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Med Sci (Paris)
Volume 17, Number 11, Novembre 2001
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Page(s) | 1220 - 1221 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/200117111220 | |
Published online | 15 November 2001 |
Tuberculose, la porte vers la dissémination extra-pulmonaire
Inserm U. 447, Institut Pasteur de Lille, 1, rue du Professeur-Calmette, 59019 Lille Cedex, France
La tuberculose dont l’agent étiologique est Mycobacterium tuberculosis ou bacille de Koch est aujourd’hui encore la première cause de mortalité due à un agent unique puisqu’elle entraîne chaque année 3 millions de décès et qu’on dénombre 8 millions de nouveaux cas par an [1]. Cette situation alarmante résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : la dégradation des conditions socio-économiques dans de nombreux pays, l’apparition de souches multi-résistantes aux antituberculeux, la pandémie du SIDA qui rend la population infectée par le VIH très sensible aux infections mycobactériennes, ainsi que l’inadéquation des mesures prophylactiques et thérapeutiques dans de nombreux pays. Afin de dévelop-per de nouvelles approches thérapeutiques et prophylactiques, il serait certainement utile d’élucider les mécanismes moléculaires qui régissent les infections mycobactériennes. La tuberculose débute par l’inhalation de fines gouttelettes renfermant généralement de un à trois bacilles. A ce stade, chez environ 90 % des personnes, le système immunitaire est capable de contrôler l’infection mais, dans environ 10 % des cas, les bactéries se multiplient activement au site d’infection primaire et gagnent la circulation sanguine. Cette dissémination extra-pulmonaire se fait probablement via les ganglions lymphatiques qui drainent la région pulmonaire infectée [2] ou directement par voie hématogène. Les bacilles vont ainsi pouvoir coloniser les régions extra-pulmonaires dites vulnérables du sujet infecté et y provoquer des pathologies parfois graves. Les sites extra-pulmonaires vulnérables comprennent les méninges, l’extrémité des os longs (mal de Pott), ainsi que le tractus urogénital. Néanmoins, la zone vulnérable de prédilection du bacille tuberculeux est la zone apicale du poumon. C’est presque toujours dans cette région que les lésions cavitaires caractéristiques de la tuberculose pulmonaire se développent [2]. Plusieurs études, effectuées notamment chez le cochon d’Inde qui développe une pathologie proche de celle de l’homme, suggèrent que ces lésions, dites post-primaires, se développent après une phase de dissémination extra-pulmonaire initiale [3]. Au niveau cellulaire, il est admis que les bacilles tuberculeux inhalés sont phagocytés par les macrophages alvéolaires dans lesquels ils survivent et se multiplient grâce à leur capacité d’aménager le compartiment phagosomique, ce qui leur permet d’échapper aux défenses de l’immunité innée. Depuis longtemps, il a été supposé que ces macrophages infectés par les bacilles gagnent ensuite la circulation sanguine et assurent ainsi la dissémination extrapulmonaire de M. tuberculosis.
Cependant, aucune évidence directe n’a pu clairement démontrer l’implication des macrophages alvéolaires dans la dissémination proprement dite de M. tuberculosis. Par ailleurs, les macrophages alvéolaires ne représentent qu’environ 1 % de la population cellulaire au sein des alvéoles pulmonaires, contre plus de 98 % pour les cellules épithéliales appelées pneumocytes. L’infection de cellules autres que macrophages doit donc être envisagée. En effet, plusieurs études ont mis en évidence la capacité du bacille de Koch d’envahir et de se répliquer dans des cellules épithéliales en culture [4, 5] et la présence de bacilles à l’intérieur de cellules non macrophagiques, notamment dans des cellules épithéliales, dans des cellules endothéliales et dans des fibroblastes a été mise en évidence chez les sujets tuberculeux [6] et chez des souris infectées par M. tuberculosis [7]. Par ailleurs, des souris dont le nombre de macrophages alvéolaires est diminué par traitement chimique ou par inactivation du gène codant pour le GM-CSF restent sensibles à la dissémination extra-pulmonaire [7, 8]. L’ensemble de ces données suggère donc que l’interaction du bacille avec des cellules non phagocytaires serait importante pour la dissémination et, de ce fait, pour le développement de la pathologie tuberculeuse. Par ailleurs, des souris déplétées en macrophages alvéolaires par traitement chimique ou par inactivation du gène codant pour le GM-CSF restent susceptibles à la dissémination extrapulmonaire [7, 8]. L’ensemble de ces données suggère que l’interaction du bacille avec des cellules non phagocytaires serait importante pour la dissémination et, de ce fait, pour le développement de la pathologie tuberculeuse. En 1996, nous avons identifié à la surface du bacille de Koch une «adhésine», spécifiquement impliquée dans l’attachement du bacille de Koch aux cellules non macrophagiques [9]. Cette adhésine fixe l’héparine et manifeste une activité d’hémagglutination. Elle fut donc appelée HBHA pour heparin-binding haemagglutinin adhesin. HBHA se lie aux cellules, dont les pneumocytes, par son domaine carboxy-terminal riche en lysines, qui interagit avec des protéoglycanes à héparane sulfate exposés à la surface de ces cellules [10].
En utilisant une souche de M. tuberculosis dépourvue de HBHA (souche ΔHBHA) après invalidation du gène, nous avons pu confirmer que HBHA est une adhésine spécifique des cellules non-macrophagiques et n’intervient nullement dans l’interaction des bacilles avec les macrophages. Si elle n’est pas cruciale pour la colonisation pulmonaire après inhalation initiale des bacilles, elle joue en revanche un rôle clé dans l’étape de dissémination extra-pulmonaire [11]. En effet, lorsque les souris sont infectées par inhalation (voie nasale) avec la souche ΔHBHA, la colonisation pulmonaire est assez proche de celle qui est observée avec la souche parentale. En revanche, l’analyse des rates trois semaines après l’infection a montré que l’absence de HBHA conduit à une réduction de plus de deux cent fois du nombre de bacilles dans cet organe. Comme cet effet pouvait être le résultat d’un déficit de dissémination extra-pulmonaire et/ou d’une moindre capacité de coloniser la rate, les souches parentale et mutante ont été administrées par voie intraveineuse, de façon à court-circuiter la barrière pulmonaire. Dans ces conditions, les deux souches colonisaient les rates de manière identique, indiquant que la HBHA n’est pas un facteur de colonisation splénique, mais qu’elle est un déterminant crucial pour la dissémination extra-pulmonaire de M. tuberculosis, tout en n’empêchant pas la multiplication pulmonaire du bacille de Koch. Cette conclusion est renforcée par l’observation qui montre que le revêtement des bacilles par des anticorps spécifiques du domaine de liaison aux héparanes sulfates de la HBHA avant infection intranasale inhibe la dissémination extra-pulmonaire de M. tuberculosis, tout en n’empêchant pas sa multiplication pulmonaire primaire qui débute très tôt dans le processus infectieux par M. tuberculosis, avant même que les bacilles puissent être pris en charge par les macrophages alvéolaires. En effet, le revêtement par les anticorps anti-HBHA semble inhiber l’interaction avec les cellules épithéliales avant que les bactéries puissent être ingérées par les macrophages alvéolaires et dégarnies des anticorps à l’intérieur de ces macrophages.
Tous ces travaux montrent donc que le rôle des macrophages dans la dissémination est au mieux marginal, et que cette étape importante dans la pathogénie de M. tuberculosis dépend essentiellement de l’interaction du bacille avec les cellules autres que les macrophages, telles les cellules épithéliales pulmonaires via l’adhésine HBHA.
Cette adhésine pourrait donc représenter une cible intéressante pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques ou prophylactiques antituberculeuses, et éventuellement être utile dans d’autres affections mycobactériennes, telles que la lèpre, car la mycobactérie responsable de la lèpre exprime également la HBHA.
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