS, entrainerait une resurgence epidemique importante malgre les mesures de maitrise instaurees au printemps dernier. Ils ont cependant evalue a 1 pour 1500 cette proportion lors de l’epidemie du printemps 2003 a Hong Kong, en precisant que ces evenements ont ete cependant trop rares et l’experience trop recente pour fournir une estimation fiable de la probabilite de survenue de ce phenomene.
Conclusions
Si les travaux publies ont permis une meilleure comprehension epidemiologique de la transmission du SRAS a Hong Kong et Singapour, aucun des modeles actuellement publies ne permet de prevoir l’avenir du SRAS. Reviendrat-il l’hiver prochain comme la grippe ? L’absence de diffusion dans l’hemisphere sud durant l’ete austral etait plutot interpretee comme un signe de bon augure, car l’on sait que la grippe peut etre a l’origine d’importantes epidemies en juillet et en août en Australie, Nouvelle-Zelande, Afrique et Amerique du Sud. Beaucoup d’autres questions restent en suspens, concernant notamment les interactions entre l’homme et l’animal et le role du reservoir animal de ce virus [6] (→). Une des conclusions majeures de ces travaux est que pour la comprehension d’une maladie emergente comme le SRAS, la qualite des estimations des parametres de transmission, les previsions proposees, et l’impact des differentes strategies de lutte contre la propagation de l’epidemie passent par la mise a la disposition des modelisateurs, de donnees epidemiologiques precises et detaillees. Des systemes d’information mis a jour en temps reel manquent presque partout dans le monde et ceux qui existent negligent le plus souvent l’etude des reservoirs animaux. Ainsi, tout (ou presque) reste a faire dans ce domaine.
(→) m/s 2003, n°8-9, p.885
Références
- Dye C, Gay N. Modeling SARS epidemic. Science 2003; 300: 1884–5. [Google Scholar]
- Kermack WO, McKendrick AG. A contribution to the mathematical theory of epidemics. Proc R Soc Lond 1927; A115: 700–21. [Google Scholar]
- Donnelly CA, Ghani AC, Leung GM, et al. Epidemiological determinants of spread of causal agent of SARS in Hong Kong. Lancet 2003; 361 : 1761–6. [Google Scholar]
- Riley S, Fraser C, Donnelly CA, et al. Transmission dynamics of the etiological agent of SARS in Hong Kong: impact of public health interventions. Science 2003; 300: 1961–6. [Google Scholar]
- Lipsitch M, Cohen T, Cooper B, et al. Transmission dynamics and control of severe acute respiratory syndrome. Science 2003; 300 : 1966–70. [Google Scholar]
- Guan Y, Zheng BJ, He YQ, et al. Isolation and characterization of viruses related to the SARS coronavirus from animals in Southern China. Science 2003; 302: 276–8. [Google Scholar]
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