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Med Sci (Paris)
Volume 35, Numéro 3, Mars 2019
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Page(s) | 199 - 200 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2019054 | |
Publié en ligne | 1 avril 2019 |
L’autre moitié du cerveau les cellules gliales
The other half of the brain… glial cells
Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) CHU Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
On dit de quelqu’un qu’il a « deux neurones » et non pas qu’il a « deux cellules gliales » et pourtant, s’il y a 100 milliards de neurones dans le cerveau de l’homme, il y a plus de cellules gliales ! Bien plus, la densité et la complexité des cellules gliales augmentent par rapport à celles des neurones au cours de l’évolution (par exemple, une cellule gliale pour six neurones chez la sangsue, et une fois et demi plus de cellules gliales que de neurones chez l’homme).
Quand on sait que notre cerveau est le chef d’orchestre de nos comportements, pourquoi n’en parle-t-on pas ? La raison est que, alors que toutes ces cellules nerveuses étaient décrites depuis la fin du XIXe siècle, seule l’activité des neurones pouvait être enregistrée, car ceux-ci produisent de petits courants électriques, alors que tel n’est pas le cas pour les cellules gliales [1]. D’où le développement spectaculaire de la recherche scientifique sur les neurones, avec le succès que l’on sait, pour mieux comprendre le fonctionnement cérébral et son dysfonctionnement en cas de maladie. Mais, aujourd’hui, on sait que ces cellules gliales ont non seulement la plupart des propriétés des neurones, mais que, de plus, elles ont la capacité d’intégrer tous les messages que leur envoient ceux-ci en réponse à des modifications de l’environnement pour produire un comportement.
C’est dire que ces cellules gliales sont importantes à considérer pour expliquer nos mouvements, nos émotions, nos pensées, et que ce sont des cibles thérapeutiques potentielles pour lutter contre les maladies du cerveau.
Dans une perspective de simplification, ce propos est consacré à l’un des composants des cellules gliales, les astrocytes (à l’exclusion des oligodendrocytes qui produisent la myéline et de la microglie, qui sont des sortes de macrophages du système nerveux) car ces astrocytes ont un potentiel métabolique considérable [2] : d’une part, ils participent à la régulation de l’activité des neurones, en libérant des neurotransmetteurs ; en retour, les neurotransmetteurs produits par les neurones modulent leur activité, de sorte que la communication dans le système nerveux ne s’effectue pas seulement entre neurones, mais aussi entre neurones et astrocytes, au sein d’un large réseau astrocytaire. D’autre part, ils produisent des « ondes calciques », qui se propagent lentement d’astrocyte en astrocyte sur plusieurs millimètres, par l’intermédiaire de « gap-junctions », sorte de tunnels qui connectent les astrocytes entre eux, permettant à ces ions de diffuser d’une cellule à l’autre. Enfin, ils sont capables de détecter l’activité des neurones et d’envoyer aussitôt un signal aux vaisseaux capillaires voisins d’où ils prélèvent le glucose qu’ils transfèrent aux neurones, dont c’est le nutriment essentiel. Ainsi est constitué un « ménage à trois » où les astrocytes sont à la fois les nourriciers et les éboueurs des neurones en raison de leur capacité d’éliminer et de recycler leurs déchets.
Il en résulte que les astrocytes jouent un rôle essentiel pour assurer le fonctionnement cérébral [3-5]. Ils contrôlent la formation des synapses, d’abord au cours du développement pour former les réseaux de neurones, puis chez l’adulte en permettant les réarrangements de ces réseaux. Ils assurent également la migration des neurones au cours du développement, leur permettant d’atteindre leur cible grâce à un plan préétabli. Par ailleurs, ils contribuent à la création de nouveaux neurones au cours du développement mais aussi chez l’adulte, participant ainsi aux apprentissages. Un autre de leurs rôles est de participer à la régulation des flux ioniques et au bon fonctionnement de la barrière hémato-encéphalique qui contribue à isoler le cerveau du reste de l’organisme. Enfin, ils permettent surtout l’intégration et la synchronisation des informations propagées par les neurones, d’où leur rôle dans la genèse des comportements.
Alors qu’aujourd’hui les théories dominantes pour expliquer les fonctions mentales sont purement « neuro-centriques », les découvertes les plus récentes dans le domaine de la biologie gliale montrent qu’on devrait être plus « gliophile » [2]. À titre d’exemple, les astrocytes sont de véritables « aide-mémoires » qui facilitent le réarrangement des contacts synaptiques au cours de l’apprentissage, comme cela a été montré in vitro et in vivo. Ils contribuent aussi à d’autres fonctions comme la modulation du sommeil et les rythmes circadiens, ou l’orientation sexuelle, comme cela a été démontré chez la mouche.
Étant donné les échanges permanents entre neurones et astrocytes, les maladies du système nerveux, considérées comme étant exclusivement d’origine neuronale, devraient aussi impliquer un dysfonctionnement astrocytaire. C’est effectivement le cas [6]. Ainsi la maladie d’Alexander, affection génétique rare qui conduit à une mort prématurée, est causée par la mutation d’une protéine caractéristique des astrocytes, la GFAP (glial fibrillary acidic protein). Expérimentalement, l’introduction d’une mutation caractéristique de certaines affections (maladie de Rett, X fragile, trisomie 21) dans des astrocytes entraîne le développement anormal des neurones en culture de cellules. Bien plus, les astrocytes sont impliqués dans la mort neuronale au cours de diverses affections neurodégénératives : maladie d’Alzheimer, où les astrocytes n’ont plus la force d’éliminer la protéine bêta amyloïde pathologique, et où les porteurs de la forme Apo E4 (apolipoprotéine E4, strictement astrocytaire) ont huit fois plus de chances de développer la maladie que les individus témoins. Mais aussi, maladie de Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, épilepsie, traumatismes de la moelle épinière, dépression, encéphalopathie hépatique, etc.
En bref, on peut vraiment se demander comment on peut envisager le rôle du cerveau dans le contrôle des comportements humains en en négligeant la moitié ! Que se serait-il passé si on avait enregistré l’activité électrique des cellules gliales et pas celle des neurones au début du siècle dernier ? On aurait sans doute construit un modèle de fonctionnement cérébral fondé exclusivement sur la physiologie des cellules gliales ! N’est-il pas temps de concevoir la physiologie du système nerveux, fondée à ce jour exclusivement sur le fonctionnement des neurones, en tenant compte de celui des cellules gliales ? Le neurologue et le psychiatre ne devraient-ils pas prendre en compte le concept de « ménage à trois » incluant les neurones, les cellules gliales et les capillaires, pour proposer une interprétation physiopathologique moderne des principales affections neuropsychiatriques ? Nos partenaires de l’industrie pharmaceutique n’auraient-ils pas intérêt à chercher de nouveaux médicaments en se fondant sur la pharmacologie non seulement des neurones, mais aussi sur celle des cellules gliales ?
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Fan X, Agid Y. At the origin of the history of glia. Neuroscience 2018 ; 385 : 255–271. [Google Scholar]
- Agid Y, Magistretti P. L’homme glial : une révolution dans les sciences du cerveau. Paris: Odile Jacob, 2018 [Google Scholar]
- Clarke LE, Barres BA. Emerging roles of astrocytes in neural circuit development. Nat Rev Neurosci 2013 ; 14 : 311–321. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Nedergaard M, Ransom B, Goldman SA. New roles for astrocytes: Redefining the functional architecture of the brain. Trends Neurosci 2003 ; 26 : 523–530. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Volterra A, Meldolesi J. Astrocytes, from brain glue to communication elements: the revolution continues. Nat Rev Neurosci 2005 ; 6 : 626–640. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Verkhratsky A, Parpura V. Astrogliopathology in neurological, neurodevelopmental and psychiatric disorders. Neurobiol Dis 2016 ; 85 : 254–261. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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