Free Access
Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 17, Number 12, Décembre 2001
Page(s) 1363 - 1365
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/200117121363
Published online 15 December 2001

Voici venue l’heure de mes tout derniers « vœux », un peu en avance sur le calendrier officiel, puisque je n’avais accepté le poste de rédacteur en chef de médecine/ sciences qu’à la condition expresse d’un « CDD » de 4 ans qui arrive à son terme avec ce numéro. Je ne chercherai pas à tirer ici le bilan de ces quatre années, ne serait-ce que parce qu’il appartient à d’autres de le faire s’ils le souhaitent, ma responsabilité ayant été entière dans la conduite de cette revue donc ma vision de ses réalisations ne pouvant qu’être biaisée. Je profiterai de ces quelques lignes pour donner une dernière fois, comme je l’ai fait tout au long de ces années dans mes éditoriaux de début d’année, mon point de vue sur l’importance que je vois à un engagement déterminé de notre communauté dans le développement de l’information scientifique, et sur la place que médecine/sciences joue, de façon unique, dans ce développement.

m/s : un journal militant, pour la communauté scientifique…

Depuis sa création, il y a maintenant près de 17 ans, médecine/sciences est un journal militant. Fondée en réponse à la pression exercée par les médias scientifiques anglophones sur l’usage scientifique de notre langue, médecine/sciences est rapidement devenu une référence. Cette première action militante s’est très vite doublée d’un rôle de plus en plus important dans la dissémination des informations scientifiques, transversale−permettant à chaque scientifique de satisfaire sa curiosité sur l’ensemble de la recherche biomédicale − et verticale, instituant médecine/sciences comme un des tout premiers maillons de la chaîne de transmission des connaissances qui va des laboratoires de recherche jusqu’au grand public, en passant par tous les degrés de l’école et les médias. Grâce à médecine/sciences, les Universitaires, et par leur intermédiaire les étudiants et les autres enseignants, peuvent suivre les avancées scientifiques dans leur langue, avec toutes les nuances qu’elle permet. Il est indispensable, et m/s tente d’y contribuer, de transmettre « en temps réel » à des étudiants qui ne sont pas (encore) parfaitement bilingues les données, les raisonnements et les modes de pensée scientifiques tels qu’ils apparaissent dans le monde de la recherche. En parallèle, les journalistes scientifiques spécialisés ont accès, directement, à des textes de haut niveau mais aussi didactiques, qu’ils peuvent utiliser pour présenter à leurs lecteurs les travaux de recherche les plus récents tels que les rapportent leurs auteurs eux-mêmes. m/s est là, notamment, pour montrer que la communauté scientifique ne se contente pas de critiquer (avec raison…) les dérapages, les erreurs conceptuelles et les méconnaissances médiatiques, mais sait aussi créer les cadres d’un transfert du savoir qui doit contribuer à les éviter.

Défense de notre langue par son usage et son enrichissement – qui implique son utilisation dans les domaines les plus novateurs, donc dans la science – et participation à la transmission des savoirs sont depuis toujours les objectifs que vise notre revue. Il en existe un troisième, à mes yeux devenu aussi important : médecine/sciences est aujourd’hui, pour les scientifiques francophones, un instrument « communautaire ». Journal entièrement écrit par les scientifiques, et dans la quasi-totalité des cas – en dehors des notes de lecture – par les auteurs de travaux importants sur les sujets traités, m/s permet de faire connaître en même temps la recherche et ses acteurs. Incidemment, la place donnée dans la partie magazine aux auteurs francophones de publications primaires de haut niveau en est un peu disproportionnée, mais cette ouverture apporte un bénéfice complémentaire au travers de l’enrichissement des liens internes de notre communauté. Le fait que nombre de chercheurs aient ainsi trouvé, dans ces colonnes, des collaborations fructueuses ou même, plus simplement, les coordonnées d’un collègue d’une discipline voisine capable de les aider à résoudre un problème, est une des satisfactions de notre revue.

… appuyé sur une mobilisation des scientifiques eux-mêmes

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, il faut des femmes et des hommes qui s’engagent, et médecine/sciences a, tout au long de son existence, attiré des scientifiques portés par cet esprit. Depuis 4 ans, m/s a ainsi été réalisée par une équipe de scientifiques, regroupés dans le « comité éditorial », qui ont accepté de lui consacrer une part importante de leur activité (pour certains, jusqu’à 15 à 20 heures par semaine, pendant des années !). La première richesse de médecine/sciences est là et, bien sûr, c’est à eux que je souhaite d’abord rendre hommage ici. médecine/sciences a vécu et évolué, au cours de ces quatre années, grâce aux idées, à l’imagination et au travail de cette équipe. Elle a su en même temps poursuivre l’œuvre de ses prédécesseurs et réaliser des opérations originales parmi lesquelles, sans aucun doute, une mention spéciale doit être donnée à la célébration de l’an 2000, qui nous a permis de faire tout au long d’une année un tour d’horizon des grands domaines de la recherche biomédicale et en santé. Parallèlement à cette activité quotidienne, le comité éditorial a réfléchi en permanence sur la forme et le contenu de la revue, et ses interventions ont donné au journal une forme un peu différente au cours du temps. Proportions relatives des parties synthèse et magazine, place des recherches plus médicales, part des auteurs extérieurs au comité dans la rédaction des nouvelles, chroniques – et, notamment, renforcement de la partie « histoire et sciences sociales » sous la responsabilité, pour la première fois, de membres du comité spécialistes de ces domaines –, etc. tous les aspects de la revue ont été passés au crible, les modifications proposées et discutées avant d’être institutés. Avec plus de recul encore, le comité s’est saisi ces deux dernières années – sous l’impulsion de Laure Coulombel, directement confrontée au problème en tant que responsable de la partie magazine –du problème posé par les modifications éventuelles de mode de lecture des scientifiques induites par l’émergence sur le web de nombreuses publications d’actualité scientifique de haut niveau.

Rien n’aurait été possible à cette équipe dévouée, cependant, si médecine/sciences ne bénéficiait pas d’un accueil extraordinaire, qu’on pourrait même qualifier de « complicité », de la part des scientifiques francophones. Notre revue vit grâce à cette participation de la communauté scientifique, que traduit notamment la quasi-absence de refus lorsque nous demandons à des collègues d’apporter leur contribution. Les exemples de cette mobilisation au quotidien foisonnent et, outre les « cahiers 2000 » qui ont reposé sur les auteurs de plus d’une centaine d’articles, celui qui récemment m’a frappé le plus a sans doute été le numéro de mars 2001 « Vive le génome ! », qui comprenait quatre textes très complets sur la séquence du génome humain écrits en moins de 15 jours – pour coller à l’actualité – par les acteurs français du travail, à un moment où l’on peut imaginer que leur agenda était particulièrement chargé…

On fait souvent, trop souvent, grief aux scientifiques de leur splendide isolement, d’un prétendu refus de prendre la peine d’écrire pour un public plus large que celui des revues primaires de leur propre spécialité. Rien n’est plus faux. médecine/sciences est un succès dont on peut tirer une leçon générale pour la popularisation des résultats scientifiques : les femmes et les hommes existent dans la communauté scientifique qui sont prêts à prendre la plume et à expliquer, expliquer et expliquer encore.

Iconoclastes, oui ; bachi-bouzouks, non !

Et il y a incontestablement besoin d’expliquer, si nous voulons éviter de devoir demain nous expliquer… Car ce besoin de raconter notre travail, ses résultats, ses principes, ses concepts, ses moyens aussi bien que le caractère aléatoire de sa marche se fait sentir aujourd’hui d’une façon encore plus vive que par le passé pour toutes les recherches en sciences de la vie, du fait d’une apparente dérive dans l’esprit de certains du statut de la recherche.

Il est indispensable aujourd’hui, encore plus qu’auparavant, que les informations scientifiques ne soient pas altérées. De très nombreuses discussions ont en effet lieu, depuis quelques années, quant à « l’acceptabilité sociale » de diverses recherches scientifiques, en particulier biomédicales. Ce que recouvrent ces termes est assez obscur mais la menace, elle, est parfaitement claire : si les scientifiques ne parviennent pas à convaincre la « société » de l’utilité de leurs recherches, certains champs leur seront purement et simplement interdits. L’exemple français des Lois de Bioéthique de 1994 est là pour montrer que ce risque n’est pas nul puisque les législateurs y interdisaient (sous peine de 7 ans de prison et de 700 000 francs d’amende !) un certain nombre d’activités de recherche, parmi lesquelles, comme chacun le sait aujourd’hui bien audelà des limites de la communauté scientifique du fait des retards que cette loi provoque en France dans un domaine de recherche très prometteur, le travail sur l’embryon humain.

Personne ne peut pourtant reprocher aux législateurs de l’époque d’avoir méconnu ainsi le potentiel thérapeutique des cellules souches de la masse interne du blastocyste… que les chercheurs n’ont eux-mêmes réellement envisagé que 3 ou 4 ans plus tard. C’est le principe même d’une telle loi, instituant des frontières légalement infranchissables dans le champ de la science, qui conduisait inéluctablement à des aberrations de ce genre.

Les chercheurs sont, par essence, iconoclastes, explorateurs de terres inviolées irrespectueux des idoles et des dogmes non seulement du passé mais aussi du présent. La « liberté de la recherche » est ainsi indissociable de l’activité scientifique, bornée seulement par la règle qui s’impose à tous de ne pas nuire à un être humain (vivant). Mettre à notre activité d’autres frontières que celle-ci, c’est inéluctablement nous empêcher d’entrer sur certains champs nouveaux et inconnus, qui sont pourtant le lieu même de notre activité ! Envisager de réévaluer, dans chaque cas, « l’acceptabilité sociale » d’un pas sur ces terrains introduirait dans la recherche un dysfonctionnement grave. Nos collègues qui, en Suisse, ont dû descendre dans la rue pendant des semaines il y a quatre ans pour voir préserver leur droit à utiliser les techniques de transgenèse, comme ceux en butte aux ligues dites « anti-vivisectionnistes » dans de nombreux pays, sont là pour nous montrer dans quelle spirale pourrait nous entraîner une soumission à la règle de « l’acceptabilité sociale ». Et il n’y a pas lieu de faire aux scientifiques, comme l’évoquent certains, le faux procès de « l’irresponsabilité », de l’anarchie à laquelle nous exposerait la liberté d’exploration préservée pour les chercheurs. Le monde de la recherche, il faut que cela se sache au-delà des limites de notre communauté, est au contraire un lieu bien encadré, dont les règles d’or sont « l’habilitation » et le « contrôle », des hommes et des moyens. En échange de la liberté jubilatoire d’explorer l’inconnu, les scientifiques acceptent de sacrifier à cet encadrement, soumettant leurs projets de recherche, acquérant des compétences reconnues, mettant en place les laboratoires adaptés et, dans tous les cas, les contrôles nécessaires. Les chercheurs scientifiques ne sont en rien ces bachibouzouks, soldats incontrôlés de guerres sans objet, que certains – quoique bien peu sans doute qui lisent médecine/sciences – semblent reconnaître dans nos rangs.

La meilleure protection de notre activité est sans doute aujourd’hui, paradoxalement, de retourner l’argument de « l’acceptabilité sociale » de la recherche scientifique, en faisant en sorte que la population adhère encore plus, et de plus près, à nos efforts (adhésion qui, tous les sondages en attestent, est d’ailleurs aujourd’hui très majoritaire). Participer à l’éducation scientifique de la population est dans ce cadre une tâche encore plus déterminante, pour que l’approfondissement des connaissances auquel nous travaillons se traduise au plus vite par un accroissement général du niveau de culture de la société. La transmission du savoir vers le grand public n’est pas réalisable directement par les chercheurs scientifiques et nécessite de nombreux relais, je l’ai déjà dit plus haut. Néanmoins, médecine/ sciences est, dans cette chaîne, un maillon essentiel pour nous car c’est clairement celui que nous seuls pouvons occuper, juste en aval de nos publications primaires, avec déjà un pied dans le champ didactique, et le respect des informations dépend grandement de cette première étape. Informer des avancées de la science, de ses rêves et de ses réalisations mais aussi de ses tâtonnements, donner à comprendre nos modes de fonctionnement, voilà le prix – bien acceptable – que nous devons payer pour que la société continue de nous reconnaître le droit à la liberté qui fonde notre action.

Pour finir, je tiens à féliciter Gérard Friedlander qui me succède à la rédaction de médecine/sciences, d’avoir choisi de prendre cette responsabilité importante pour l’ensemble de notre communauté. Ainsi qu’à la nouvelle équipe qu’il a rassemblée, je lui souhaite d’y trouver non seulement le succès, mais encore bien plus le plaisir du contact intense avec la passion de la recherche que j’y ai ressenti pendant ces quatre années


© 2001 médecine/sciences - Inserm / SRMS

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.