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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 18, Number 3, Mars 2002
Page(s) 265 - 265
Section Éditorial : Le Mot Du Mois
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2002183265
Published online 15 March 2002

Qui pouvait imaginer que l’art culinaire donnerait son nom à ce volumineux organe, d’un brun particulier, qui se loge chez l’homme dans l’hypocondre droit ! Initialement désigné par hèpar, chez les grecs, le foie était considéré comme le siège de la vie. Si hèpar fournit le vocabulaire savant : hépatique, hépatologie…, le mot foie dériva des plaisirs de la table. Les grecs antiques mangeaient des oies après les avoir engraissées avec des figues. Ils observèrent que cette consommation particulière de fruits entraînait chez l’animal une hypertrophie du foie. Ce foie d’oie devenu «gras» par l’ingestion des figues avait une saveur très appréciée et paraît-il différente de celle de nos foies gras d’aujourd’hui. La même coutume culinaire existait chez les égyptiens et aussi chez les romains, qui nommèrent ficatum le foie de l’animal, en référence à la figue : ficus . C’est secondairement que ce terme désigna le foie humain. De cette origine commune dérivèrent : fegato chez les italiens, ficat chez les roumains, figà chez les vénitiens, figatu chez les corses, higado chez les espagnols et, après quelques évolutions, foie chez les français (XIIIe siècle). Contrairement à la tripe, à la panse ou aux rognons, s’agissant de l’homme ou de l’animal, la langue française n’utilise ici qu’un seul mot. Dans un tout autre domaine, et par analogie à sa couleur brune si particulière, le foie fut utilisé comme référence par les chimistes pour désigner l’oxysulfure d’antimoine dit « foie d’antimoine » et le polysulfure de potassium dit « foie de soufre », ces deux substances ayant la couleur du foie.

Si le cœur lui ravit l’âme dans la civilisation judéochrétienne, le foie en fut le fidèle gardien dans les civilisations mésopotamiennes. Compte tenu de cette fonction capitale, une « science » se développa, notamment chez les sumériens : l’hépatoscopie (1 500 ans avant Jésus-Christ). Elle permettait de prédire l’avenir à partir de l’observation minutieuse du foie d’animaux sacrifiés. De nombreux foies d’argile témoignent de cette pratique, alors confiée, à Rome, aux haruspices. Cette « science » s’exerça aussi en Grèce où le foie était considéré comme un organe vital.

Il en résulta l’expression « frapper au foie » pour désigner un coup potentiellement mortel. Les Grecs avaient aussi la notion que le foie était capable de régénération, comme l’atteste le mythe de Prométhée. Ce Titan déroba le feu aux dieux de l’Olympe pour le confier aux hommes ; pour le châtier, Zeus l’enchaîna au sommet du Caucase où un aigle venait régulièrement lui manger le foie, qui, entre deux festins, repoussait sans cesse… Symbole du courage pour certains, sa perte de couleur supposée (« foie blanc ») fut interprétée comme un signe de peur, d’où les expressions « avoir les foies » et « donner les foies ».

Les connaissances sur le foie se résumèrent longtemps à son anatomie. Molière, dans Le médecin malgré lui, se rit de l’ignorance des médecins de son temps. Ainsi, inverse-t-il volontairement la place du foie et du cœur, en faisant dire à Sganarelle (acte II, scène 4) : « Or, ces vapeurs dont je vous parle, venant à passer, du côté gauche où est le foie, au côté droit où est le cœur… ». Comment se confier à de tels médecins incapables de localiser précisément les organes ? Claude Bernard au XIXe siècle sut nous révéler une partie des grandes richesses du foie. C’est ainsi que des générations d’enfants avalèrent, en se pinçant le nez, des cuillères d’huile de foie de morue, qui fut à une époque, pour des mères prévenantes, une source inestimable de vitamines. Foie d’animal, l’intérêt fut principal !


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