Open Access
Numéro
Med Sci (Paris)
Volume 41, Numéro 2, Février 2025
Page(s) 173 - 179
Section Repères
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025016
Publié en ligne 3 mars 2025

© 2025 médecine/sciences – Inserm

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Vignette (© Clémence Guillermain).

Les maladies mitochondriales sont des maladies génétiques rares liées à un dysfonctionnement des mitochondries, organites chargés de la respiration cellulaire et de la production d’énergie sous la forme de molécules d’adénosine triphosphate (ATP). Ces maladies, sévères et évolutives, débutent à tout âge et touchent particulièrement les tissus fortement consommateurs d’énergie tels que le cerveau, le cœur et les muscles squelettiques, mais tous les organes peuvent être atteints. Le fonctionnement des mitochondries a la particularité d’être sous le contrôle de deux génomes : le génome mitochondrial (ADNmt) et le génome nucléaire (ADNn) (Figure 1A). De nombreuses mutations affectant l’un ou l’autre peuvent être responsables de ces maladies. La complexité génétique et l’hétérogénéité clinique des maladies mitochondriales les rendent particulièrement difficiles à identifier et à traiter.

thumbnail Figure 1

Particularités de la génétique des maladies mitochondriales. A. La mitochondrie est sous la dépendance de deux génomes : le génome nucléaire et le génome mitochondrial. ND1, ND2, ND3, ND4, ND4L, ND5, ND6 : sous-unités de la NADH ubiquinone oxydoréductase (complexe I) ; COX I, COX II, COX III : sous-unités de la cytochrome c oxydase (complexe IV) ; cyt b : cytochrome b (complexe III) ; ATPase 6 et 8 : sous-unités 6 et 8 de l’ATPase (complexe V) ; D-loop : boucle de déplacement ; 12S et 16S : ARN ribosomiques mitochondriaux. Représentation morphologique d’une cellule fibroblastique humaine contrôle avec son réseau mitochondrial tubulaire et interconnecté (coloration par une sonde fluorescence verte), avec le noyau de la cellule (coloration bleue Hoechst) et l’ADN mitochondrial révélé par une coloration à l’aide d’une sonde fluorescente rouge) (image : © A. Chevrollier). B. Ségrégation aléatoire des mitochondries au cours des divisions cellulaires. La coexistence de mitochondries mutées et non mutées dans une cellule définit le concept d’hétéroplasmie mitochondriale. La sévérité clinique va dépendre de la proportion de molécules d’ADNmt mutées. C. Diversité phénotypique des maladies mitochondriales pouvant affecter l’ensemble des tissus et organes.

Le projet MITOMICS1, lancé en 2022 pour cinq ans et porté par Vincent Procaccio (CHU d’Angers) et Sylvie Bannwarth (CHU de Nice), a pour objectif de mettre en place une base de données clinico-biologiques provenant de personnes atteintes de maladies mitochondriales, ou suspectées de l’être. Élaborée à l’échelle nationale et combinée à une approche « multi-omique » (génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique), cette base de données devrait permettre de réduire l’errance diagnostique et de mieux comprendre les mécanismes moléculaires de ces maladies, dans la perspective d’une meilleure prise en charge des personnes qui en sont atteintes.

Le projet MITOMICS participe ainsi à l’élaboration progressive d’une « médecine mitochondriale » en France, une notion qui mérite d’être questionnée : comment cette médecine s’est-elle progressivement constituée ? À quelle réalité renvoie-t-elle aujourd’hui, en France ? De quels instituts dépend-elle ? De quels moyens techniques et financiers dispose-t-elle ? Quels en sont les principaux enjeux et défis ? Quelles sont ses limitations techniques et théoriques ? Dans une approche historique et épistémologique, à la lumière des publications sur le sujet et des archives de l’équipe dirigée par Vincent Procaccio, nous tâcherons de répondre à ces questions.

Le projet MITOMICS : structurer la « médecine mitochondriale » française

Histoire de l’émergence d’une « médecine mitochondriale »

La notion de « médecine mitochondriale » apparaît pour la première fois en 1994, dans un article de Rolf Luft [1], mais l’histoire de la « médecine mitochondriale » est plus ancienne. Elle remonte au début des années 1960, lorsqu’un groupe de chercheurs de l’institut Karolinska (Suède) identifie le premier patient dont les symptômes sont liés à un dysfonctionnement mitochondrial. Leurs observations, publiées en 1962, font entrer le concept de « maladie mitochondriale » dans la pensée médicale [2]. Les années 1962 à 1988 correspondent ensuite à l’ère « pré-moléculaire » de la « médecine mitochondriale » [3]. Après 1962, l’attention des scientifiques et des cliniciens reste d’abord focalisée sur la description des atteintes morphologiques musculaires. Puis, dans les années 1970, des études biochimiques sont menées de manière systématique, permettant d’identifier différents défauts du métabolisme mitochondrial. En 1985, Salvatore DiMauro propose une première classification biochimique des maladies mitochondriales [4]. En parallèle, les techniques de génétique moléculaire se développent et la séquence complète du génome mitochondrial est élucidée en 1981[5].

L’année 1988 est caractérisée par la description des premières mutations pathogènes de l’ADNmt : des délétions simples [6] et la première mutation ponctuelle responsable d’une atrophie du nerf optique (maladie de Leber) [7]. L’identification de la cause génétique des maladies mitochondriales marque l’entrée de la physiopathologie de ces maladies dans l’ère « moléculaire » : depuis, leur diagnostic repose sur l’identification de la (ou des) mutation(s) du (ou des) gène(s) responsable(s). Les mutations de l’ADNmt les plus communes, notamment celles responsables des syndromes MELAS (mitochondrial encephalopathy with lactic acidosis and stroke-like episodes) et MERRF (myoclonic epilepsy with ragged red fibers), sont ensuite rapidement identifiées. Les années 1990 sont ainsi marquées par la découverte de multiples altérations de l’ADNmt, au rythme d’une dizaine par an [8]. En parallèle, les chercheurs montrent l’existence de nombreuses autres maladies mitochondriales. À partir du milieu des années 1990, ils s’intéressent également au génome nucléaire, qui code environ 99 % des protéines mitochondriales. Il s’agit alors d’identifier des défauts de l’ADNn » (déjà défini en amont) directement ou indirectement responsables du dysfonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale : le premier d’entre eux est découvert en 1995, sous la direction d’Agnès Rötig [9].

En 1998 est créée la première Société de « médecine mitochondriale » (Mitochondrial medicine society) aux États-Unis par Richard Haas et Robert Naviaux. Elle se présente comme « un groupe international de médecins, de chercheurs et de cliniciens, qui s’efforcent de faire progresser l’éducation, la recherche et la collaboration mondiale en matière de « médecine mitochondriale » clinique » (http://www.mitosoc.org). Au début des années 2000, l’avènement des techniques de séquençage à haut-débit révolutionne le champ de la génomique. L’adaptation progressive de ces techniques aux spécificités de la génétique mitochondriale (transmission maternelle exclusive des mitochondries au fœtus, hétéroplasmie2, ségrégation aléatoire des mitochondries au cours des divisions cellulaires) (Figure 1) bouleverse à son tour la « médecine mitochondriale » : l’analyse systématique combinée des génomes mitochondrial et nucléaire est désormais au cœur de la démarche diagnostique [10]. Enfin, très récemment, le développement de la génomique intégrative, qui repose sur l’intégration de données cliniques, génomiques, transcriptomiques, protéomiques et métabolomiques, a ajouté sa contribution à l’essor de cette « médecine mitochondriale », qui entre alors dans une nouvelle phase, que l’on peut qualifier de « post-génomique ».

Le projet MITOMICS a pour objectif de mettre en place une base de données phénotypiques et multi-omiques recueillies chez les personnes souffrant de maladies mitochondriales, à l’échelle nationale, voire internationale. L’analyse de ces données devrait permettre de découvrir les mécanismes moléculaires responsables de l’hétérogénéité clinico-génétique de ces maladies, afin d’ouvrir de nouvelles possibilités de diagnostic et de pouvoir proposer, à terme, de nouvelles stratégies thérapeutiques.

La « médecine mitochondriale » aujourd’hui, en France

L’une des principales caractéristiques de la « médecine mitochondriale » est qu’elle concerne des maladies affectant un petit nombre de personnes : des maladies rares donc, voire ultra-rares pour certaines dont on ne connaît parfois l’existence que dans une ou deux familles [2]. Sur le plan clinique, la prise en charge des personnes atteintes d’une maladie mitochondriale, en France, dépend principalement de deux centres de référence dédiés au diagnostic et au suivi des patients (enfants et adultes) : le centre CALISSON (centre hospitalo-universitaire de Nice) et le centre CARAMMEL (hôpital universitaire Necker-Enfants malades, à Paris). De ces deux centres coordinateurs dépendent d’autres centres, dits constitutifs et de compétence, couvrant le territoire national (Figure 2). L’organisation de la « médecine mitochondriale » à l’échelle nationale est caractéristique d’une médecine des maladies rares. Trois plans nationaux successifs dédiés aux maladies rares (PNMR) ont été mis en œuvre depuis 2005, afin de répondre à deux questions principales : comment améliorer le diagnostic et la prise en charge des maladies rares et donc, comment réduire l’errance diagnostique ? Comment traiter ces maladies ? Les deux centres de référence, CARAMMEL et CALISSON, labellisés en 2005 dans le cadre du premier PNMR, sont également affiliés à la filière de santé « maladies rares » (FSMR), à la filière neuromusculaire (Filnemus), créée dans le cadre du deuxième PNMR (2011-2016), et au réseau européen de référence (ERN) Euro-NMD (neuromuscular disorders), mis en place en 2017 [11] () (Figure 2).

(→) Voir m/s Hors série n° 2, 2019, page 51

thumbnail Figure 2

Organisation nationale des réseaux de diagnostic des maladies mitochondriales.

Le développement du Plan France Médecine Génomique 2025 (PFMG2025), avec la mise en place des deux plateformes nationales de séquençage pangénomique SeqOIA et AURAGEN, a permis l’accès aux nouvelles techniques de séquençage et d’analyse du génome complet, et vient ainsi renforcer la médecine génomique sur l’ensemble du territoire français (Figure 2). Ce plan constitue un nouveau cadre pour le développement de la médecine des maladies rares [12] (), et notamment de la « médecine mitochondriale ». Les initiatives menées dans ce contexte devront cependant s’intégrer à la structuration du réseau national déjà mis en place (notamment via les PNMR successifs), au risque de perdre les bénéfices des expertises acquises durant ces dernières années.

(→) Voir m/s Hors série n° 1, 2018, page 39

L’imbrication de la recherche fondamentale et de la pratique clinique, également appelée recherche translationnelle, est une spécificité de la médecine des maladies rares, et la « médecine mitochondriale » n’y fait pas exception. À l’échelle nationale, le réseau MitoDiag, créé dans les années 2000, regroupe l’ensemble des laboratoires français de diagnostic des maladies mitochondriales (https://www.mitodiag.fr/home). Il s’intègre aux différents réseaux de recherche sur la biologie mitochondriale, comme le réseau MeetOchondrie3 (Figure 2).

Caractéristiques de la « médecine mitochondriale »

À quoi renvoie, plus spécifiquement, la notion de « médecine mitochondriale » ? Quelles en sont les principales caractéristiques ?

Une médecine « génocentrée » reposant sur la collecte de données en grand nombre

La « médecine mitochondriale » fait face à de nombreux défis, notamment liés à l’hétérogénéité clinico-génétique des maladies associées à différents dysfonctionnements mitochondriaux. Du point de vue clinique, les symptômes sont très variables d’un individu à l’autre, y compris entre individus porteurs de la même altération génétique (Figure 1C). Ces symptômes peuvent apparaître à des âges très différents et s’aggravent avec le temps. Du point de vue génétique, on estime à plus de 1 200 le nombre de gènes codant une protéine mitochondriale et dont les mutations peuvent entraîner une maladie [13]. Certains de ces gènes sont connus, mais la plupart ne le sont pas encore, et par ailleurs, toutes les mutations des gènes déjà connus n’ont pas encore été identifiées. D’autre part, les interactions entre les deux génomes, mitochondrial et nucléaire, sont encore mal comprises. Par ailleurs, la pathogenèse des maladies mitochondriales, qui repose sur des dysfonctionnements multiples et variés, reste insuffisamment comprise. Depuis l’avènement des techniques de séquençage à haut-débit, et surtout, depuis le développement d’approches « multiomiques », l’évolution des connaissances sur ces maladies dépend principalement de la collecte de données, notamment génétiques, recueillies chez les patients, et de leur partage à l’échelle nationale et internationale.

Le but du projet MITOMICS est donc de collecter les données clinico-biologiques, mais aussi multi-omiques, de chaque patient, et de les rassembler dans une base de données unique. L’intégration de ces données et leur traitement par des outils bioinformatiques adaptés devrait permettre d’obtenir des informations sur les mécanismes et voies de signalisation impliqués dans les maladies mitochondriales, afin d’ouvrir de nouvelles perspectives de diagnostic et de stratégies thérapeutiques. L’enjeu est de parvenir à développer les outils informatiques permettant d’interroger, avec pertinence et précision, les données rassemblées.

Comme pour d’autres formes récentes de médecine (notamment la médecine dite personnalisée), il pourrait être reproché à la « médecine mitochondriale » de réduire les patients à des ensembles de données, ici multi-omiques et phénotypiques, en laissant de côté l’influence de nombreux facteurs environnementaux sur la santé des individus. Il n’est donc pas inutile de rappeler que le génome mitochondrial, dont le taux de mutations est bien plus élevé que celui du génome nucléaire, a luimême considérablement varié au cours de l’évolution, sous l’influence de facteurs environnementaux [13], et que la variabilité du génome mitochondrial a contribué à l’adaptation des populations humaines aux changements des conditions climatiques et environnementales [14]. Ainsi, même en conservant une approche essentiellement « génocentrée », la « médecine mitochondriale » tient compte, au moins indirectement, des interactions entre gènes et environnement. Par ailleurs, malgré la tendance « réductionniste » de cette médecine, les patients atteints de maladies mitochondriales ne sont jamais réduits aux informations fournies par leur patrimoine génétique. On pourrait d’ailleurs envisager qu’une base de données comme celle du projet MITOMICS intègre des informations relatives à leur mode de vie et à leur environnement : régime alimentaire, prise de médicaments, consommation de tabac, d’alcool, etc.

Une particularité des maladies mitochondriales mérite d’être soulignée. Chaque cellule humaine possède en effet entre quelques centaines et plusieurs milliers de mitochondries, en fonction de ses besoins énergétiques, et la « médecine mitochondriale » doit prendre en compte l’hétéroplasmie, c’est-à-dire la coexistence, au sein d’une même cellule, de mitochondries porteuses ou non d’une variation de l’ADNmt (Figure 1B). Lorsqu’on suspecte une maladie mitochondriale chez un patient, l’analyse moléculaire de l’ADNmt a donc pour objectif, non seulement de détecter la mutation responsable, mais aussi de quantifier la proportion de molécules d’ADNmt mutées au sein d’un tissu ou d’un organe donné. Cela implique d’adapter les outils et les méthodes de la génétique moléculaire à cette spécificité de la « médecine mitochondriale ».

Une évolution « techno-dépendante »

Outre la collecte de données, l’évolution de la « médecine mitochondriale » est aussi étroitement liée à la mise au point de nouvelles techniques (techniques de séquençage de l’ADN à haut débit, outils in silico d’analyse et d’interprétation des données génétiques, etc.). Comme d’autres formes (récentes) de médecine, elle est donc davantage dépendante de la production et de l’analyse de données en grand nombre que de la formulation d’hypothèses scientifiques [15]. En témoigne l’analyse des archives de l’équipe dirigée par Vincent Procaccio, durant les vingt dernières années. Par exemple, la possibilité d’un séquençage nucléotidique « à haut débit » (next generation sequencing) est mentionnée pour la première fois dans une présentation orale en 2012, où il est question d’une « accumulation exponentielle d’information génétique » grâce à ce progrès technique. À partir de 2014, le recours à cette technique devient l’élément clé du diagnostic moléculaire. L’arrivée à Angers du premier appareil de séquençage à haut débit en 2013 et celle du premier bioinformaticien en 2015 ont d’ailleurs été déterminantes. Après une brève période de séquençage exclusif du génome mitochondrial, elles ont progressivement permis de prendre en compte les altérations du génome nucléaire, en partant de l’analyse moléculaire de quelques gènes nucléaires au début, pour en arriver à l’analyse de la totalité de ce génome actuellement. Les approches « multiomiques », quant à elles, ne sont mentionnées qu’à partir de 2017, et le recours à l’intelligence artificielle n’est évoqué qu’à partir de 2021.

L’apparition de ces nouvelles techniques s’accompagne de l’abandon d’autres techniques désormais dépassées, telles que « MitoChip » ou « Surveyor ». Celles-ci, pourtant prometteuses, avaient été mises au point par les équipes dirigées par Vincent Procaccio et Véronique Paquis-Flucklinger au début des années 2000 afin d’améliorer la sensibilité de la détection des mutations de l’ADNmt [16, 17]. Grâce à ces techniques, un projet national regroupant l’ensemble des laboratoires du réseau MitoDiag avait permis de constituer une première grande cohorte française de plus de 700 patients suspects de maladies mitochondriales et de déterminer la prévalence de variants rares de l’ADNmt [18]. Dans les archives de l’équipe de Vincent Procaccio, l’utilisation de MitoChip n’est plus mentionnée après 2006, et celle de Surveyor disparaît après 2015.

Or ce sont ces évolutions techniques qui font progresser la recherche : parce qu’elles soulèvent de nouvelles questions scientifiques, y apportent parfois des éléments de réponse, ou modifient la façon dont nous appréhendons un phénomène, elles génèrent à elles seules de nouveaux « possibles ». Ainsi, dans les archives de 2007, il est question de dysfonctionnements mitochondriaux causés par « plus d’une mutation du génome mitochondrial » ou par les effets synergiques de mutations du génome mitochondrial et du génome nucléaire. La notion de « co-occurrence » n’apparaît qu’en 2019 ; elle est aujourd’hui au cœur de l’analyse des génomes (mitochondrial et nucléaire) des personnes atteintes de maladies mitochondriales. De même pour les mutations « potentiellement actionnables4 » (à partir de 2016), puis « actionnables » (après 2018), et pour les découvertes, dites « incidentes », de mutations non recherchées intentionnellement, qui entraînent de nouvelles façons d’appréhender les dysfonctionnements mitochondriaux et ouvrent de nouvelles possibilités de diagnostic.

Limites et perspectives de la « médecine mitochondriale »

Grâce à l’évolution des techniques, les connaissances sur les maladies mitochondriales ont considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Dans les faits, de plus en plus de patients bénéficient d’un diagnostic de leur maladie : les archives de l’équipe dirigée par Vincent Procaccio mentionnent « 60 % des patients sans identification de l’anomalie génétique » en 2017, puis « plus de 50 % des patients en errance diagnostique » en 2019. En 2021, il n’est plus question que de « 40 à 50 % des patients sans diagnostic moléculaire ». Ce pourcentage d’errance diagnostique – qui reste particulièrement élevé – mérite cependant d’être interrogé. À quoi est-il lié ? À quelles limitations, techniques ou théoriques, la « médecine mitochondriale » est-elle aujourd’hui confrontée ?

De multiples contraintes sur le plan moléculaire

Les limitations techniques de la « médecine mitochondriale » sont diverses. Rahman et Rahman soulignent les difficultés à identifier certaines altérations du génome, telles que « les mutations de novo, les sites d’épissage cryptiques, les variants de structure », ou encore des remaniements génomiques complexes tels que « les évènements d’insertion ou de délétion » [19]. Mêmes si certaines zones du génome sont encore à ce jour difficiles à séquencer (à cause de la présence de séquences répétées), l’écueil majeur réside dans l’interprétation des très nombreux variants identifiés, notamment ceux situés dans des régions introniques ou régulatrices « profondes ». À cela s’ajoutent des limitations techniques spécifiques à la génétique mitochondriale : taux d’hétéroplasmie trop faibles pour être détectables et variabilité inter-tissulaire, nombre de copies d’ADNmt analysées, phénomène de ségrégation aléatoire, etc. Certaines limitations sont parfois plus simplement liées à un manque de données pour les maladies rares, dont font partie les maladies mitochondriales : le nombre de cas génétiquement confirmés pour une maladie donnée est souvent insuffisant notamment pour valider des essais cliniques.

À ces contraintes techniques s’ajoutent des limitations théoriques. Les maladies mitochondriales sont parfois causées par des variants génétiques dont les conséquences fonctionnelles sont encore inconnues ; par ailleurs, de multiples mutations impliquées dans ces maladies affectent des protéines aux fonctions indéterminées. Rahman et Rahman pointent ainsi la nécessité de recourir à des « analyses globales non ciblées » [19]. En outre, certains paramètres susceptibles d’influer sur l’apparition ou l’aggravation de maladies mitochondriales ne sont, à ce jour, pas pris en compte, soit que leur rôle reste mal connu, soit qu’on ne sache tout simplement pas comment les intégrer au cadre théorique existant. Rahman et al notent ainsi que « certains modulateurs génétiques ou environnementaux ont été postulés, mais les preuves à l’appui restent rares ». À l’inverse, « les anomalies de la maintenance de l’ADNmt semblent se clarifier » [19]. Notons, plus généralement, une complexité croissante dans l’interprétation des données, qui nécessite la mise au point d’outils informatiques toujours plus performants [20] ().

(→) Voir m/s n° 10, 2024, page 767

Une absence quasi-totale de traitements spécifiques

Un autre obstacle majeur au développement d’une véritable « médecine mitochondriale » est le fait qu’il n’existe à ce jour, pour les maladies mitochondriales, presque aucun traitement curatif ou spécifique [13]. La prise en charge des patients repose ainsi essentiellement sur le dépistage précoce de possibles complications et sur des stratégies de prévention et d’adaptation aux manifestations cliniques de ces maladies. Certains traitements sont utilisés pour traiter les symptômes (e.g., pour le syndrome MELAS : coenzyme Q10, idébénone, L-carnitine, riboflavine, etc.), en se fondant sur des arguments physiopathologiques, issus d’études de cas ou provenant de protocoles nationaux de diagnostic et de soins [21]. Les premiers traitements curatifs devraient cependant arriver sur le marché dans les années à venir. Les chercheurs s’intéressent par exemple à la protéine mitochondriale thymidine kinase 2 (TK2), essentielle pour la réplication du génome mitochondrial. Un dysfonctionnement de cette protéine consécutif à la présence de mutations bialléliques du gène TK2 entraîne une réduction du nombre de molécules d’ADNmt par mitochondrie ou la présence de délétions multiples, à l’origine d’une myopathie mitochondriale. Or l’administration de désoxynucléosides capables de pallier le défaut de l’enzyme TK2 a été testée chez la souris et, plus récemment, dans le cadre d’un essai compassionnel, pour un nombre restreint de patients, avec une efficacité clinique très satisfaisante [22]. Une demande d’approbation de cette thérapie par les agences réglementaires devrait être déposée dans le courant de l’année 2025.

À l’approche du lancement du quatrième Plan National Maladies Rares (PNMR4), notamment dans le recours à des essais compassionnels ou à des essais de type « n of 1 » (où le patient est son propre témoin) plutôt qu’à de grands essais cliniques randomisés, la « médecine mitochondriale » pourrait constituer un modèle pour le développement de stratégies thérapeutiques adaptées aux maladies rares ou ultra-rares.

Vers une extension de la « médecine mitochondriale » aux maladies communes

Le développement d’une véritable « médecine mitochondriale » nécessitera probablement de s’intéresser au rôle plus général des mitochondries dans le fonctionnement de l’organisme. Nous savons aujourd’hui que de très nombreuses maladies communes (maladies neurodégénératives, diabète de type 2, insuffisance cardiaque, cancers, etc.), et plus généralement le processus de vieillissement, s’accompagnent d’un dysfonctionnement mitochondrial. Les mitochondries représentent donc aussi une cible thérapeutique pour ces maladies communes [23]. Mieux comprendre le rôle des dysfonctionnements mitochondriaux dans leur pathogenèse devrait permettre d’acquérir de nouvelles connaissances, et de proposer, à terme, de nouvelles stratégies thérapeutiques. Ainsi, des thérapies mises au point pour les maladies mitochondriales monogéniques pourraient s’avérer efficaces pour traiter certaines maladies communes.

Conclusion

L’exemple du projet MITOMICS illustre l’essor d’une « médecine mitochondriale », dont l’histoire remonte au début des années 1960, et dont les progrès récents reposent principalement sur la collecte de données en grand nombre et la mise au point de nouvelles techniques de diagnostic des maladies mitochondriales. Ce projet invite à une plus grande fédération des acteurs impliqués dans l’étude et la prise en charge de ces maladies rares (médecins, chercheurs, associations de patients, partenaires industriels, etc.). Le principal défi actuel pour la « médecine mitochondriale » reste cependant la mise au point de traitements curatifs spécifiques de ces maladies.

Le lancement à venir du plan national PNMR4 pour les maladies rares, la nouvelle labellisation des centres de référence maladies rares pour une période de cinq ans (2023-2028), et le renforcement du maillage territorial de la prise en charge des maladies rares, notamment de la relation entre la médecine de ville et l’hôpital, devraient contribuer à une meilleure caractérisation des facteurs génétiques et environnementaux impliqués dans les « maladies mitochondriales ». Le PNMR4 permettra également le développement d’essais cliniques afin d’évaluer l’effet des premières thérapies spécifiques, géniques ou pharmacologiques, contre les « maladies mitochondriales ». Certaines de ces thérapies pourraient être utiles, à terme, pour traiter également des dysfonctionnements mitochondriaux associés aux maladies communes.

Remerciements

Nous tenons à remercier l’ensemble des membres du réseau MitoDiag et des centres nationaux de référence pour les maladies mitochondriales, et la filière nationale Filnemus pour les maladies neuromusculaires. Nous remercions aussi tout particulièrement les associations de patients, l’association contre les maladies mitochondriales (AMMi), l’association française contre les myopathies (AFM-Téléthon), et le réseau fédérateur des maladies mitochondriales Mitogether pour leur soutien. Merci à l’ANR pour son soutien financier (ANR 21-PMRB-0006) et à Karine Rottier pour l’aide apportée à la gestion du projet Mitomics.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

MITOMICS est l’acronyme du projet intitulé « Mitochondrial disease database: an integrated multi-OMICS approach ». Il est financé par le Programme d’investissements d’avenir, à hauteur de plus de 1,3 million d’euros.

2

Coexistence, au sein d’une même cellule, de mitochondries porteuses ou non d’une variation génétique de l’ADNmt.

4

Cette expression s’emploie pour qualifier les mutations dont la découverte chez un individu peut donner lieu à une prise en charge ou à un traitement spécifique et efficace.

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Liste des figures

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Particularités de la génétique des maladies mitochondriales. A. La mitochondrie est sous la dépendance de deux génomes : le génome nucléaire et le génome mitochondrial. ND1, ND2, ND3, ND4, ND4L, ND5, ND6 : sous-unités de la NADH ubiquinone oxydoréductase (complexe I) ; COX I, COX II, COX III : sous-unités de la cytochrome c oxydase (complexe IV) ; cyt b : cytochrome b (complexe III) ; ATPase 6 et 8 : sous-unités 6 et 8 de l’ATPase (complexe V) ; D-loop : boucle de déplacement ; 12S et 16S : ARN ribosomiques mitochondriaux. Représentation morphologique d’une cellule fibroblastique humaine contrôle avec son réseau mitochondrial tubulaire et interconnecté (coloration par une sonde fluorescence verte), avec le noyau de la cellule (coloration bleue Hoechst) et l’ADN mitochondrial révélé par une coloration à l’aide d’une sonde fluorescente rouge) (image : © A. Chevrollier). B. Ségrégation aléatoire des mitochondries au cours des divisions cellulaires. La coexistence de mitochondries mutées et non mutées dans une cellule définit le concept d’hétéroplasmie mitochondriale. La sévérité clinique va dépendre de la proportion de molécules d’ADNmt mutées. C. Diversité phénotypique des maladies mitochondriales pouvant affecter l’ensemble des tissus et organes.

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Organisation nationale des réseaux de diagnostic des maladies mitochondriales.

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