Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 17, Number 12, Décembre 2001
Page(s) 1322 - 1324
Section Nouvelles et Brèves
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/200117121322
Published online 15 December 2001

Un des rêves du biologiste, visualiser dans le temps et l’espace à l’intérieur d’une cellule les réponses à une stimulation extracellulaire, est-il en passe de devenir réalité ? Dans un article récemment publié dans la revue Nature [1], l’équipe de Matsuda nous permet de faire un pas de plus pour nous rapprocher de la compréhension de ces phénomènes extrêmement complexes.

Les cellules répondent à de nombreux signaux extracellulaires (hormones, facteurs de croissance, etc.) par la production de seconds messagers intracellulaires tels l’élévation de la concentration intracellulaire en AMPc ou en ions Ca2+ libres, ou l’activation des GTPases de la famille Ras, protéines qui agissent comme des interrupteurs moléculaires (voir figure 1). Dans tous les cas, il en résulte l’activation de voies effectrices en aval qui sont responsables de la mise en œuvre des réponses biologiques à ces signaux. Depuis de nombreuses années, on savait suivre biochimiquement la production de ces seconds messagers, ou encore, plus récemment, la proportion des GTPases de la famille Ras qui, sous l’impulsion du signal, adoptent une conformation active liée au GTP. Toutefois, ces méthodes biochimiques ne permettent qu’une mesure globale de la cinétique de réponse à la stimulation au sein de la population cellulaire.

Afin de visualiser à l’intérieur d’une cellule le déroulement des réponses dans l’espace et dans le temps, on a produit et introduit dans les cellules vivantes des indicateurs fluorescents, détectables au microscope, dont le niveau de fluorescence varie avec l’amplitude du phénomène à mesurer. La technique de choix, développée en particulier par l’équipe de Roger Tsien pour suivre la production d’AMPc [2, 3] et d’ions Ca2+ libres [4, 5], a consisté à utiliser le transfert de fluorescence (FRET ou fluorescence resonnance energy transfer) entre deux molécules proches portant des fluorophores différents et compatibles [6]. Lorsque le fluorophore de plus basse longueur d’onde est excité, il émet des photons qui peuvent être captés par un second fluorophore de longueur d’onde d’excitation correspondante, qui émettra à son tour un signal fluorescent de longueur d’onde supérieure.

Un tel transfert de fluorescence n’est possible que si les deux partenaires sont en contact étroit, et permet donc de mesurer leur interaction par le rapport de la fluorescence de transfert (FRET émis par le fluorophore de longueur d’onde d’émission plus élevée) à la fluorescence d’émission du fluorophore de longueur d’onde la plus faible. L’utilisation de la GFP (green fluorescent protein), protéine spontanément fluorescente de la méduse Aequorea victoria, et de ses dérivés de couleurs variées (cyan, jaune et bleu) a permis de raffiner cette technique en construisant de tels indicateurs de fluorescence codés génétiquement et adressables à des localisations intracellulaires spécifiques. Ces indicateurs résultent de la fusion entre une protéine fluorescente bleue (BFP) ou cyan (CFP) avec un premier partenaire, ainsi que de la fusion entre le second partenaire et une protéine fluorescente verte (GFP) ou jaune (YFP) ; la co-expression, par transfection transitoire, des deux molécules chimériques au sein d’une même cellule permet le transfert de la fluorescence de la BFP ou de la CFP vers la FGP ou la YFP lorsqu’elles sont en contact.

De nombreux signaux extracellulaires convergent pour activer les GTPases de la famille Ras via plusieurs protéines régulatrices. Toutefois, si tant de signaux différents activent ces GTPases, on ne sait pas comment elles aboutissent à la création de réponses spécifiques à chacun de ces signaux. Afin de suivre dans le temps et l’espace l’activation de deux GTPases proches, Ras et Rap1, en réponse à la stimulation des cellules par un mitogène, Mochizuki et al. ont perfectionné cette technique de transfert de fluorescence. Ils ont exprimé dans des cellules une molécule hybride comprenant la GTPase Ras ou Rap1, le domaine de liaison à Ras et Rap de la protéine Raf-1 (Raf-RBD) ainsi que deux protéines fluorescentes, la CFP et la YFP (figure 1). L’activation de la GTPase, qui passe de l’état lié au GDP à l’état lié au GTP, lui permet alors d’interagir avec son effecteur le Raf-RBD, ce qui a pour effet de rapprocher les deux fluorophores provoquant ainsi le transfert de fluorescence de la CFP vers la YFP. Les auteurs ont enregistré ces images sur des cellules vivantes ; la mesure normalisée des intensités de FRET permet de visualiser à l’intérieur de chaque cellule la progression de l’activation de ces GTPases en réponse à une stimulation.

thumbnail Figure 1.

Représentation de la molécule hybride concue par Mochizuki et al. pour visualiser dans les cellules par transfert de fluorescence l’activation des GTPases Ras et Rap1.En haut, la molécule dans sa conformation inactive, en bas dans sa conformation active, permettant le transfert de fluorescence. YFP : yellow fluorescent protein ; CFP : cyan fluorescent protein ; les longueurs d’onde d’excitation et d’émission sont indiquées (nm).

thumbnail Figure 2.

La voie de transduction Rap1. Rap1 est activée par de nombreux GEF en réponse à une grande diversité de signaux. Bien que plusieurs de ses protéines effectrices soient connues, les effets physiologiques de l’activation de Rap1 ne sont pas encore bien compris.

Comme on pouvait s’y attendre, la GTPase Ras est activée à la membrane plasmique quelques minutes après la stimulation de cellules fibroblastiques COS par l’EGF (epidermal growth factor). La protéine activée se retrouve ensuite à travers l’ensemble du cytoplasme, reflétant probablement l’internalisation des complexes de signalisation actifs. Dans les cellules neuroendocrines différenciées PC-12, l’activation de Ras par un agent différenciant, le NGF (nerve growth factor), suit une cinétique comparable. Toutefois, plusieurs heures après la stimulation, on retrouve la protéine Ras activée à l’extrémité des neurites. Des expériences de photo-décoloration montrent qu’il ne s’agit pas de la rétention de protéines Ras actives, mais vraisemblablement de l’activation continuelle de molécules Ras qui oscillent entre conformation inactive et active. En revanche, la protéine Rap1, qui avait été localisée dans des compartiments intracellulaires [7, 8], est activée avec une cinétique comparable à Ras dans la région périnucléaire des cellules. Contrairement au cas de Ras, il semble que l’activation de Rap1 nécessite la mise en jeu des étapes précoces de l’endocytose [1, 9], ce qui pourrait permettre aux facteurs d’échange activés d’atteindre leur cible intracellulaire. L’activation intracellulaire de Rap1 pourrait également résulter de l’action de seconds messagers diffusibles tels les ions Ca2+ libres [10]. Cette étude nous apprend donc que, en réponse à un stimulus prolifératif, deux GTPases proches, Ras et Rap1, sont activées dans des régions bien délimitées de la cellule et exclusives l’une de l’autre. De plus, leurs cinétiques d’activation peuvent être différentes, notamment à l’extrémité des neurites des cellules PC-12 stimulées par le NGF.

Les études à présent classiques d’interaction protéine-protéine permettent de déchiffrer les circuits des voies de transduction, en établissant le cheminement, parfois complexe, des signaux de molécule en molécule. Les résultats présentés par Mochizuki et al. [1] nous éclairent sur la dimension spatio-temporelle de la progression de ces signaux, et suggèrent que cet aspect de la signalisation joue un rôle déterminant sur la multiplicité et la spécificité des réponses cellulaires à un signal donné.

Références

  1. Mochizuki N, Yamashita S, Kurokawa K, et al. Spatio-temporal images of growth-factor-induced activation of Ras and Rap1. Nature 2001; 411 : 1065–8. [Google Scholar]
  2. Adams SR, Harootunian AT, Buechler YJ, Taylor S.S, Tsien RY. Fluorescence ratio imaging of cyclic AMP in single cells. Nature 1991; 349 : 694–7. [Google Scholar]
  3. Zaccolo M, De Giorgi F, Cho CY, et al. A genetically encoded, fluorescent indicator for cyclic AMP in living cells. Nat Cell Biol 2000; 2 : 25–9. [Google Scholar]
  4. Miyawaki A, Griesbeck O, Heim R, Tsien RY. Dynamic and quantitative Ca2+ measurements using improved cameleons. Proc Natl Acad Sci USA 1999; 96 : 2135–40. [Google Scholar]
  5. Miyawaki A, Llopis J, Heim R, et al. Fluorescent indicators for Ca2+ based on green fluorescent proteins and calmodulin. Nature1997; 388 : 882–7. [Google Scholar]
  6. Miyawaki A, Tsien RY. Monitoring protein conformations and interactions by fluorescence resonance energy transfer between mutants of green fluorescent protein. Methods Enzymol 2000; 327: 472–500. [Google Scholar]
  7. Béranger F, Goud B, Tavitian A, de Gunzburg J. Association of the ras-antagonistic Rap1/Krev-1 proteins with the Golgi complex. Proc Natl Acad Sci USA 1991; 88 : 1606–10. [Google Scholar]
  8. Pizon V, Desjardins, M, Bucci C, Parton, R.G, Zerial M. Association of Rap1a and Rap1b proteins with late endocytic/phagocytic compartments and Rap2a with the Golgi complex. J Cell Sci 1994; 107 : 1661–70. [Google Scholar]
  9. York RD, Yao H, Dillon T, et al. Rap1 mediates sustained MAP kinase activation induced by nerve growth factor. Nature 1998; 392 : 622–6. [Google Scholar]
  10. Bos, J.L. All in the family ? New insights and questions regarding interconnectivity of Ras, Rap1 and Ral. Embo J 1998; 17 : 6776–82. [Google Scholar]

© 2001 médecine/sciences - Inserm / SRMS

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Représentation de la molécule hybride concue par Mochizuki et al. pour visualiser dans les cellules par transfert de fluorescence l’activation des GTPases Ras et Rap1.En haut, la molécule dans sa conformation inactive, en bas dans sa conformation active, permettant le transfert de fluorescence. YFP : yellow fluorescent protein ; CFP : cyan fluorescent protein ; les longueurs d’onde d’excitation et d’émission sont indiquées (nm).

Dans le texte
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La voie de transduction Rap1. Rap1 est activée par de nombreux GEF en réponse à une grande diversité de signaux. Bien que plusieurs de ses protéines effectrices soient connues, les effets physiologiques de l’activation de Rap1 ne sont pas encore bien compris.

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