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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 5, Mai 2024
Chroniques génomiques
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Page(s) | 463 - 466 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024045 | |
Published online | 31 May 2024 |
D’où vient mon cancer ?
Why did I get cancer?
Biologiste, généticien et immunologiste, Président d’Aprogène (Association pour la promotion de la Génomique), 13007 Marseille, France
Abstract
Two interesting papers explore the beliefs of individuals (general population, or cancer survivors) on the causes of cancer. They reveal a huge discrepancy between scientifically proven factors and spontaneous opinions, that consider “stress” as the major cause of cancer. This is understandable in terms of psychological needs, and must be taken into account in cancer information campaigns.
© 2024 médecine/sciences – Inserm
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Faute, destin ou malchance ?
L’annonce d’un cancer à l’entourage familial et amical suscite parfois une réaction plutôt désagréable : « Mais qu’as-tu fait pour provoquer cela ? ». C’est, en quelque sorte, justifié par les données épidémiologiques s’il s’agit du diagnostic d’un cancer du poumon pour un gros fumeur [1], mais un tel questionnement est assez fréquent quel que soit le cancer concerné. Il manifeste le besoin très humain de trouver une cause à ce qui nous arrive, ou à ce qui arrive aux autres. On se souvient des réactions qu’avait suscitées, il y a quelques années, un article de C. Tomasetti et B. Vogelstein [2] affirmant que la majorité des cancers sont dus à des mutations aléatoires survenant lors de la réplication de l’ADN, d’autant plus fréquentes que les cellules du tissu concerné se divisent souvent. De façon un peu provocatrice, ces auteurs affirmaient que la majorité des cancers était ainsi due à la malchance (bad luck) plutôt qu’à la génétique ou à l’environnement. Le communiqué de presse de leur université indiquait : « Une étude montre que la malchance des mutations au hasard joue un rôle dominant dans le cancer »1. Cette affirmation, largement médiatisée, a suscité beaucoup de controverses [3-5] ; on s’accorde aujourd’hui à estimer qu’environ 40 à 50 % des cancers sont dus à l’environnement et au style de vie, et peuvent donc, en principe, être prévenus, le reste relevant de la génétique ou du hasard. La Figure 1 montre les principaux facteurs évitables impliqués, avec une évaluation de la proportion de cancers dont ils sont responsables : sans surprise, on retrouve en tête le tabac (presque 20 % des cancers), suivi de l’alcool, de l’alimentation et du surpoids.
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Figure 1. Proportion des cancers dus à des facteurs de risque comportementaux ou liés à l’environnement. On ne montre ici que les facteurs les plus importants, les suivants (radiations, manque d’activité physique, médicaments, absence d’allaitement pour les femmes, exposition aux particules fines) se situent au voisinage de 1 % ou moins. UV : ultra-violets. Graphique provenant du site de l’Inca (https://www.e-cancer.fr/Comprendreprevenir-depister/Reduire-les-risques-de-cancer). |
Un important décalage
À côté de ces facteurs objectivement définis par de nombreuses enquêtes épidémiologiques, il existe dans le public une perception bien différente des causes du cancer. Relativement peu étudiée jusqu’ici, cette vision a fait récemment l’objet de travaux dont les résultats assez surprenants méritent d’être pris en compte. Je discuterai ici deux articles sur ce sujet. Le premier, publié début 2018 par des chercheurs de l’University College (Londres) [6], porte sur un échantillon représentatif de 1 327 adultes de la population britannique. Ces derniers ont répondu à deux questionnaires fermés2 précédemment validés, le premier demandant de classer onze facteurs de risque reconnus (similaires à ceux de la Figure 1), le deuxième concernant douze facteurs de risque « mythiques », fréquemment cités de manière spontanée mais pour lesquels il n’existe pas de preuves scientifiques (consommation d’organismes génétiquement modifiés [OGM], stress, ondes wifi [de l’anglais wireless fidelity], etc.). Les réponses, pour les facteurs de risque reconnus, correspondent à peu près au consensus scientifique (Figure 1), avec une sous-estimation marquée du rôle de l’alcool, classé septième alors qu’il est le deuxième plus important facteur de risque. Pour les facteurs « mythiques », c’est le stress qui vient en premier, suivi des additifs alimentaires, des ondes radio et de la consommation d’OGM. Le défaut de cet article, à mon sens, est le choix de deux questionnaires fermés distincts, ce qui ne permet pas d’évaluer le poids relatif des facteurs reconnus et des causes mythiques dans les réponses des participants. Notons néanmoins que le stress apparaît au premier rang des causes de cancer, alors que, par exemple, une récente méta-analyse rassemblant les résultats de onze études [7] conclut à une très faible corrélation entre évènements traumatiques et cancer (risque de cancer augmenté de 11 %).
Le deuxième article, publié tout récemment [8], émane de plusieurs laboratoires canadiens et porte cette fois sur des personnes ayant survécu à un cancer. Il regroupe en fait 1 001 patients, en majorité des femmes ayant subi un cancer du sein (85 % de femmes, dont 66 % présentaient un cancer du sein), et dont le diagnostic initial remonte en moyenne à 9 ans. La sur-représentation des cancers du sein s’explique à la fois par la fréquence de cette affection (risque à vie [lifetime risk] de 13 %) et son bon pronostic. À l’inverse, le cancer du poumon est très peu représenté dans l’échantillon car la survie à 9 ans est faible. L’autre avantage de cette étude est d’avoir recueilli les opinions des participants de manière ouverte (et non seulement via les réponses à un questionnaire fermé), et de ne pas faire de distinction a priori entre facteurs de risque avérés ou mythiques. La Figure 2 montre la répartition des réponses à la question ouverte sur les causes de cancer.
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Figure 2. Réponses (en texte libre) à la question sur les causes du cancer (nombre de réponses mentionnant un facteur donné) (extrait modifié de la figure 1 de [8]). |
On note sur cette figure que le stress a une place aussi importante que l’hérédité, et que le hasard est très peu évoqué. Le tabac est, bizarrement, totalement absent des facteurs de risque cités, sans doute en raison de la représentation majoritaire dans l’échantillon du cancer du sein pour lequel son rôle (mineur) [9] est peu reconnu. Soulignons aussi que les facteurs modifiables (tabac, mais aussi alimentation, poids, activité physique, exposition excessive au soleil) sont très minoritaires ou absents de ces réponses spontanées : il semble que les personnes interrogées évitent de citer les facteurs sur lesquels ils pourraient (ou auraient pu) avoir une action, et préfèrent souligner ceux qui sont largement indépendants de leur volonté.
Améliorer la communication
On ne peut qu’être frappé par la très forte divergence entre les facteurs de risque prouvés par d’innombrables études épidémiologiques, et les causes auxquelles sont spontanément attribués les cancers. Le stress arrive systématiquement en première ligne, alors que les données scientifiques lui attribuent tout au plus un rôle très mineur [7]. Pourtant, même sur Internet, où abondent les informations non vérifiées, ce rôle est généralement démenti, et il faut bien chercher pour trouver des affirmations imprudentes comme « Le stress serait à l’origine de certains cancers »3. La moisson serait sûrement plus riche sur les réseaux sociaux ! Cela témoigne en tous cas d’un échec de l’abondante communication des organisations publiques et caritatives, qui ne semble pas être parvenue à faire prendre conscience d’une réalité pourtant largement démontrée. Cela renvoie sans doute à un besoin psychologique très profond, celui de trouver une cause, une raison à ce qui nous arrive, et à notre propension à choisir, parmi les facteurs a priori envisageables, ceux qui ne relèvent pas (ou peu) de notre libre arbitre plutôt que ceux que nous pourrions modifier (alcool, obésité, etc.). La communication à propos des cancers est peut-être trop rationnelle et ne tient pas assez compte des opinions spontanées et des besoins psychologiques et affectifs de ceux à qui elle s’adresse ; il serait certainement utile de tenir compte de ces impressions spontanées dans la conception des campagnes d’information plutôt que de les ignorer comme cela semble être généralement le cas. Au niveau de la recherche, il serait certainement utile de poursuivre ces travaux sur un plus grand nombre de participants et d’étudier le type de réponse en fonction du niveau socio-culturel ou d’autres facteurs, afin de mieux cibler les interventions. Les chartes affichées dans les hôpitaux affirment toutes que « le patient est au centre », ce qui ne correspond pas toujours au ressenti des malades ; mais le vécu de ceux-ci est de plus en plus pris en compte, par exemple, dans les essais cliniques, pour répertorier les effets secondaires des traitements ; cette évolution est également nécessaire pour la construction des campagnes de communication sur les causes du cancer.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Bad luck of random mutations plays predominant role in cancer, study shows. https://www.hopkinsmedicine.org/news/media/releases/bad_luck_of_random_mutations_plays_predominant_role_in_cancer_study_shows
Site « Santé sur le Net », https://www.anxiete.fr/stress-et-cancer/
Références
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- Tomasetti C, Vogelstein B. Variation in cancer risk among tissues can be explained by the number of stem cell divisions. Science 2015 ; 347 : 78–81. [Google Scholar]
- Rozhok AI, Wahl GM, DeGregori J. A Critical examination of the “bad luck” explanation of cancer risk. Cancer Prev Res (Phila) 2015 ; 8 : 762–764. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Davey Smith G, Relton CL, Brennan P. Chance, choice and cause in cancer aetiology: individual and population perspectives. Int J Epidemiol 2016; 45 : 605–13. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Tomasetti C, Li L, Vogelstein B. Stem cell divisions, somatic mutations, cancer etiology, and cancer prevention. Science 2017 ; 355 : 1330–1334. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Shahab L, McGowan JA, Waller J, Smith SG. Prevalence of beliefs about actual and mythical causes of cancer and their association with socio-demographic and health-related characteristics: Findings from a cross-sectional survey in England. Eur J Cancer 2018 ; 103 : 308–316. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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- Galica J, Saunders S, Pan Z, et al. What do cancer survivors believe caused their cancer? A secondary analysis of cross-sectional survey data. Cancer Causes Control 2024 Jan 28. doi: 10.1007/s10552-023-01846-0. [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Proportion des cancers dus à des facteurs de risque comportementaux ou liés à l’environnement. On ne montre ici que les facteurs les plus importants, les suivants (radiations, manque d’activité physique, médicaments, absence d’allaitement pour les femmes, exposition aux particules fines) se situent au voisinage de 1 % ou moins. UV : ultra-violets. Graphique provenant du site de l’Inca (https://www.e-cancer.fr/Comprendreprevenir-depister/Reduire-les-risques-de-cancer). |
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Figure 2. Réponses (en texte libre) à la question sur les causes du cancer (nombre de réponses mentionnant un facteur donné) (extrait modifié de la figure 1 de [8]). |
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