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Med Sci (Paris)
Volume 18, Number 4, Avril 2002
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Page(s) | 393 - 395 | |
Section | Le Magazine : Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2002184393 | |
Published online | 15 April 2002 |
Entre Charybde et Scylla : le vieillissement prématuré est-il un prix à payer pour la protection contre les cancers ?
Between Charybde and Scylla: is a premature ageing a price to pay for avoi-ding cancer?
Inserm EMI U9922, Hôpital Bichat, Université Paris 7, 46, rue Henri Huchard, 75877 Paris Cedex 18, France
Le suppresseur de tumeur p53 - le gardien du génome - joue un rôle crucial dans la protection de nos cellules contre la plupart des agressions susceptibles d’entraîner des altérations génétiques, et donc le développement de cancers [1]. L’activation de la protéine p53, qui implique sa phosphorylation et son acé-tylation, peut provoquer deux types de réponse cellulaire à ces agressions : l’interruption de la division cellulaire et la réparation des altérations de l’ADN, ou le déclenchement de la mort cellulaire programmée. La présence, dans plus de la moitié des cancers humains, de mutations de p53 causant une perte de son activité, et la survenue précoce de tumeurs chez les souris dont le gène p53 a été délété, ont conduit à la notion que la protéine p53 joue un rôle « bénéfique » en empêchant la survenue de cancers [1]. Mais un article récent [2] suggère que p53 pourrait aussi avoir des effets « néfastes » : elle provoquerait, au niveau de l’organisme, un raccourcissement de l’espérance de vie en accélérant la survenue du vieillissement. Des souris transgéniques chez lesquelles l’activité de p53 est supérieure à la normale développent moins de tumeurs que les souris normales mais développent précocement certains signes de vieillissement et ont une longévité maximale réduite d’environ 20 % [2]. Ainsi, une activité anormalement élevée de p53 protégerait l’organisme très efficacement contre les cancers, mais accélérerait la survenue du vieillissement.
Inversement, on peut supposer qu’une activité anormalement basse de p53 pourrait avoir pour effet de retarder le vieillissement, mais ce bénéfice resterait virtuel en raison du développement précoce de tumeurs, abrégeant prématurément la vie. Le niveau d’activité « normal » de p53, tel qu’il a été sélectionné chez nos ancêtres au cours de l’évolution, représenterait une forme de compromis entre ces deux extrêmes. Tel Ulysse, essayant d’échapper à la fois à Charybde et à Scylla [3], chaque individu naviguerait du mieux possible entre deux monstres - le cancer et le vieillissement prématuré. Ces résultats ont d’autres implications inquiétantes : les traitements anticancéreux (radio- et chimiothérapie) qui ont pour effet d’augmenter l’activité de p53 pourraient, chez des patients jeunes qui guérissent de leur tumeur, réduire leur espérance de vie en accélérant leur vieillissement [4].
Il faut toutefois souligner que les résultats concernant la relation p53/vieillis-sement [2] posent des problèmes majeurs d’interprétation. En effet, les souris transgéniques étudiées sont hétérozygotes pour un transgène codant pour une protéine p53 anormale, tronquée dans la majeure partie de son domaine amino-terminal. L’expression de ce gène anormal semblerait avoir pour seule conséquence une activation de la protéine p53 normale (codée par l’allèle normal). Mais il est possible que cette protéine tronquée ait d’autres effets, d’autant plus difficiles à apprécier que la présence même de cette protéine anormale n’a pas pu, de manière surprenante, être détectée dans les cellules [2]. D’autres souris transgéniques ont permis d’obtenir des résultats en partie concordants, mais, là encore, l’interprétation pose des problèmes complexes [2]. Ainsi, si l’existence d’une relation causale entre activité p53 et vieillissement est une possibilité fascinante, elle reste, pour l’instant, à confirmer.
D’une manière plus générale, que faut-il penser de l’idée qu’une protéine, telle que p53, puisse exercer à la fois des effet « bénéfiques » et « néfastes » ? Cette notion qui peut, à première vue, paraître paradoxale, a été en fait proposée il y a plus de quarante ans par l’une des théories évolutionnistes du vieillissement [5]. Selon cette théorie, certaines des protéines qui jouent un rôle crucial dans notre développement, notre survie ou notre fécondité, pourraient aussi avoir pour effet parallèle d’accélérer notre vieillissement. À condition que cet effet « néfaste » ne se manifeste pas avant l’âge de la reproduction, les gènes codant pour ces protéines ont pu être sélectionnés au cours de l’évolution en raison du rôle important qu’ils ont joué dans la propagation de nos ancêtres, de génération en génération. En d’autres termes, les mécanismes qui accélèrent notre disparition pourraient être ceux-là mêmes qui nous ont permis de naître. Durant ces dernières années, des mécanismes de contrôle génétique du vieillissement et de la longévité ont été identifiés dans des organismes très éloignés, dont la levure, le petit ver Caenorhabditis ele-gans, la mouche du vinaigre et la souris [6]. L’un de ces mécanismes implique la protéine Sir2 (silent information regula-tor), une désacétylase très conservée à travers les règnes vivants et qui a pour effet de réduire l’expression de nombreux gènes. Dans les cellules de levure, la surexpression de Sir2 augmente la durée de vie, aussi bien la longévité réplicative (le nombre de cellules filles auxquelles une cellule peut donner naissance avant de devenir stérile et de mourir) que la longévité d’une cellule qui n’est pas en train de se diviser [6](→). De manière surprenante, la surexpression de Sir2 dans les cellules de Caenorhabditis elegans augmente aussi la longévité maximale de l’animal, retardant la survenue « normale » de son vieillissement [7]. Enfin, des travaux très récents indiquent que la surexpression de Sir2 dans des cellules de mammifères provoque une désacétyla-tion de p53 qui inhibe son activité, l’empêchant de provoquer aussi bien l’arrêt de la division cellulaire que la mort cellulaire en réponse à des altérations génétiques [8, 9]. Ainsi, il n’est pas impossible que, chez les mammifères, Sir2 joue aussi un rôle important dans la longévité, par l’intermédiaire de p53. Un défaut d’activité de Sir2 pourrait provoquer un vieillissement prématuré, en augmentant l’activité de p53. En revanche, un effet potentiellement bénéfique d’une suractivité de Sir2 sur la longévité ne pourrait pas se manifester chez les mammifères, du fait que la répression de l’activité p53 entraînerait le développement précoce de cancers. Mais les relations entre Sir2 et p53 sont peut-être de nature plus complexe. Chez Caenorhabditis elegans, un homologue de p53 vient d’être identifié [10] (→), qui joue un rôle important dans le déclenchement de l’apoptose en réponse aux altérations génétiques, en particulier dans les cellules germinales. Des mutants de Caenorhabditis elegans avec perte d’activité de p53 présentent toutefois un vieillissement accéléré lorsqu’ils sont exposés au stress [10]. Ainsi, d’une part, Sir2 et p53 semblent avoir des effets opposés sur la longévité de Caenorhabditis elegans et, d’autre part, p53 semble avoir des effets opposés sur la longévité de Caenorhabditis elegans et de la souris. En ce qui concerne ce dernier point, il faut noter qu’une différence essentielle entre Caenorhabditis elegans et la souris est que, chez le premier, toutes les cellules somatiques de l’adulte ont perdu la capacité de se diviser. Il n’est donc pas impossible que l’activité de p53 puisse avoir des conséquences opposées, en matière de longévité de l’individu, selon qu’elle se produit dans des cellules souches (où elle favoriserait le vieillissement), ou dans des cellules incapables de se diviser (où elle favoriserait la longévité).
L’une des implications les plus importantes des travaux concernant les relations entre p53, cancers et vieillissement chez la souris [2] est que toute manipulation expérimentale visant à retarder le vieillissement pourrait avoir pour conséquence inéluctable de favoriser le développement de cancers. Mais cette notion reflète-t-elle fidèlement la réalité ? Sommes-nous vraiment condamnés à naviguer entre Charybde et Scylla ? Il est possible que l’exemple de p53 ne révèle pas une règle, mais constitue plutôt une exception, en raison du rôle central que joue p53 dans la suppression des tumeurs. p66shc est une protéine qui, comme p53, permet le déclenchement de l’apoptose en réponse à certaines agressions, en particulier au stress oxydatif. Comme les cellules (et les souris) dont le gène p53 a été délété, les cellules (et les souris) dont le gène p66shc a été délété, survivent à des stress oxydatifs normalement létaux [11]. Mais, contrairement aux souris dépourvues de p53, les souris dépourvues de p66shc ont une espérance de vie maximale supérieure de 30 % à celle des souris normales [11]. Et elles ne développent pas de tumeurs, probablement parce que p66shc opère en aval ou en parallèle de p53, et que dans les cellules dépourvues de p66shc, p53 peut toujours agir en cas d’altérations génétiques susceptibles d’entraîner des cancers.
(→) m/s 1999, n°12, p. 1454
Dans leur ensemble [2, 11], ces résultats remettent en question plusieurs concepts prédominants en matière de vieillissement. Premièrement, certains des mécanismes moléculaires qui participent au contrôle de notre vieillissement et de notre longévité pourraient être les mêmes que ceux qui contrôlent la vie et la mort de nos cellules [12].
Deuxièmement, ce n’est peut-être pas tant le stress (et en particulier le stress oxydatif) qui serait la cause directe du vieillissement, mais plutôt la réponse de nos cellules à ces agressions (en particulier dans tous les cas où ces agressions n’entraînent pas d’altérations génétiques précancéreuses). Ainsi, si l’apoptose et/ou l’interruption de la division cellulaire sont des mécanismes extrêmement efficaces de prévention des cancers, c’est leur mise en jeu « normale » mais « excessive » qui accélérerait « inutilement » la survenue de notre vieillissement. Et une atténuation sélective de certaines des réponses de nos cellules aux agressions pourrait peut-être retarder le vieillissement sans pour autant augmenter le risque de survenue de cancers. Si tel est le cas, il est possible que des interventions thérapeutiques permettent un jour de prolonger au-delà de leurs frontières naturelles, la durée de notre jeunesse et de notre existence.
(→) m/s 2001, n°6-7, p. 764
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